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L'artiste peut-il être indifférent à la morale ?

Publié le 27/02/2008

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L'artiste peut-il être indifférent à la morale ?

L'image communément admise de l'artiste en fait un habitant d'un « autre monde «, un monde imaginaire précisément (qui ne peut donc sortir et perdurer qu'au sein de l'imagination, qui n'a aucune incidence sur le réel) où le seul principe en vigueur et proprement celui de plaisir. A travers cette construction doxique de l'image de l'art, l'activité paraît affranchie des forces contraignantes et en activité au sein du réel: l'artiste fait ce qui lui plait lorsqu'il en a envie. En somme, cette conception cristallise autours de la figure du peintre, du musicien, du cinéaste, une définition appauvrie de la liberté comme pouvoir, et plus précisément comme pouvoir de faire ce que l'on veut. De ce fantasme révélant la volonté d'échapper au monde, s'enchaîne tout logiquement l'idée d'une activité eschatologie ouvrant sur un espace-refuge, loin de l'affairement quotidien et de ses soucis. Qu'importe donc les affaires en cours, qu'importe les bruits du monde pour l'artiste qui de notre monde ne choisit que ce qu'il veut, et échappe aussi à la faculté humaine la plus propice à calculer, à découvrir les lois qui règnent et pèsent gravement sur nous, à savoir la raison. Évadé de notre univers, affranchi de sa raison, il est en ce sens le magicien que l'on consulte pour se divertir (diversus du latin, se détourner de). Fidèle au programme beaudelairien, il changera notre boue en or ( Fleurs du mal), et apparaîtra comme l'alchimiste qui colore ce que nous n'appréhendons qu'à travers de pâles nuances de gris. On reprendra toujours en ce sens les mots de Boileau: « Il n'est point de serpent ni de monstre / Qui par l'art imité ne puisse plaire aux yeux «. Qu'il soit venu d'ailleurs ou qu'il s'y rende, l'artiste se retrouve sanctifié par tout un champ lexical quasi christique: le mot même de génie vient du latin genius qui désigne l'ange-gardien qui accompagnait l'artiste du début à la fin de sa vie en guidant ses actes. Habitant d'ici, mais aussi d'ailleurs, il y a une sorte de dualité chez l'artiste, un corps et un esprit qui prennent distance l'un de l'autre, le second transcendant notre simple espace. Cependant, il est tout aussi évident que cette distanciation des occupations mondaines, si elle trouve crédit au sommet d'une gloire ou de manière posthume, devient tout autant parfois marginalité. L'artiste est à part, habité peut-être aussi, au mieux un fou élégant. L'indifférence dès lors aux normes de notre espace fini n'en fait pas tant un immoral, qu'un amoral, insensible aux critères édictés ici-bas qui vont jusqu'à s'apparenter à un frein pour la création. On pardonnera à l'artiste son peu de considération pour les civilités, on pardonnera même à Céline son antisémitisme comme si le talent fut en lui-même une excuse. D'ailleurs, l'artiste qui sublime le cosmos ne tente-t-il pas, tout comme la morale, de le rendre présentable, de le défaire de ses défauts, jusqu'à proposer le détachement progressif d'un précipité noble? Les fatigants traités de morale rêvent d'un monde plus beau, l'art le concrétise déjà avec une longueur d'avance. En voudra-t-on au peintre qui transfigure le corps de la femme, de sublimer son corps au point de ne plus en faire une affaire charnelle mais de conduire des foules d'extatiques, dont l'esprit enfin s'élève, à l'intérieur des musées? Et si l'art pouvait se jouer de la morale précisément parce qu'elle l'équivaut dans sa propre fonction? Est-ce la morale qui est affaire concrète, et l'art une activité de détournement doucereusement onirique, ou est-ce l'alchimie de l'art qui dessine déjà l'horizon d'un univers que la morale demeure incapable à générer?

 

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« Cependant, on pourra interroger la pertinence d'un tel modèle: intellectualisons-nous toujours, même d'une manièretacite ou spontanée, l'oeuvre d'art? L'art doit-il empiéter sur le champ de la morale, du moins de cette manière? Si lamorale échoue, ne revient-il pas à cet art le droit justement de proposer sa propre morale, une morale qui ne soitpas issue de la raison, mais qui reste bien dans le vaste cadre complexe des passions? « Video meliora, proboque, deteriora sequor »: « Je vois le bien, je l'approuve et je fais le mal » nous dit Ovide dans son impuissance.

La morale ne semble guerre fonctionner, tout juste peut-elle se faire paulinienne, et déclarer « il n'y a pas de juste, pas même un seul » ( Épître aux Romains, 3: 10).

C'est ici que nous pouvons prendre la voie cornélienne, tout en prenant bien soin d'effectuer quelques réserves à son endroit.

La passion, dans la perspective de ce que l'onnommera l' honneur aristocratique , si elle ne peut être tue, doit donc être sublimée, ou courbée sous le poids de passions nobles.

Le Cid éveille ainsi chez l'auteur des sentiments élevés: le héros se venge, certes, mais par honneur; il hait la mort (le leitmotiv de don Diègue « meurs ou tue ») et démontre sa gloire dans ses exploits guerriers; rien n'est bas chez lui, tout est à la mesure de son rang.

Il faut ici peut-être concéder que le lignageprime toujours sur l'individu, que ces « aïeux », sa « race », son « sang » dont il hérite ses devoirs et sa nécessaire fidélité, son respect, s'enracinent donc dans une appartenance biologique.

