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l'art peut-il se prêter a plusieurs interprétations ?

Publié le 24/10/2005

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Cf. au contraire Valéry: «L'esprit de l'auteur, qu'il le veuille, qu'il le sache, ou non, est comme accordé sur l'idée qu'il se fait nécessairement de son lecteur; et donc le changement d'époque, qui est un changement de lecteur, est comparable à un changement dans le texte même, changement toujours imprévu, et incalculable. » Ce qui est là affirmé de l'écriture vaut pour tous les domaines artistiques.- On peut ainsi montrer que lorsqu'un artiste prétend initialement maîtriser tout-à-fait son travail (lui imposer un sens univoque), l'oeuvre lui échappe (ex. de Balzac- dont la Comédie humaine, par rapport à ses intentions, est un «échec »).- On montre que les oeuvres classiques font l'objet d'interprétations différentes (Racine), dont le seul principe est de respecter leur intégralité (cf. R. Barthes et les lois de la lecture structuraliste).- Il apparaît que dans l'art contemporain, la polysémie est recherchée par l'artiste lui-même (c'est l'oeuvre ouverte d'U. Eco).

Il est toujours possible d'interpréter librement une oeuvre, au sens où l'on donne le sens que l'on veut à la création artistique à laquelle on se trouve confrontée. Toutefois, une telle attitude conduit manifestement à un relativisme qui s'énoncerait en des formules telles que : « Tous les goûts sont dans la nature «. Or, « donner le sens que l'on veut « à une oeuvre d'art signifie-t-il « l'interpréter librement « ?

En somme, c'est la notion d'interprétation qu'il s'agit d'éclaircir. Interpréter, est-ce changer la signification d'une chose au gré des circonstances ou bien participer à l'élaboration d'une signification ? Dans la seconde hypothèse, quelles sont les règles que doit alors suivre l'acte d'interprétation ? car il est certain que pour être libre, l'interprétation se doit de connaître ses limites et les bornes à ne pas franchir

En définitive, la question n'est plus de savoir s'il est possible de faire dire tout et son contraire à une oeuvre, en lui conférant des significations contradictoires et aberrantes, mais de se demander en quoi consiste l'interprétation libre – via l'analyse de ces deux concepts – et dans quelle mesure celle-ci est possible.

 

« L'oeuvre d'art renvoie d'emblée à l'idée d'interprétation.

Cela tient au fait que son sens ne lui est pasdirectement assignable, mais nécessite un cheminement réflexif de la part du spectateur.

Au contraire, d'autrestypes de production tendent à évacuer l'ambiguïté de leur message ; ainsi en va-t-il des signes : si le feu est rouge,je sais que je dois m'arrêter.

Il n'est pas concevable que ce signe réclame une interprétation et je ne dois pas enprincipe me demander si je peux ou non passer au rouge. Cependant, doit-on conclure de ce que nous venons de dire que l'oeuvre d'art n'a pas de sens ou seraitdénuée de signification ? Au contraire, il s'agit de comprendre que la signification – dès lors qu'elle n'est pas admisepar convention, le plus souvent à des fins pratiques – est le fruit d'un travail d'interprétation.

Toutefois, celan'implique pas : 1° que l'interprétation soit une dégradation vis-à-vis du « prétendu sens » de l'oeuvre avant quel'on s'y intéresse.

De ce point de vue, l'oeuvre appelle par sa nature même l'interprétation.

2° Cela ne signifie pasnon plus que l'oeuvre d'art puisse (et doive) susciter toutes les interprétations possibles, auquel cas l'idée même desens se perdrait ; en d'autres termes, si l'on doit interpréter l'oeuvre, et si on doit le faire « librement », cela ne sefera pas au sens communément admis de donner la signification que l'on veut à l'oeuvre. II – Interprétation et phénoménologie Le fait que l'oeuvre d'art appelle l'interprétation est donc un trait caractéristiques des productions artistiques.Toutefois, il faut bien comprendre par là qu'il n'y a pas deux niveaux : d'un côté l'oeuvre et de l'autre soninterprétation ; à l'inverse, l'oeuvre n'advient elle-même que dans son interprétation, son déchiffrement par uneconscience.

