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L'écriture contre l'oubli ? de G. GARCIA-MARQUEZ

Publié le 09/01/2020

Extrait du document

Le texte qui suit n'est pas extrait d'une œuvre philosophique ou d’un traité théorique sur le langage, mais d'un roman. Nous n'en proposerons donc pas d'analyse conceptuelle, mais nous nous y référerons pour éclairer le sens du texte de Platon qui lui fait suite.

De mystérieux étrangers ont apporté la peste et l'insomnie aux habitants du petit village de Macondo. Très vite ceux-ci s'aperçoivent qu'ils perdent aussi la mémoire : l'un d'eux pense avoir trouvé dans l'écriture un remède contre l'oubli.

Ce fut Aureliano qui conçut la formule grâce à laquelle ils allaient se défendre pendant des mois contre les pertes de mémoire. Il la découvrit par hasard. Expert en insomnie puisqu’il avait été l’un des premiers atteints, il avait appris à la perfection Fart de l’orfèvrerie. Un jour, en cherchant la petite enclume qui lui servait à laminer les métaux, il ne se souvint plus de son nom. Son père le lui dit : « C’est un tas. » Aureliano écrivit le nom sur un morceau de papier qu’il colla à la base de la petite enclume : tas. Ainsi fut-il sûr de ne pas l’oublier à l’avenir. H ne lui vint pas à l’idée que ce fût là un premier symptôme d’amnésie, parce que l’objet en question avait un nom facile à oublier. Pourtant, quelques jours plus tard, il s’aperçut qu’il éprouvait de la difficulté à se rappeler presque tous les objets du laboratoire. Alors il nota sur chacun d’eux leur nom respectif, de sorte qu’il lui suffirait de lire l’inscription pour pouvoir les identifier. Quand son père lui fit part de son inquiétude parce qu’il avait oublié jusqu’aux événements les plus marquants de son enfance, Aureliano lui expliqua sa méthode et José Arcadio Buendia la mit en pratique dans toute la maisonnée, et l’imposa plus tard à l’ensemble du village. Avec un badigeon trempé dans l’encre, il marqua chaque chose à son nom : table, chaise, horloge, porte, mur, lit, casserole. Il se rendit dans l’enclos et marqua les animaux comme les plantes : vache, bouc, cochon, poule, manioc, malanga, bananier. Peu à peu, étudiant les infinies ressources de l’oubli, il se rendit compte que le jour pourrait bien arriver où l’on reconnaîtrait chaque chose grâce à son inscription, mais où l’on ne se souviendrait plus de son usage. Il se fit alors plus explicite. L’écriteau qu’il suspendit au garrot de la vache fut un modèle de la manière dont les gens de Macondo entendaient lutter contre l’oubli : Voici la vache, il faut la traire tous les matins pour qu’elle produise du lait et le lait, il faut le faire bouillir pour le mélanger avec du café et obtenir du café au lait. Ainsi continuèrent-ils à vivre dans une réalité fuyante, momentanément retenue captive par les mots, mais qui ne manquerait pas de leur échapper sans retour dès qu’ils oublieraient le sens même de l’écriture.

Gabriel Garcia-Marquez, Cent ans de solitude, trad. Claude et Carmen Durand, Seuil, 1968, pp. 55-56.

« son usage.

Il se fit alors plus explicite.

L'écriteau qu'il suspendit au garrot de la vache fut un modèle de la manière dont les gens de Macondo entendaient lutter contre l'oubli: Voici la vache, il faut la traire tous les matins pour qu'elle produise du lait et le lait, il faut le faire bouillir pour le mélanger avec du café et obtenir du café au lait.

Ainsi continuèrent-ils à vivre dans une réalité · fuyante, momentanément retenue captive par les mots, mais qui ne manquerait pas de leur échapper sans retour dès qu'ils oublie­ raient le sens même de l'écriture.

Gabriel GARCIA-MARQUEZ, Cent ans de solitude, trad.

Claude et Carmen Durand, Seuil, 1968, pp.

55-56.. »

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