Devoir de Philosophie

Le regard d'autrui peut-il faire obstacle à la connaissance de soi ?

Publié le 18/03/2011

Extrait du document

                 [Introduction ]    [détermination du problème]    L'être humain, en vertu de sa condition incarnée, se présente d'abord corporellement, comme un objet de la nature offert à la vue, au regard d'autrui. Il est observable, connaissable en quelque sorte. Pourtant, nous avons l'intuition que cette connaissance extérieure de l'être humain ne suffit pas à rendre compte de la personne en son identité singulière, en sa subjectivité inaliénable. L'homme est en effet à la fois et inséparablement sujet et objet, et cette dualité fait problème.    La connaissance d'une réalité phénoménale suppose une opération d'objectivation. Connaître une réalité, c'est, pour un sujet, constituer cette réalité en objet, afin d'identifier ses déterminations propres. En revanche, l'expression "connaissance de soi" indique une attitude réflexive du sujet à l'égard de lui-même. Cette attitude implique-t-elle un enfermement autarcique de la conscience sur elle-même ou suppose-t-elle, pour sortir du piège du subjectivisme, un nécessaire détour par une autre conscience qui portera un regard extérieur, plus objectif, sur la personne ? Dès lors, on peut se demander qui est le mieux placé pour connaître le soi, soi ou autrui ? Le regard extérieur d'autrui empêche-t-il ou favorise-t-il le processus de connaissance intérieur de soi ? 

« dire de se laisser réduire à son corps ? Le moi se révolte et cherche à échapper à ce "huis-clos" infernal.

S'affirmantirréductible à toute connaissance figée qui ne serait que prise de pouvoir, emprise aliénante, le moi révèle par lahonte son intériorité et son identité mystérieuse de sujet. [3°/ La parole permet un accès intérieur à l'autre comme sujet, et par là une connaissance du soi] En définitive la parole ne permet-elle pas de sortir de la tyrannie d'un regard qui ne vise qu'un corps-objet ? Le viol,lui, est sans parole, d'où sa violence glaciale, comme le tableau de Magritte, Le viol, le manifeste brutalement.

Peut-on alors laisser le regard livré à sa seule logique mutique et mortifère, là où la parole dévoile l'intimité personnelle ?Parler, c'est précisément se manifester comme conscience de soi, se dévoiler et se donner à connaître comme sujetincarné d'une parole.

C'est répondre personnellement à une parole qui me précède et c'est lancer un appel à uneautre conscience personnelle.

C'est donc la parole, plus que le seul regard, qui contribue à la connaissance de soi.Parler, c'est choisir de se faire face et de s'ouvrir à l'univers des significations humaines, relayé dans une culture.Par la parole et par l'écoute, le regard acquiert sa véritable signification personnelle.

Cette sortie de l'ambiguïté estmanifeste dans le tableau de Vermeer, Le soldat et la jeune fille souriant : le regard hospitalier de la jeune fille posésur un soldat inconnu et pourtant accueilli, libère un espace traversé d'une belle lumière.

La distance n'est pas niée(table), pas plus que le monde (carte).

La délicatesse de la scène vient de ce que la juste distance permet àchacun, dans un dialogue profond et simple, de se connaître en vérité, tout en respectant l'autre en son identitésingulière.

C'est la conjonction entre regard et parole qui permet une première sortie de l'ambiguïté du regard, enréconciliant extériorité et intériorité, en vue d'une authentique connaissance interpersonnelle. [II/ Appel éthique à une conversion du regard par l'expérience du visage] [1°/ L'alternative : envisager ou dévisager ?] La question du regard nous met devant l'obligation éthique de choisir.

Aucun regard n'est neutre, à l'image de laconscience elle-même qui n'est que de viser autre chose qu'elle-même, selon des modalités intentionnellementchoisies.

Ainsi est révélée ce que Husserl appelait l'intentionnalité de la conscience.

