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L'ESTHÉTIQUE GÉNÉRALE DE DIDEROT ET SA CONCEPTION DU GÉNIE

Publié le 15/06/2011

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diderot

Diderot est loin d'être le premier à se poser les problèmes. Et la solution qu'il leur donne ne diffère pas essentiellement de celles qu'on avait apportées avant lui et qu'on apporte autour de lui. Qu'est-ce que le Beau ? et comment le réalise-t-on dans les beaux-arts ? Pourquoi, même avec les mêmes intentions et les mêmes sujets, les uns sont-ils des médiocres, les autres des gens de talent, d'autres enfin des hommes de génie ? Quel est le secret du génie ? Dès le XVIIe siècle, chacun apporte sa réponse, et elle est beaucoup moins rudimentaire qu'on ne le suppose à l'ordinaire. Il rie suffit pas de l'imitation des anciens, de la connaissance et de l'application des règles déterminées par la raison. On ne peut réaliste ainsi que des oeuvres froides. Il y faut autre chose qui est le discernement et le choix des "agréments". Il faut plaire ; et le secret de plaire est un « Je ne sais quoi « que la raison est bien incapable de mettre en formules, qui dépend d'un goût instinctif et qu'on cultive par la lecture, l'usage du monde, non par une application et une réflexion méthodiques.

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« Diderot.

Pas plus que Dubos, que Batteux, que Voltaire, que Marmontel, etc..., Diderot ne déclare la guerre à latradition et à l'idéal classiques.

Si on l'oubliait, on s'obligerait à ne rien comprendre à toute une partie du Neveu deRameau, de Sacques le Fataliste, des Deux amis de Bourbonne, de ses drames, de sa critique d'art.

Pendantlongtemps, quand il s'efforce de définir la notion de Beau c'est à une opération de l'intelligence qu'il fait surtoutappel.

Dans les Mémoires sur différents sujets de mathématiques, dans l'article Beau de l'Encyclopédie, l'impressiondu beau naît surtout de la perception confuse de rapports que l'intelligence lucide peut ensuite préciser et justifier.Diderot ne fait pas de distinction entre la beauté des mathématiques et celle d'un paysage ou d'un poème.

Sansdoute, par la suite, il n'essaiera plus d'établir une explication du Beau qui convienne à la fois à un théorème et à untableau de Vernet.

Mais c'est dans le Neveu de Rameau qu'il écrira : "le vrai qui est le Père et qui engendre le bonqui est le Fils, d'où procède le beau qui est le Saint-Esprit".

Surtout, dans le Paradoxe sur le comédien, largementébauché dans les Observations sur Garrick (1770), remanié et élargi jusque vers 1778, il s'appliquera avec une sorted'entêtement à démontrer que le vrai génie est dans la tête et non dans le coeur.

Les grands comédiens ne sontpas ceux qui sont vivement émus et qui se laissent conduire sur la scène par leur émotion.

Ce sont ceux qui ont apressenti » les « mouvements sublimes » de la nature mais qui savent les étudier et les rendre "de sang-froid".

Danstous les arts les hommes de génie sont ceux qui savent créer non pas dans la fureur du premier jet mais dans "lesmoments tranquilles et froids".

C'est Sedaine qui répond au délire d'enthousiasme de Diderot, après le triomphe duPhilosophe sans le savoir, avec le calme d'un bon ouvrier qui a bien fait une tâche longuement mûrie.

C'est La Tourqui lorsqu'il peint n'est point tourmenté par quelque démon mystérieux mais reste tranquille et froid ».Il en résulte que l'oeuvre d'art doit s'élaborer selon la discipline que les classiques jugeaient la seule féconde.

Sansdoute Diderot écrit tumultueusement, dans "la fureur du premier jet" ; il est incapable de composer.

Mais il le sait ; ils'en accuse.

Et il conseille aux autres de ne pas faire comme lui.

Son conseil "à un jeune poète" est de n'écrire lepremier mot de son poème qu'après avoir bien « couvé » ses idées dans sa tête.

L'Hamlet de Ducis est la mauvaiseexécution d'un mauvais plan.

S'il discute les Réflexions sur l'ode de M.

G.

D.

C.

[ Gouges de Cessières], c'est pouraccepter en somme la conception de Boileau, une collaboration difficile mais nécessaire entre le beau désordre etl'art réfléchi, entre le « goût » et la "verve".

Pour apprendre à couver une oeuvre, à l'ordonner, à mettre la verve,l'enthousiasme impétueux et aveugle l'école du goût, il faut des maîtres, des modèles.

Ces modèles ce sont lesAnciens que les écrivains comme les artistes ne sauraient trop méditer.

Les jeunes gens qui se sentent du géniedoivent a faire connaissance étroite avec les anciens ».

Ce sont aussi bien les grands maîtres du XVIIe siècle, lesRacine, les Molière, les La Bruyère.

