Le langage traduit-il ou trahit-il nos pensées ?
Publié le 17/03/2005
                            
                        
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                                                                                                                            pour désigner des choses et rien que des choses : c'est seulement parce que le mot est mobile, parce qu'il chemined'une chose à une autre, que l'intelligence devait tôt ou tard le prendre en chemin	 ».
                                                            
                                                                                
                                                                    Le langage est à l'origine fait 	pour les choses, ce qui veut dire à la fois qu'à l'origine il ne saurait désigner  des genres des genres ne s'adapteraitpas à des sentiments personnels, et que le langage n'a pas toujours été investi par l'intelligence pour être un moyenà sa discrétion : par conséquent, le langage a aussi su désigner les choses.
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais l'intelligence a trouvé en lui un bonmoyen d'arriver à ses fins et se l'est approprié, étendant aux états de conscience ce qui ne pouvait valoir que pourles choses.
                                                            
                                                                                
                                                                    Néanmoins, le langage fait ici preuve d'autres virtualités : il est peut-être possible d'écarter le rôle del'intelligence pour redonner au langage une certaine positivité.	
C'est ce que l'exemple de l ‘écrivain nous permet de penser.
                                                            
                                                                                
                                                                    En effet, 	Bergson	 définit (dans « 	Le Rire	 ») l'art	comme « 	une vision plus directe de la réalité 	».
                                                            
                                                                                
                                                                    Or, il y a bien des arts, littérature, poésie, qui emploient le langage :	donc le langage peut lui aussi permettre de voir la réalité et donc de penser.
                                                            
                                                                                
                                                                    La question se présente là aussi enapparence sous forme de paradoxe : le rôle de l'écrivain consiste « 	à nous faire oublier qu'il emploie des mots 	».	Ecrirait-on malgré les mots ?  C'est qu'il y a dans le mot quelque chose qui transcende virtuellement l'usage quenous en faisons habituellement : c'est ce que 	Bergson	 appelle sa mobilité, c'est-à-dire son adaptivité à la chose.	On peut comprendre cela de deux manières :	
Ø       	D'abord  en ce que  chaque  mot transcende  le précédent  : c'est  la multiplicité  des mots  et des	qualifications qui finit ici par rattraper la mobilité de la chose.	
Ø     	En un second sens, c'est la métaphore juste qui permet au mot de se débarrasser de son rôle habitueld'attributeur de genres.
                                                            
                                                                                
                                                                    L'écrivain est celui qui est capable de faire dire aux mots les spécificités de ce àquoi le mot renvoie.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il n'est sans doute pas anodin de remarquer ici que cette théorie de la substitutionau « 	concept rigide	 » d'un concept « 	fluide	 » capable de dire la ré alité, intervient au moment où le roman	se  révolutionne,  et commence  à vouloir  épouser  la mobilité  de ce flux  intérieur  qu'est le flux  de laconscience (	Dostoievski	, Proust	, et bientôt 	Gide	 et 	Joyce	).	
Il va de soi que ces résultats concernent aussi la philosophie : un tel art d'écrire mis au service de la philosophie (etpar 	Bergson	 lui-même,  qui s'attribue  volontiers  les qualités  de l'écrivain)  permettra  de redresser  les erreurs	philosophiques que le langage et les concepts rigides ont sur la conscience.
                                                            
                                                                                
                                                                    Une conversion de l'attention (le bonusage de  la liberté)  et l'exigence de  précision (l'art d'écrire)  permettent de substituer au « 	concept rigide	 » un	« concept fluide	 » capable de dire la réalité, c'est-à-dire au fond capable de servir et d'exprimer la pensée.	
Chez 	Bergson	 donc, le langage apparaît vis-à-vis de la pensée comme pris dans un double rapport : non seulement	le langage, comme tout le système d'habitudes dont il dépend, jette un voile sur la vraie réalité, qui est durée et nepeut donc faire l'objet que d'une intuition, mais encore il renforce en le développant cet aveuglement inscrit dans lesbesoins de la vie, et nous empêche donc littéralement de penser : c'est le sens de la critique des idées générales,et de la définition  du mot comme « 	embryon de concept	 ».
                                                            
                                                                        
                                                                    	Bergson	 ira même plus loin en liant le langage aux	erreurs de la philosophie traditionnelle, notamment du scientisme, défini par lui comme un « 	verbalisme 	» : il faut	sortir de notre langage habituel  (et du langage philosophique qui n'échappe pas  à la critique) pour considérer ànouveau la réalité avec précision.
C'est donc que le langage est capable de servir une autre approche de la réalité : au « 	concept rigide	 », un effort,	une conversion de l'attention permettent de substituer le « 	concept fluide	 », qui s'approche de la chose dans la	mesure où il est doué de la même mobilité qu'elle.
                                                            
                                                                                
                                                                    Quoi qu'il en soit, et malgré ces concessions, on ne peut pourBergson	 penser que malgré les mots, quand toutefois on arrive à s'arracher de l'habitude solidifiée que représente	notre système linguistique.
Le présupposé de l'ensemble de cette analyse est très clair : la pensée, qui ne relève aucunement du même ordreque le langage, le subit au point de vouloir peut-être parfois s'en affranchir.
                                                            
                                                                                
                                                                    Bien souvent, quand nous éprouvons unétat d'une inhabituelle intensité, nous arguons de cette inadéquation du langage : « 	il n'y a pas de mots pour dire	ce que je ressens	 ».
                                                            
                                                                                
                                                                    Cette idée d'un au-delà des mots, ou plutôt d'un en-deçà, de cette fraction de la pensée qui	échapperait au langage en voulant s'en préserver, est une idée bergsonienne : c'est l'idée qu'il y a de l'ineffable,l'idée que la part la plus précieuse, la plus intime de notre pensée se galvauderait si on tentait de l'exprimer par desmots.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est là postuler  que la pensée  repose par essence  sur  quelque  chose d'antérieur  au langage  et àl'intelligence, et qui est de l'ordre de l'intuition, et donner le plus grand prix à ces éléments de pensée antérieurs ourebelles au  langage, c'est-à-dire  à l'ineffable.
                                                            
                                                                                
                                                                    Et c'est là précisément, on  va le voir, l'idée  à laquelle l'exigeanteconception de 	Hegel 	s'opposait fermement.	
(B) Il existe un ineffable
Il est des réalités intraduisibles par le langage:
            A) D'abord, dans le domaine psychologique.
                                                            
                                                                                
                                                                    Puisque le langage est essentiellement social,  la penséeautistique, celle qui demeure sans contact avec la réalité extérieure et avec autrui est donc incommunicable: chezles schizophrènes, l'aphasie n'a pas d'autre cause.
                                                            
                                                                                
                                                                    sans descendre jusque-là, il est certain qu'il existe dans la vieaffective (émotions,  sentiments,  passions) bien des nuances  individuelles  que le langage  ne traduit  que fortimparfaitement.
                                                            
                                                                                
                                                                    Bien des auteurs, et des plus classiques, ont fait allusion à ce 	"je-ne-sais-quoi"	 que le langage ne	parvient pas à exprimer.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est surtout dans la communication des consciences entre elles que cette insuffisance dulangage s'affirme.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Bergson	 l'avait signalé: 	"Le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal qui emmagasine ce.
                                                                                                                    »
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