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Le sceptique est-il un ignorant ?

Publié le 17/08/2012

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Cependant l’objectif du scepticisme est au-delà de nous faire éviter l’erreur, libre de toute considération de savoir et d’ignorance. Il s’agit en réalité de nous faire parvenir à la quiétude loin des conflits des dogmes et de la douleur que l’on peut ressentir lorsqu’on découvre l’incohérence de ses certitudes : c’est ce que l’on appelle l’ataraxie. L’ataraxie désigne la tranquillité de l’âme résultant de la modération et de l’harmonie de l’existence. Elle provient d’un état de profonde quiétude découlant de l’absence de tout trouble ou douleur. Cette notion qui apparaît avec Pyrrhon d’Elis est le principe du bonheur dans le scepticisme. Au sein de l’école sceptique, l’ataraxie est le résultat de l’épochè. Elle consiste dans le fait, grâce à l’absence de jugements dogmatiques, de ne pas connaître ses désirs et ses craintes. Les sceptiques pensent que la valeur de l’ataraxie réside dan son caractère d’absence ou de déni de connaissance, c’est-à-dire que le scepticisme prône que l’idée de la connaissance n’est pas nécessaire à l’action mais qu’au contraire ce sont nos conviction qui nous paralysent : « En effet, celui qui affirme dogmatiquement que telle chose est naturellement bonne ou mauvaise est dans le trouble continuel. Quand il lui manque les choses qu’il considère comme bonnes, il estime qu’il est persécuté par les maux naturels et il court après ce qu’il pense être des biens. Les a-t-il obtenus, il tombe dans des troubles plus nombreux du fait […] que craignant un changement, il fait tout pour ne pas perdre ce qui lui semble être des biens. Mais celui qui ne détermine rien sur les biens et les maux selon la nature ne fait ni ne recherche rien fébrilement ; c’est pourquoi il est tranquille « (Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes). L’ataraxie s’apparente donc à une grande indifférence, un détachement face aux affects qui permet à l’individu d’envisager une vie libérée des troubles. La vie de Pyrrhon est en cela représentative de sa pensée : « Il n’évitait rien, ne se gardait de rien, supportait tout, au besoin d’être heurté par un char, de tomber dans un trou, d’être mordu par des chiens « (Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres). 

« uniforme et totalitaire, en guerre perpétuelle dans un climat apocalyptique.

Ainsi la philosophie sceptique peut paraître obscurantiste, faisant profession de non-savoiret de destruction du savoir. Il résulte de cela qu'associer au savoir un dogme ou une valeur de vérité aboutit à définir le sceptique comme un ignorant voire un obscurantiste.

Une telle définitionest pourtant fort peu représentative de la réalité du scepticisme.

En effet, le sceptique suspend son jugement pour ne pas tomber dans l'erreur.

Il ne cesse cependant dechercher la vérité ; sa méthode est si efficace qu'elle sera reprise et dépassée par de nombreux philosophes jusqu'à aujourd'hui. Pourquoi le sceptique suspend-il son jugement ? C'est dans la réponse à cette question que se cache la distinction radicale entre le sceptique et l'ignorant.Contrairement à l'ignorant, le sceptique ne suspend pas son jugement parce qu'il ne connaît rien sur la question mais parce qu'à chaque raison valable il peut opposerune autre raison tout aussi valable : « Le scepticisme est la faculté de mettre face à face les choses qui apparaissent aussi bien que celles qui sont pensées […],capacité par laquelle, du fait de la force égale qu'il y a dans les objets et les raisonnements opposés, nous arriverons d'abord à la suspension de l'assentiment, puis à latranquillité de l'âme » (Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes).

Ainsi le sceptique pèse le pour et le contre de chaque dogme.

En effet, sceptique provient duverbe grec skeptomai, « j'examine » ; examiner provient lui-même du latin exigo, « peser, mesurer ».

On constate alors que la philosophie sceptique repose sur unraisonnement, une logique interne —les nombreuses expressions sceptiques en témoignent—, ce dont est dépourvu l'ignorant.

Ayant vu qu'à chaque raison on peutopposer une raison égale, le sceptique suspend son jugement pour ne pas risquer de tomber dans l'erreur en choisissant l'une ou l'autre.

Le scepticisme ne peut donc enaucun cas produire l'ignorance au sens de faux savoir.

Selon Descartes, la pratique volontaire de la suspension du jugement, qui nécessite d'avoir conscience de sapropre ignorance, est un processus très difficile : « Ce dessin est pénible et laborieux, et une certaine paresse m'entraîne insensiblement dans le train de ma vieordinaire » (Méditations Métaphysiques).

