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L'essor de la découverte

Publié le 22/02/2012

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A l'origine des grandes découvertes se trouvait, a-t-on cru pendant longtemps, un progrès de la technique : l'invention, au XIIIe siècle, du puissant gouvernail d'étambot à charnières, c'est-à-dire un gouvernail placé à poste fixe dans l'axe de l'extrême arrière, articulé sur l'étambot à l'aide de gonds et manOeuvré grâce à une longue barre. Il remplaçait le gouvernail antique, qui n'avait jamais été autre chose qu'une rame portative appliquée alternativement à l'un ou l'autre des flancs du navire ­ et d'efficacité médiocre, sauf pour les petites embarcations. Grande révolution, donc, qui aurait permis la naissance du navire hauturier, capable de cingler triomphalement vers le large et de labourer sans peur les océans. Sans lui, point de Bartolomeu Dias, disait-on. Et les perspectives de s'élargir… Qu'il est tentant de scander toute l'histoire du monde au rythme des transformations navales ! Le navire à rames, c'est la civilisation confinée, concentrée dans la seule Méditerranée. Le navire à gouvernail d'arrière et à voilure compliquée, c'est la civilisation rendue capable de franchir les Colonnes d'Hercule et de s'épandre à travers l'Atlantique. Le navire à moteur, c'est l'immensité du Pacifique domptée par l'homme blanc… Peut-on vraiment croire, en tant qu'historien, à de si belles invention comme seule cause des grandes découvertes ?

« Aucun peuple établi dans un secteur quelconque de ce vaste front de mer qui se tend de l'Irlande au Cap, n'a tentéde traverser le vaste, le redoutable fossé qui séparait ce front du front de l'Amérique du front oriental des deuxAmériques.

Mais inversement : dans toutes la zone orientale des deux Amériques, dans tout le chapelet des îles quibordent sous le tropique la chaude Méditerranée mexicaine, aucun témoignage historique ne parle d'une expansionvers l'est des hommes cuivrés.

Ni d'une réception quelconque par eux de voyageurs surgis, en nombre et en corps,des brumes de l'océan.

De même, ni du côté est, ni du côté ouest de l'Atlantique, on n'a trouvé d'objets, naturelsou fabriqués, ni de mots, ni de rites, ni de légendes, d'institutions, qui portent témoignage en faveur d'un empruntou d'un échange d'une rive à l'autre de l'océan.

Si jamais, par un hasard qu'après tout, nous n'avons pas le droit dedéclarer impossible, quelques hommes blancs ou, par la voie inverse, quelques hommes cuivrés sont arrivés un jourau fond d'une barque, à demi-morts de faim et sans doute de peur, soit au Brésil, soit en Louisiane, ou aux Antilles,ou en Afrique, ils ne revinrent jamais pour raconter aux leurs ce voyage étonnant qu'ils ne firent qu'une fois. Ainsi donc, riverains européens comme riverains africains de l'Atlantique durent attendre patiemment, de l'attenteéternelle des peuples ils attendirent sans attendre et tout en employant les ressources qu'ils possédaient en propre,ils attendirent sagement que leur viennent du dehors, pour grossir leur capital, des outils et des armes, desinstruments plus ingénieux, plus efficaces, plus faciles à manier que ceux dont ils étaient déjà dotés.

Or, c'est unfait que tout ce qui vint enrichir, petit à petit, non seulement leur civilisation matérielle, mais aussi leur civilisationspirituelle, c'est un fait que tout cela leur vint, finalement, non pas de l'ouest et porté par l'océan, mais toujoursvéhiculé à travers d'immenses étendues terrestres, toujours et uniquement de l'est, et d'un est souvent des plusextrêmes.

Si bien que, pratiquement, les riverains n'eurent rien de mieux à faire que de tourner le dos à l'océan etd'interroger l'Orient.

Ce n'est pas seulement le soleil qui se levait là-bas pour eux ; c'était la civilisation qui, parsecousses, par saccades plutôt que par étapes régulières, s'avançait finalement vers leur pays perdu.

Leur pays derelégués aux confins du monde. Pendant ce temps, les peuples d'Amérique, que limitait l'océan Atlantique dans leur expansion, lui tournaient le doseux aussi.

Ils regardaient vers l'ouest, vers cet immense océan Pacifique, bien plus énorme que l'Atlantique.

Centvingt degrés à franchir, de Guyaquil aux Moluques, en ligne droite le long de l'équateur, sans un seul reposoir, contrequarante degrés seulement du cap Lopez au cap San Roque.

Et cependant, de lui, ils n'attendirent pas en vain lesapports, ni les visites.

Les linguistes l'attesteraient à eux seuls.

Car si, au nord du continent, l'Esquimau semble avoirsuivi, d'Asie en Amérique, la classique voie des Aléoutiennes ou du détroit de Béring, on a montré que deux languesau moins, parlées l'une dans l'Amérique du Nord, l'autre dans la terre de Feu de Patagonie, se rattachent auxlangues d'Océanie.

L'australien, par ailleurs, présente de curieuses affinités avec la langue sumérienne, attestée enAsie dès les années 4 000 avant JC, et qui fut parlée de Babylone jusqu'au golfe Persique.

Immense, le Pacifique :sans doute.

Mais à travers ses étendus marines, des pulsations humaines n'ont cessé de battre, de l'Asie jusqu'auxîles de l'Océanie, jusqu'à ce monde entreprenant des Polynésiens, adroits à courir la mer sur leurs pirogues àbalancier et que certains anthropologistes nous montrent issus, sinon de l'Iran, du moins de l'Inde nord occidentale… Pourquoi l'Atlantique s'est-il si bien défendu ? C'est un fait, en tout cas, que pendant toute la durée des tempshistoriques, une coupure a existé une seule, mais qui n'a jamais été franchie dans la trame inégalement serrée desrelations humaines couvrant de son réseau tout l'espace compris entre les rives occidentales de l'Atlantique et sesrives orientales.

Nommons-la d'un mot : la coupure atlantique. Jusqu'au XVe siècle, le monde ne s'étale pas d'une seule nappe.

On peut se le représenter, avec Théodore Monod,sous les aspects d'une plaque de métal rectangulaire dont l'ouvrier n'aurait su ou voulu, des siècles durant,rapprocher et relier les deux extrémités, afin d'en faire un cylindre continu.

Pendant des millénaires, les hommes maisaussi leurs outils, inventions, idées auraient eu toute liberté pour circuler d'un bord à l'autre, sans entraves et selonleurs humeurs.

Mais toujours, si audacieux, si ingénieux fussent-ils, il leur aurait fallu s'arrêter devant le coupure, lacassure, la manifeste "solution de continuité".

Du cOeur de l'Asie, et tantôt par les steppes, tantôt par les mers, sepropageaient les courants humains jusqu'aux terres occidentales riveraines de l'Atlantique.

A travers l'Europe commeà travers l'Afrique.

Pareillement, du cOeur de l'Asie et par la voie terrestre des îles de la Sonde, en direction del'Australie, ou par la voie marine de l'océan Indien relayé, prolongé par le Pacifique, d'autres éléments de civilisationn'ont cessé de se propager jusqu'au vaste et désert continent américain.

Mais de ce qui est Recife à ce qui estDakar, de ce qui est la Floride à ce qui est la Mauritanie, halte.

Rien ne passait.

Un fossé se creusait,infranchissable.

Le monde n'était pas soudé. Grandes découvertes, soudure du monde.

Opérée par des hommes blancs.

Et à l'heure précise où, pour la premièrefois, ces hommes blancs purent aller au-devant de ce qu'ils convoitaient.

En force.

Délibérément.

Avec, péniblementconquis, un double sentiment de supériorité qui leur donnait la puissance et l'audace d'avancer.

Un sentiment desupériorité sur les forces de la nature, dont ils commençaient à entrevoir qu'un jour, avec de la volonté, ilspourraient neutraliser les effets.

Un sentiment de supériorité sur les autres hommes, sur les forces vitales del'humanité : sentiment que l'homme occidental, à la fin du XVe siècle, peut commencer à nourrir.

Le Blanc, fort deses armes à feu, de se richesses, de ses fabrications, de ses réserves de toute nature, et fier d'être venu à bout deson grand rival, l'homme d'Asie, le porteur du Croissant, l'Arabe qui pendant si longtemps, sur les champs de bataillecomme sur les marchés, l'a écrasé de sa supériorité.

Mais il sait maintenant, l'Occidental, qu'il tiendra tête à l'Arabe,même si celui-ci se fait relayer par un nouveau venu, le Turc ; il le sait, et cette conviction assure son pouvoir et luidonne sa confiance.

Cette confiance sans quoi l'homme ne peut rien.

Si bien armé soit-il et si bien outillé. Le jour où nous aurons une histoire du monde ; le jour où nous penserons les grands événements en fonction, non. »

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