Mais l'on admire, la constance, lacohérence, et le courage du héros, poussant l'esprit de l'envie à l'identification.

Ne plus craindre la mort: n'est-cepas ce que la raison s'évertue à nous faire entendre? N'est-ce pas ce que nous éprouvons, ce que nous désironsardemment, à la vue de protagoniste cornélien ou shakespearien? L'artiste en ce sens n'est pas indifférent à lamorale, il propose un chemin de traverse qui parle au spectateur dans son for intérieur, qui au moins s'inscrit commeune tutelle, une activité complémentaire à la morale. Nietzsche: Dionysos et Apollon II. Dans La naissance de la tragédie , Nietzsche nous rappelle l'antique légende de Silène: « le roi Midas poursuivit longtemps dans la forêt le sage de Silène, compagnon de Dionysos, sans pouvoir l'atteindre.

Lorsqu'il a enfin réussià s'en emparer, le roi lui demande quelle était la chose que l'homme devrait considérer comme la meilleure etestimer au-dessus de tout.

Immobile et obstiné, le démon reste muet, jusqu'à ce qu'enfin, contraint par sonvainqueur, il éclate d'un rire strident et profère ces paroles: 'Race éphémère et misérable, enfant du hasard et dela peine, pourquoi me forces-tu à te révéler ce qu'il vaudrait mieux pour toi ne pas entendre? Ce que tu doispréférer à tout, c'est pour toi hors d'atteinte: c'est de n'être pas né, de ne pas être, d'être néant.

Mais aprèscela, ce que tu peux désirer de mieux, c'est de mourir bientôt ».

C'est ce tragique, cette absurdité de l'existence, que les grecs sont parvenus à surmonter selon Nietzsche, et précisément par le biais de l'art.

En effet, les grecs ontsaisi d'un regard le fond même de l'existence que décrit le dieu sylvestre, cet abîme sans fond de cruauté et dedouleur que Nietzsche symbolise par le dieu de l'ivresse, de la bestialité, de l'affirmation de toutes choses et de soncontraire, qu'est Dionysos.

L'essence profonde de la vie n'est que affirmation ( volonté de puissance ), exubérance, devenir, alternance de création et de destruction.

Pourtant, les grecs ont su accepter ce terrible arrière-fonddionysiaque, ils ont su s'en consoler par l'art. En effet, face à ce profond battement de sève qu'est le dionysiaque, cette profusion, les premiers grecs ont su nepas choisir l'ascèse.

Ils ont su ne pas enfermer la vie, soit les pulsions qui résonnent au fond de chaque être et queSocrate délimite sous l'appellation d' epithumia .

Il s'agit de l'hydre du désir que le Socrate ascétique tente justement de réprimer via cet instinct logique et négatif qu'est son deimon , cette voie intérieur, cette conscience morale inhibitrice et auto-punitive.

Socrate a compris l'excès du désir, le fait qu'il demeure toujours in satis fait ( satis du latin assez ).

Il requiert donc l'usage de la raison, la connaissance, préférant « l'instinct de vérité » contre l'expression de la vie.

Ainsi, à partir de valeurs qui sont autant d'idoles mensongers, le philosophe décadent choisit de juger la vie,de la faire dépérir sous les jougs de cette raison.

Naissent de ce fait les grandes fables métaphysiques des mondesvrais contre ce monde faux et coupable (le mythe de la caverne).

La morale ne fait que réprimer la vie, réprimerl'instinct, recueillir le bois qui brulera sur le bûcher d'une condamnable vie.

A contrario , la capacité artistique est ce qui transfigure le monde: elle refuse ces idéaux qui se réclame de l'absolu.

Nous ne sommes en effet qu'une sommede pulsions, chacune tentant d'imposer sa perspective aux autres: cela fait de tout nos discours des symptômes quine se plaisent qu'à retranscrire la perspective adoptée par l'une d'entre elles précisément. L'illusion de la morale c'est donc de réprimer, de censurer l'affirmation de la vie, et d'intérioriser ces pulsions contresoi, ou de les travestir à travers des pseudo-valeurs.

L'art au contraire les sublime, favorise la force et génèrel'ivresse.

Il ne s'agit plus de subir la vie, de retourner sa puissance contre soi, mais bien d'être justement actif à sontour, d'éteindre la « dissonance » de « l'horrible image du monde », du « pire des mondes ».

L'art est en cela apollinien, art de l'apparence qui transfigure et « rend l'existence digne d'être vécue ».

Si le cœur du monde bat sombrement, la belle apparence apollinienne éclaire l'abîme, épouse l'ascendance dynamique du dionysiaque,respecte sa vigueur, tout en masquant la souffrance qu'il pourrait engendrer. Critique de « l'art pour l'art » III. Cette phrase « l'art pour l'art » est encore une expression de Nietzsche, que ce dernier cite d'ailleurs en français dans le Crépuscule des idoles (raids d'un inactuels , §24).

Ce concept serait un serpent qui se mord la queue, un concept qui serait susceptible de faire croire (Kant) que l'expérience esthétique est une expérience désintéresséeune expérience objective.

Or, c'est encore ici un préjugé moral qui tente de bannir le désir, le corps.

Pourtant, les« les valeurs esthétiques reposent sur des valeurs biologiques », soit les pulsions et la perspective primant de l'une d'entre elles: « Tout art exerce une action tonique, augmente la force, enflamme le plaisir (i-e le sentiment de. »

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