Le travail et la technique Karl Marx, Lettre à Annenkov, le 28 décembre 1846 (commentaire)

« Comme l'écrit Marx, « la société ne se compose pas d'individus, elle exprime la somme des rapports et des conditions dans lesquels se trouven t ces individus les uns vis-à-vis des autres ».

La société est donc une réalité pratique, non pa s le cadre dans lequel se déroulent les actions humaines, mais le fruit de ces actions réci proques - production, échanges, consommation...

Comment se déterminent les rapports sociaux ? Sont-ils librement choisis ? Cela signifie-t-il que les hommes puissent libremen t choisir les formes d'organisation sociale qui leur conviennent, à un moment donné ? P euvent-ils, par exemple à l'occasion d'une élection, faire un « choix de société », selo n l'expression actuelle ? Nullement, d'après Marx.

La forme que prend une société à un moment de l'histoire est strictement déterminée par « l'état des forces productives », c'est-à-dire d'une part par l'état de développement des techniques, d'autre part par le mode d'appropriatio n de ces techniques.

Ils sont déterminés par l'état des techniques Prenez le soc et la charrue, il en découle un certain type d’organisation villageoise, une certaine taille de la société humaine ; prenez les outils de l'artisan, il en découle les corporations, les rapports entre maître et compagno n ; prenez le métier à tisser, la machine à vapeur, l'usine et sa chaîne, et vous obtiendrez encore des rapports sociaux différents.

Prenez l'avion, le téléphone, l'ordinateur, les « a utoroutes de l'information », et vous obtiendrez la mondialisation de l'économie, les dél ocalisations.

Si un prolétaire du XIXe siècle est un prolétaire, c'est parce que l'état du développement des techniques à son époque a produit la grande industrie, les usines, d es machines suffisamment complexes et coûteuses pour ne pouvoir être possédées que par qu elques grands capitalistes, parce que les chaînes de production exigent le regroupement d 'une grande masse de main-d’œuvre autour des usines.

Notre identité sociale - c'est-à -dire pour Marx notre identité véritable - est déterminée par l'état de développement des tech niques à la période de l'histoire où nous vivons.

Conséquences Ce serait donc passer totalement à côté de la natur e du développement technique que de n'y voir que la production d'objets de plus en plus sophistiqués, ou simplement d'outils de travail de plus en plus performants.

Qu i est un homme sur le plan social dépend du type de travail qu'il accomplit au sein de sa so ciété pour assurer sa survie.

Et ce type de travail dépend directement de l'état du développeme nt des techniques.

On le voit à l'inquiétude qu'a pu susciter, dans le monde du tra vail, l'introduction du métier à tisser, ou de la robotisation : chacun sent bien que c'est sa place même au sein de la société qui est remise en cause.

Chaque innovation technique produi t par contrecoup des réaménagements dans la façon dont se structure le corps social et s'y répartissent les tâches.

La technique est avant tout le soubassement qui détermine la nature des rapports sociaux qui assignent à leur tour, à chacun, la place qui lui revient.

La t echnique ne désigne pas un ensemble d'instruments ou d'outils mais la technique fait mo nde.

À travers mon rapport à l'objet technique, c'est l'ensemble de mon rapport au monde qui se trouve mobilisé.

Le rapport à la nature. »