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Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde. Bertolt Brecht

Publié le 22/02/2012

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Dans des Notes, rédigées quelque treize années après l'écriture de la pièce, Brecht identifie celle-ci à une « parabole dramatique» : « Ui est une parabole dramatique écrite avec le dessein de détruire le traditionnel et néfaste respect qu'inspirent les grands tueurs.» Cette expression est révélatrice de la fonction que Brecht assigne à son théâtre. Il suffit de se reporter aux paraboles des évangiles pour comprendre que, à l'instar du Christ, Brecht se propose de secouer l'apathie, voire l'inertie de ses interlocuteurs (les spectateurs, en l'occurrence). Ces derniers, selon l'épilogue, n'ont que trop tendance à «regarder bêtement» le spectacle, à se laisser détourner par l'illusion théâtrale, au lieu de s'engager dans une réflexion mûrement conduite. « Apprenez à voir », précise-t-il, ce qui met en cause la saisie de la vérité qui se dissimule, au-delà des apparences du spectacle vu et entendu.
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« destiné à être dévoilé.» (Marc, IV, 22)Brecht invente, tout d'abord, un récit dont il nous donne la représentation dramatique en une série de tableauxmettant aux prises les gangsters, le trust du chou-fleur, les détaillants de légumes et quelques autres personnagesreprésentatifs (Ignace Dollfoot, le journaliste; Hindsborough, l'administrateur, le juge; la femme couverte de sangetc.), afin de dénoncer les méthodes (exactions, intimidations, violences en tout genre) grâce auxquelles les milieuxde la pègre imposent leur mainmise sur le commerce du chou-fleur à Chicago, Cicero et, bientôt, dans toutes lesgrandes villes des Etats-Unis.Tel est le récit que l'action dramatique organise et articule et qui, pour emprunter le détour du gangstérisme desannées trente, n'en dévoile pas moins les ressorts d'une société en crise, dont les valeurs morales cèdent àl'impitoyable affrontement des intérêts, crise dont profite le gang dirigé par Arturo Ui.Or cette société en proie à la corruption et à la violence meurtrière, Brecht la désigne comme étant la transposition,à une tout autre échelle, dans un autre milieu, de la société allemande qui lui est à peu près contemporaine, cellequi a donné naissance à la montée du nazisme et à l'ascension d'Hitler.La parabole (le terme grec signifie la comparaison) s'éclaire, grâce, en particulier, aux écriteaux qui viennentconclure de nombreux tableaux de la pièce.

Ne retenons qu'un exemple significatif, l'incendie, par les gangsters, del'entrepôt de Hook : Brecht effectue un rapprochement avec l'incendie du Reichstag, suggérant, de la sorte,qu'Hitler recourt à la même mesure d'intimidation pour assurer son hégémonie.

Le cynisme des gangsters, toutcomme celui d'Hitler, participe d'une même violence, qu'il est aisé d'interpréter comme l'instrument de l'appétit depuissance et du totalitarisme : «GOBBOLA, volubileCelui qui venait de nous direQue le calme régnait dans l'alimentationVoit son dépôt brûler! Une main criminelleEn cendres l'a réduit.

Ouvrirez-vous les yeux? Êtes-vous aveuglés? Unissez-vous! De suite!rugissantNous en sommes donc là! D'abord on assassine, Ensuite on met le feu.

Chacun, il m'a semblé,Verra clair maintenant! Car chacun est visé!Apparition d'un écriteau: 'En février 1933 le Reichstag fut détruit par un incendie.

Hitler accusa ses adversaires d'yavoir mis le feu et donna le signal de la nuit des longs couteaux.» Bien plus, les noms des personnages, tout en ayant des consonances anglo-saxonnes ou italiennes, s'apparententaux noms des acteurs du Ille Reich : Hindsborough rappelle Hindenburg, président de la République allemandejusqu'en 1934 : Armanuel Gori évoque Herman Goering, qui sera en 1940 le chef de l'économie de guerre; ErnestoRoma est Ernst Röhm, le chef d'état-major de Hitler en 1930, assassiné en 1934; Giuseppe Gobbola renvoie auministre de la Propagande Goebbels nommé par Hitler en 1933.

Arturo Ui rappelle, de loin, Adolf Hitler.Le propos de Brecht est clair.

Il s'agit, d'une part, de dénoncer la fausse grandeur du chef charismatique qu'Hitler aprétendu incarner : la parabole opère, à cet effet, en réduisant le nazisme au grand banditisme.

La mise en évidencedes procédés et des méthodes menant au succès y concourt : imposture et violence systématiques.

D'autre part, ladémystification sera d'autant plus efficace qu'elle soulignera le ridicule des prétentions affichées, sitôt qu'on lesconfronte aux triviales réalités qui les démasquent.Pour que le spectateur ne se laisse pas fasciner par le spectacle qu'on lui exhibe (dans la réalité quotidienne aussibien que sur la scène du théâtre), pour qu'il ne soit pas tenté de céder, face à la violence, comme le vieilHindsborough, Ignace Dollfoot (alias Engelbert Dollfuss, le chancelier d'Autriche assassiné par les nazis en 1934), ouencore les détaillants des légumes rackettés par les gangsters, il faut que les «illustres héros», comme nous enavise le Bonimenteur dans le prologue, soient rendus grotesques à la manière du « clown vedette», Armanuel Gori,qui nous est présenté cavalièrement dans le prologue.

Dans son Journal de travail, à la date du 24 avril 1941, Brechtconsidère sa pièce comme « une farce historique», ce qu'en effet tend à faire valoir le mélange constant du langagenoble et du discours le plus familier, voire grossier, qui caractérise le style des gangsters.Si l'on ajoute que la quasi-totalité du texte est versifiée (en majorité des alexandrins), on comprendra que Brecht nerecourt au « grand style tragique», comme il est dit dans le prologue, qu'en vue de faire apparaître la constantediscordance, sensible dans le langage même des acteurs du drame, entre l'apparence « héroïque » et solennelled'une part, et d'autre part, le grotesque, tantôt bouffon, tantôt horrible, de la situation réelle.La «bête immonde» n'est redoutable que pour autant qu'elle fait peur et qu'elle tire le meilleur parti del'aveuglement, de la cupidité ou de la lâcheté de ses victimes.

Le rire désarme, réduit à l'impuissance la férocité pourainsi dire calculatrice et cauteleuse des fiers-à-bras.

Voici un échantillon, dans le registre « noble » de l'enfluregrotesque du « protecteur » de Cicero : «Je n'ai point refusé de prendre CiceroA son tour sous ma protection.

Mais aussitôtJ'ai posé une condition.

Cela doit êtreLe voeu des détaillants.

D faut qu'un libre choixM'appelle, je le veux.

J'ai bien dit à mes hommesPas de pression sur Cicero, d'aucune sorte!'La ville est libre entièrement de me choisir.Pas de 'Soit!' ronchonnant, de grinçant 'A votre aise!'. »

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