Faisons un détour par la phénoménologie afin de préciser cette idée. Pour Husserl, principal représentant de ce courant de pensée, la conscience est toujours conscience de quelque chose, c'est-à-dire qu'elle se rapporte toujours, d'un certain point de vue, à un objet.

Il n'y a donc pas derapport à l'objet (ou à l'oeuvre) qui ne soit déjà médiatisé, c'est-à-dire interprété.

Cela signifie que l'interprétationn'est pas ce qui masque l'oeuvre ou un sens qu'elle pourrait avoir en soi, mais elle ce qui fonde son statut d'oeuvred'art.

L'oeuvre n'existe en tant que telle que lorsqu'elle est perçue par une conscience, c'est-à-dire interprétée. Ainsi, la structure phénoménologique de la conscience nous installe d'emblée dans un schéma interprétatif.L'interprétation fonde le rapport à l'oeuvre.

Dès lors, interpréter ne peut plus se comprendre comme une manière demanquer l'oeuvre ; il s'agit bien plutôt de l'atteindre.

Toutefois, une question reste encore posée concernant lanature de l'interprétation : celle-ci peut-elle être libre ? III – Umberto Eco : l'oeuvre ouverte Selon Umberto Eco, l'oeuvre d'art suppose toujours l'intervention d'un spectateur.

En ce sens, il prend actedu schéma interprétatif que nous avons révélé.

Or, comment doit-on comprendre cette interprétation ? Afin de préciser son idée, Eco établit une différence entre Lecteur empirique et Lecteur Modèle – différencequi concerne les oeuvres littéraires, mais qui peut s'appliquer à tous les types d'oeuvres.

Le lecteur empirique, c'estn'importe qui, quand il lit un texte.

Celui-ci peut être alors lu de mille manières, aucune loi impose une façon de lireet, souvent, le texte fait office de réceptacle des passions du lecteur, qui proviennent de l'extérieur du texte et quele texte suscite fortuitement.

Or, à ce moment-là, le lecteur n' interprète pas le texte, mais il l' utilise ; il le prend pour le miroir de ses sentiments, alors que l'oeuvre est destinée à tous. Au contraire, le lecteur modèle est celui qui prend acte de l'ouverture de l'oeuvre et de son appel àl'interprétation ; pour ce faire, il s'appuie sur des éléments objectifs présents dans l'oeuvre.

Par exemple, d'un livrecommençant par « Il était une fois », le lecteur s'attendra à une histoire plutôt destiné à un jeune public, où lefantastique à sa place, etc.. Dès lors, tandis qu'utiliser un texte revenait à le recouvrir de ses sentiments et à le masquer, l'interpréter c'est le révéler, le faire advenir dans et par l'interprétation.

Conclusion : Ainsi, l'interprétation apparaît comme le recours indispensable afin de se rapporter aux oeuvres d'art.

En cesens, l'idée d'interprétation reçoit une nouvelle qualité et n'est plus le rapport arbitraire au sens.

De ce point de vue,interpréter librement n'est pas faire ce que l'on veut, mais suivre des règles que nous dictent des éléments objectifsprésents dans l'oeuvre.

La liberté de l'interprétation passe le respect de la loi de composition interne à l'oeuvre. Il est possible, en revenant sur la distinction de Umberto Eco, d'évoquer Kant : celui-ci explique commentla volonté déterminée par des sentiments et des passions arbitraires (c'est-à-dire par des éléments pathologiques)n'est pas libre, tandis que celle qui suit un certain type de légalité (ici, la loi interne à l'oeuvre) est proprement libre.En faisant référence uniquement à ses affects, le spectateur est prisonnier d'un point de vue, tandis qu'en prêtantattention à l'oeuvre et aux indices qu'elle fournit, il contribue à la libre élaboration de sa signification.

C'est en cesens, précisément, que l'on peut (et doit) interpréter librement les oeuvres d'art.. »

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