En effet, l'homme est naturellement enclin à la croyance.

Il apparaît alors que le sceptique est doué d'une grande forced'esprit, contrairement à la faiblesse d'esprit de l'ignorant.

Le doute volontaire, permanent et universel démasque les faux savoirs et détruit les fausses certitudes.

Lesceptique est conscient de sa propre ignorance, et ne prétend pas connaître ce qu'il ne connaît pas.

La tragédie de l'ignorance est d'engendrer une vie hébétée, qui ne seconnaît pas elle-même.

La démarche sceptique, à la manière de la maïeutique de Socrate, sera de montrer aux hommes leur ignorance pour les en libérer.

« Tout cequi est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve » (Euclide).

En opposant à chaque raison une raison valable, les sceptiques déconstruisent les axiomatiques et lesdogmes qui prétendent détenir la vérité, prouvant aux dogmatiques le caractère illusoire et subjectif de leur savoir.

La philosophie sceptique incite donc les âmes àsortir de l'ignorance, de l'erreur pour nous rapprocher de la vérité.

Le sceptique est donc radicalement opposé à l'ignorant ; sa philosophie, si elle ne nous offre pasdirectement la vérité, nous en rapproche en nous soustrayant à l'erreur.« Tous ces philosophes [les sceptiques] furent appelés […] chercheurs, parce qu'ils cherchaient partout la vérité » (Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences desphilosophes illustres).

Ainsi, le philosophe sceptique est en permanente recherche de la vérité, ce qui peut paraître étonnant suite à notre précédent regard.

SextusEmpiricus distinguera trois types de philosophies : la philosophie dogmatique qui prétend faire des découvertes, la philosophie académique d'Arcésilas qui nie qu'onpuisse faire des découvertes et la philosophie sceptique qui continue de chercher.

En cela la philosophie sceptique est chercheuse, elle se base sur la recherche etl'examen : le terme sceptique est issu du grec skeptomai qui signifie « j'observe, j'examine ».

Il est donc avant tout un enquêteur.

Le sceptique, s'il affirme qu'il nepeut pas savoir avec certitude qu'il a atteint la vérité, ne cesse de rechercher la vérité afin de ne pas s'en tenir aux affirmations dogmatiques du siècle.

C'est ce que l'onappelle la zététique.

Ce terme souligne que par essence, le scepticisme est une recherche qui n'a pas pour vocation de cesser ; Le sceptique n'affirme rien, pas mêmequ'on ne peut rien affirmer : c'est pourquoi il cherche.

S'il a recours à l'aporie, c'est pour ne pas ce reposer sur des croyances injustifiées ; en effet, les véritésd'aujourd'hui sont les erreurs de demain.

On peut citer comme exemple la théorie aristotélicienne de l'héliocentrisme, mise à mal par la suite par Copernic et Galilée.Ainsi le sceptique peut très bien entreprendre des recherches sur le fonctionnement du monde, à condition de ne pas prétendre parvenir à des vérités.

Ces recherchesne doivent avoir pour but que de produire des arguments permettant de contrer ceux utilisés par les dogmatiques.

On comprend donc que le scepticisme n'exclut pasl'étude : au contraire il l'encourage.

Il est en effet nécessaire de bien connaître les théories des différents dogmatiques pour les opposer les unes aux autres et lesréfuter.

Les sceptiques emploient donc une méthode rigoureuse de recherche et de démonstration.

Leur but est l'examen de chaque affirmation en vue d'y déceler lesvices de raisonnement.

L'examen sceptique fait appel à de nombreux raisonnements logiques afin de détruire les prétentions à la connaissance.

Pour ce faire lessceptiques ont rassemblé diverses techniques argumentatives : les modes, ou les tropes.

Ces techniques mettent en évidence la faiblesse des démonstrations en étudiantdes vices comme le diallèle ou la régression à l'infini.

Les sceptiques préviennent ainsi les hommes de la tendance naïve de considérer comme vraies toutes lesassertions logiquement démontrées.

L'habileté technique des sceptiques conduit à la remise en question de tout savoir.

Le scepticisme nécessite donc une grandeconnaissance non seulement des techniques de recherche mais aussi des dogmes eux-mêmes en vue de les réfuter.

Considérons dans ce paragraphe le savoir commesomme de connaissances, et rapportons-nous à Kant qui définit la connaissance comme « la matière, c'est-à-dire l'objet, et la forme, c'est-à-dire la manière dont nousconnaissons l'objet » (Logique), sans lui accorder de valeur de vérité.