Le regard, confisqué par lamétaphysique traditionnelle, était tourné vers les essences, ces formes éternelles contemplées par l'âme.

La "vision"grecque (théoria) de l'eidôn (forme, essence, vision) peut se dégrader en prise de pouvoir totalisante, comme l'amontré Lévinas dans Totalité et Infini.

Quand Platon recommande de contempler "un beau corps", comme premièreétape vers la contemplation de la Beauté en soi, ne rend-il pas impossible la rencontre d'autrui comme personneunique, comme conscience de soi singulière ? Pour Lévinas, l'accès au visage d'autrui est d'emblée éthique.

Pour regarder l'autre en vérité, il faudrait partir de sonregard, de son visage, du lieu où il se révèle comme sujet ineffable et imprévisible, au creux même de sa fragilité.

Levisage n'est pas simplement la face.

Il ne s'agit plus de connaître au sens de de maîtriser, d'analyser, d'identifier lacouleur des yeux par exemple, mais bien plutôt d'entrer en relation.

Le visage dans sa nudité même introduit dansune autre dimension que la seule visibilité sensible, charnelle, désirante ou analysante.

Dans sa fragilité, le visaged'autrui me destitue de ma suffisance égotique.

Il est invitation à porter secours à la détresse du prochain.

Il estsens, parole, avant d'être objet : "tu ne tueras point".

Par là, le visage est accès à la vie éthique.

Pour un tellequalité de regard, le corps tout entier peut devenir visage, expression adéquate du mystère personnel,connaissance.

C'est à une telle connaissance intime d'autrui que nous convie Rembrandt, quand, sous les traits deBethsabée, il peint avec un infini respect, Hendrichje Stoffels, la compagne bien-aimée de ses vieux jours, ladrapant de gloire jusque dans sa nudité. [2°/ Le mystérieux pouvoir libérateur du regard : une source de vie.

] Le propre du regard spécifiquement humain est de quitter l'ordre de l'utilitaire et de la prise de pouvoir.

Il se faitcontemplatif.

Le regard humain a un mystérieux pouvoir de redonner vie, en témoignant d'un sens savoureux del'existence, au-delà des mots et de la matérialité du corps.

Un tel regard actualise, par la présence personnelle etvivifiante, une authentique connaissance qui relève de la sagesse.

Quand la vie n'a plus de saveur, quand l'absurdemenace, quand le désespoir ronge, rien de plus mystérieusement vivifiant qu'un regard gratuit, un regard d'enfantpar exemple, comme en témoigne le philosophe Olivier Clément : "J'avais résolu de me tuer.

Pourquoi attendre,pourquoi laisser encore le néant m'envahir comme une torture ? Qu'il me prenne tout de suite.

Alors j'ai senti qu'onme regardait.

C'était une petite fille de quatre ou cinq ans.

Ses yeux étaient pleins d'amitié.

Elle a souri.

Et j'aicompris que la lumière d'un regard - l'océan intérieur des yeux - était plus vaste que le néant piqueté d'étoiles, etqu'il y avait une promesse, et qu'il fallait vivre." (Olivier Clément, Dialogue avec le patriarche Athénagoras, Fayard,1969). A contrario, l'absence de tout regard d'autrui est absence mortifère de présence personnelle.

En faire l'expériencec'est prendre le risque de sombrer dans la folie, l'inconscience, la mort.

En définitive, un regard humain, mêmeambigu, même incertain, vaut mieux que l'absence de tout regard extérieur.

"Contre l'illusion d'optique, le mirage,l'hallucination, le rêve éveillé, le fantasme, le délire, le trouble de l'audition, … le rempart le plus sûr, c'estnotre frère, notre voisin, notre ami ou notre ennemi, mais quelqu'un !" écrit Michel Tournier dans Vendredi ou leslimbes du Pacifique.

Le regard d'autrui devient le garant de mon appartenance à l'humanité.

En me ré-insérant dansl'espèce humaine, il me rend à moi-même.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles