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Le temps est-il la marque de mon impuissance ?

Publié le 12/02/2005

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temps
Impossible d'arrêter ou d'accélérer cette énorme machine, de ralentir sa vitesse et à plus forte raison d'obtenir qu'elle fasse marche arrière. Il suffirait parfois d'un instant pour que soit évitée une catastrophe : cet instant n'est pas à la disposition de l'homme. Ensuite et en conséquence de cette intangibilité du rythme temporel, nous nous trouvons aussi impuissants à l'égard de ce qui se passe dans le temps. Sur le passé, nous ne pouvons plus rien puisqu'il n'est plus là, puisqu'il est tombé dans le néant. Bien plus, chose paradoxale, devant ce néant, notre impuissance est absolue : nous pouvons changer ce qui est, mais ce qui n'est plus est immuable pour l'éternité. C'est bien là ce qui fait le tragique du remords et la tristesse des soirs d'une vie manquée. L'avenir, il est vrai, n'offre aucune résistance et nous pouvons le créer à notre guise, mais en rêve seulement, et le décalage que nous constatons entre le rêve et la réalité nous fait douloureusement sentir combien nos pouvoirs sont limités. Nous n'avons d'action que dans le présent, lequel, étant instantané, ne saurait constituer le temps. L'espace, marque de notre puissance. En passant du temps à l'espace, nous pouvons reprendre les mêmes formules, mais en intervertissant les signes, et en substituant puissance à impuissance.
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« m'étant rendu de Paris à Strasbourg, je puis revenir à Paris ou prendre la direction de mon choix.

Si le voyage aucentre de la terre ou dans le monde des astres offre plus de difficultés, celles-ci ne viennent pas de l'espace qui estpartout le même.

Nulle part je ne le rencontre devant moi comme un obstacle.

Il s'offre toujours comme le lieu d'uneaction possible, rappel de ma puissance.On peut donc le reconnaître : LAGNEAU était fondé à dire que « l'espace est la marque de notre puissance, le tempscelle de notre impuissance ». II.

— COMMENTAIRE. Après notre effort systématique pour entrer en quelque sorte dans la pensée de LAGNEAU et la mieux comprendre, ilconvient de nous en dégager pour observer si son point de vue est le seul possible. Essai d'antithèse.Pour cela, voyons si nous ne pourrions pas prendre l'exact contre-pied de ce qu'il affirme. L'espace, marque de notre impuissance. — Il semble bien que les vues pessimistes sur le temps qui, pour les vivants, aboutit à la mort, sont dues à l'action de la philosophie existentielle.

Si le poète et le bourgeois cultivé qui,dans leur désoeuvrement, se replient sur eux-mêmes, butent à l'obstacle du temps, il n'en est pas de même de lamasse des travailleurs dont la peine est due principalement à l'espace.

Peine physique qui résulte des déplacementsde diverses sortes : marches épuisantes, transport de matériel...

Peine morale de l'éloignement des siens.

Parl'espace, nous sommes en quelque sorte attachés à une petite région d'où il .nous est difficile de nous écarter etdans laquelle nous sommes pratiquement comme prisonniers.

Les techniques modernes ont remporté de grandesvictoires sur l'espace : le cercle de nos possibilités s'est élargi.

Mais il reste toujours devant nous ces « espacesinfinis » qui effrayaient PASCAL et devant lesquels nous sentons notre ridicule petitesse.Qu'on ne nous objecte pas que l'infinité du temps donnerait lieu à des réflexions analogues.

En effet, si le passé etl'avenir se donnent comme infinis, ils n'existent pas à la manière de l'espace, puisque le passé n'est plus et quel'avenir n'est pas encore.

On ne saurait donc se heurter à eux et leur irréalité même nous donne bien des possibilitésà leur égard.Le temps, marque de notre puissance. — Nous pouvons plus que le caillou qui pave la route et même que le chêne dont nous contemplons la haute cime.

Pourquoi ? Parce que, au lieu que la chose matérielle n'est, suivant lacélèbre expression de LEIBNIZ, qu'une mens momentanea (un esprit ou une pensée qui n'existe que dans l'instant), nous sommes un esprit qui dure, qui se prolonge dans le temps.Nous avons supposé, pour mieux comprendre l'affirmation de LAGNEAU, quenous n'existions et n'agissions qu'au présent.

A l'appui de cette affirmation onpeut apporter des raisonnements subtils : elle est contraire aux faits qui nousmontrent au contraire que nous utilisons constamment le passé et l'avenir, etque de là vient notre puissance. 1.

Le passé fut ce qu'il fut et nous ne pouvons pas le changer en lui-même.Mais cela dit, combien est malléable l'idée que nous nous en faisons etcombien précieuse la connaissance que nous en avons !Le même passé objectif est bien différent suivant les perspectives de celui quil'évoque.

Dans l'image que nous nous faisons de notre passé personnel lui-même, il se produit des changements plus radicaux que ceux qui résultentd'un dépaysement sur la planète.

Le passé n'est donc pas pour nous ce livreachevé d'imprimer auquel on ne saurait ajouter une lettre.

C'est un livreconstamment récrit, et il reste toujours au pouvoir de chacun de donner unenouvelle édition de son histoire.Ces rééditions, il est vrai, se font d'ordinaire sans que nous l'ayons décidé,sous l'influence des sentiments qui dominent en nous, en sorte que ce n'estpas par là que se manifeste notre vraie puissance.

Celle-ci résulte de lapossibilité d'utiliser pour l'action notre connaissance du passé; elle est faited'expérience et de savoir.

Or, l'expérience et le savoir qui font, aujourd'hui plus que jamais, la valeur de ces techniciens qui organisent la planète en attendant d'aller coloniser au-delà,supposent l'existence temporelle qui est l'apanage de l'homme et la capacité de survoler le temps. 2.

Ce survol s'étend aussi à l'avenir qui se présente comme une suite du passé.

Grâce à ce rapport, lesconstructions de l'esprit relatives à des époques encore éloignées ne sont pas chimériques.

Elles préparent lesconstructions réelles et le travail dans le présent n'est efficace que grâce à une longue élaboration antérieure.Quelle serait notre impuissance si nous étions réduits au présent ! 3.

Enfin, le présent lui-même qu'une analyse mathématique réduit à une ligne dépourvue de toute épaisseur, ne seréduit pas à l'instant : ce n'est pas en juxtaposant des unités de cet ordre que pourrait se constituer le temps.

Telqu'il se donne à nous, le présent lui-même est une partie du temps; il a une certaine durée.

C'est précisément grâceà cette durée que je puis comprendre une phrase dont les éléments se répartissent sur plusieurs secondes, bienplus, saisir l'armature d'un long raisonnement, ou le plan d'une entreprise dont la réalisation prendra des années.Ainsi notre puissance tient à ce que nous sommes dans le temps et non dans l'instant.Il semble donc possible d'inverser l'affirmation de LAGNEAU et de considérer l'espace comme la marque de notreimpuissance, le temps comme celle de notre puissance.. »

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