Le sceptique doué de cette importante somme de connaissance est alors porteur d'un grandsavoir.Il en résulte que la méthode sceptique sera très largement utilisée aux siècles suivants pour chercher la vérité.

Certains philosophes, à l'image de Descartes, Hume etKant, utilisent la doute radical propre au scepticisme pour fonder de nouvelles vérités.

Considéré comme un instrument, le scepticisme est un tremplin pour laconnaissance et le savoir.

Descartes décidera ainsi d'aller jusqu'au bout du scepticisme en appliquant un doute radical sur tout « ce en quoi il y a le moindre doute »(Méditations Métaphysiques).

Descartes ose même porter le doute sur sa propre existence et sur la certitude mathématique, en faisant appel à l'imagination : c'est ledoute hyperbolique.

L'argumentation est inflexible et empruntée au sceptique : à chaque argument, Descartes oppose un argument égal qu'il réfute par la suite, telque l'argument des fous (Méditation Première).

Descartes doute de tout, ce qui laisse penser à la fin de la Méditation Première qu'il est sceptique : « Et si, par cemoyen, il n'est pas en mon pouvoir de parvenir à la connaissance d'aucune vérité, à tout le moins il est en ma puissance de suspendre mon jugement ».

Cependant dudoute, il va dégager un vérité inébranlable : son existence.

Descartes est une chose qui pense, indépendamment du fait que le malin génie veuille le tromper.Descartes a donc dépassé le scepticisme pour aboutir à une vérité qui lui permettra de fonder le système des sciences.

C'est Hume, au XVIIème siècle, qui adapte lescepticisme à sa philosophie, créant un scepticisme mitigé à bien distinguer du pyrrhonisme.

Son scepticisme a pour but la connaissance.

Hume s'este emparé dudoute sceptique pour contester le dogmatisme rationaliste qui concevait le savoir comme reposant sur des vérités absolues.

En utilisant son principe de causalité, ildémontre que rien, sauf l'habitude, ne nous assure que le soleil se lèvera demain.

Les principes métaphysiques ne sont donc pas nécessaires à la production des loirsscientifiques —empiriques, certes.

Ainsi faisant Hume dépasse le pyrrhonisme dont il fait la critique dans les Dialogues sur la religion naturelle : pour lui, lescepticisme doit rester modéré et ne constituer en aucun cas un aboutissement.

Plus tard, Kant utilisera à son tour le scepticisme pour faire la critique de lamétaphysique.

Mais son but est de conduire la métaphysique dans une meilleure direction, et de sauver le savoir de toute atteinte du scepticisme.

Le scepticismedevient alors un outil provisoire de la réflexion, un moment négatif du savoir qui permet la recherche et le fondement de la vérité.

C'est en cela que le scepticisme nemérite en aucun cas le qualificatif d'ignorant. Ainsi, le sceptique est le contraire d'un ignorant.

Sa force d'esprit, associée à sa grande connaissance des phénomènes et des dogmes issue de l'observation luipermettent de dévoiler aux hommes leur ignorance et ainsi les rapprocher de la vérité.

Leur méthode est si efficace qu'elle sera utilisée et dépassée plus tard pard'autres philosophes pour fonder la vérité.

En somme, la condition du sceptique se résume assez bien par le terme d'ignorance savante.

Malgré ses préceptes, lescepticisme n'empêche pas le philosophe de vivre dans un dogme.

En effet, la fin du sceptique n'est pas tant la vérité que l'ataraxie. L'oxymore ignorance savante est le plus propre à qualifier l'état du sceptique.

Celui-ci, à la manière de Socrate, « sait qu'il ne sait rien » (Platon, Apologie deSocrate).

Et c'est justement la conscience de sa propre ignorance qui motive le scepticisme.

Le sceptique n'est ni un savant, ni un ignare.

Ni un savant, puisqu'ils'oppose profondément au dogmatisme ; ni un ignare, puisqu'il a conscience de son ignorance.

Et c'est le bien de l'ignare que de ne pas se savoir ignorant.

Comme ledit Montaigne : « L'ignorance qui se sait, qui se juge, qui se condamne, ce n'est pas une entière ignorance : pour l'être, il faut qu'elle s'ignore elle-même » (Les Essais).Le sceptique n'est donc pas vraiment un ignorant selon Montaigne : il se tient en équilibre sur le savoir d'une part et l'illettrisme d'autre part.

Deux termes qui font en. »

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