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Les cérémonies de la caresse

Publié le 19/03/2015

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Les cérémonies de la caresse

Le désir est une tentative pour déshabiller le corps de ses mouvements comme de ses vêtements et de le faire exister comme pure chair : c'est une tentative d'incar­nation du corps d'Autrui. C'est en ce sens que les caresses sont appropriation du corps de l'Autre : il est évident que, si les caresses ne devaient être que des effleu­rements, des frôlements, il ne saurait y avoir de rapport entre elles et le puissant désir qu'elles prétendent combler : elles demeureraient en surface, comme des regards, et ne sauraient m'approprier l'Autre [...1. C'est que la caresse n'est pas simple effleurement : elle est façonnement. En caressant autrui, je fais naître sa chair par ma caresse, sous mes doigts. La caresse est l'ensemble des cérémonies qui incarnent autrui.

 

Sartre, L'Être et le Néant, Gallimard, p. 440-441.

« 124 L'aventure des sens la pointe des gestes.

Les doigts subtils esquissent l'imaginaire dans la chair touchée, recomposée, comme reformée de toutes ces caresses.

Cérémonie lente et tendue, effacement graduel des dis­ tances.

L'air est plus vif, qui découvre la nudité offerte et son frisson immobile.

Le dialogue silencieux des corps et des cœurs libère son mouvement.

L'attente s'accomplit, et toute pensée s'incarne, pour vivre l'aventure de la rencontre.

Caresse.

Dans le mouvement charnel de la conscience, deux moitiés du monde se blottissent contre la parfaite frontière qui les sépare et les unit.

Le corps est à la fois sentant et senti, quand l'expérience enfin n'est plus simple rencontre extérieure, mais incarnation mutuelle de la présence à l'éclosion de la lumière.

Qui est sujet? Qui est objet? Une étrange fusion maintient dis­ tingué ce qu'elle unit, mais y fait vivre la chaleur dense d'une émotion commune, source étonnée du paysage des choses.

Objet du désir, le corps le vit comme conscience.

C'est lui qui l'éprouve et il se sait entièrement habité par lui.

Vécue dans la chaleur intime du plaisir, cette distance intérieure fait aussitôt du corps un sujet qui advient en quelque sorte comme la forme sensible de la pensée.

Les êtres qui se mêlent s'appar­ tiennent à eux-mêmes tout en vivant comme une magie l' éli­ sion des limites.

Cette expérience toujours première n'a qu'un temps, mais elle inonde l'existence de sa mémoire.

Elle res­ tera, vertige d'une dialectique sensible où les consciences se répondent à jamais.

L'amour porte au-delà, furtive expérience d'éternité.

Dans la nuit profonde, il affirme un envol fragile mais définitif.

Le désir est bien ce qui révèle la chair à elle-même, par-delà les gestes utiles et les habitudes quotidiennes.

C'est qu'il porte la conscience à son point d'incandescence, en stimulant la faculté d'éprouver où le corps fait l'expérience de l'intention qui l'exalte.

Cérémonial de la rencontre, par laquelle prend vie le partage projeté.

Deux êtres découvrent qu'ils existent pour eux-mêmes dans le moment précis où ils accèdent l'un à l'autre.

Expérience précieuse que fait l'humanité de son accomplissement natif, de sa conscience révélée à nouveau.

L'autre, sans cesser d'être autre, reste mon semblable dans cette façon de vivre le désir et de révéler la chair, de m'in­ carner en s'incarnant lui-même.

L'aventure des sens touche ici à la pensée la plus vive et la plus légère.. »

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