Ainsi l'on suivra non pas ses goûts, des goûts dont rien ne Tatius assure qu'ils nesont pas des absurdités, ni si l'on veut la raison qui n'est pas, au sens étroit du mot, le guide qui convient au poète,au peintre, au musicien, mais le goût.

Ce goût, le vrai, n'est pas une "chimère", ni une "chose de caprice".

Il est"aussi vieux que le monde, l'homme et la vertu".

Il doit y avoir une "règle éternelle, immuable du beau".

C'estl'affirmation de l'article Beau de l'Encyclopédie, de l'Essai sur la peinture, qui est de 1765, des Pensées détachéessur la peinture, etc...

qui sont de 1781.

Et ce serait aussi bien l'affirmation de Boileau.Pourtant ce Diderot féru de classicisme n'est qu'un des aspects de Diderot.

Comme si philosophie, l'esthétique deDiderot nous heurte à un homo duplex qu'on peut bien s'efforcer de ramener à une sorte d'unité, qui a fait quelqueeffort lui-même pour y parvenir (et c'était plus facile que pour la philosophie), mais qui tend sans cesse à sedisloquer.

Diderot veut que le beau, l'oeuvre d'art soit une création du génie "tranquille et froid".

Mais lui, quand ilest tranquille et froid, est incapable de rien créer.

Il n'est inspiré, il n'écrit quelque chose qui vaille que lorsqu'il estentraîné par une émotion véhémente, soulevé par l'enthousiasme.

Son maître, c'est son coeur.

Et il ne pourras'empêcher d'affirmer, de disserter pour affirmer que c'est le meilleur maître ou le seul.

Il s'élèvera donc contrel'oeuvre de la raison, contre toutes les prescriptions méthodiques qui veulent soumettre l'art à une discipline.

Il ferale procès des règles dans l'article Génie de l'Encyclopédie, dans l'Eloge de Richardson, dans le Salon de 1767, etc.."Le goût est souvent séparé du génie...

Les règles et les lois du goût donneraient des entraves au génie."Richardson est un grand écrivain parce qu'il a franchi « les barrières que l'usage et le temps ont prescrites auxproductions des arts » et « foulé aux pieds le protocole et ses formules ».

Diderot a douté de la "belle nature", du «modèle idéal » aussi souvent qu'il y a cru.

Ces gens...

croient qu'il y a une belle nature subsistante, qu'elle est,qu'on la voit quand on veut et qu'il n'y a qu'à la copier !» Il n'a fait confiance qu'à l'enthousiasme aveugle, libéré detoutes les surveillances, pour guider l'artiste, tous les artistes, vers les sommets.

Les lettres à Mlle Jodin, à Falconetsont souvent le contre-pied du Paradoxe sur le comédien, l'affirmation que le comédien et l'artiste ne sont grandsque par la sensibilité et l'imagination.

Dorval, en qui Diderot met toutes ses complaisances, ne songe guère auxrègles, à la nécessité des "moments tranquilles et froids".

Il préfère errer dans une nature romantique "séjour sacréde l'enthousiasme", évoquer le délire sacré du poète : « le poète sent le moment de l'enthousiasme...

Il s'annonceen lui par un frémissement qui part de sa poitrine et qui passe, d'une manière délicieuse et rapide, jusqu'auxextrémités de son corps...

» Joseph Vernet est un Dorval de la peinture parce que, lui aussi, respire et inspirel'enthousiasme : "le grand paysagiste a son enthousiasme particulier ; c'est une espèce d'horreur sacrée..." Sansdoute on peut s'y égarer, oublier l'ordre et la clarté.

Qu'importe ! "La clarté est bonne pour convaincre ; elle ne vautrien pour émouvoir.

La clarté, de quelque manière qu'on l'entende, nuit à l'enthousiasme.

Poètes, parlez sans cessed'éternité, d'infini, d'immensité !" A mesure que l'esprit philosophique, l'esprit d'analyse raisonnée fait des progrès, la« verve » et la poésie tombent dans la décadence.

Et c'est la science même, la physiologie qui nous en donne, dansles Eléments de physiologie, la raison : « Est-ce qu'on pense quand on est vivement affecté par la poésie, lamusique et la peinture ? »On c'est peut-être n'importe qui.

Mais, c'est, plus sûrement encore, Diderot.

C'est la sensibilité tumultueuse etgesticulante, dont nous avons parlé, et sans laquelle il ne saurait ni lire, ni admire., ni composer, ni s'admirer.

Songénie littéraire est, comme son génie tout court, non dans sa seule raison mais dans cet élan impétueux qui, né horsde sa raison, roule plus ou moins pêle-mêle les méditations tranquilles et froides, les méditations brûlantes etfrémissantes et les extases où l'on oublie toute raison.

« Il semble, dit son ami Meister, que l'enthousiasme fûtdevenu la manière d'être la plus naturelle de sa voix, de son âme, de tous ses traits...

Ses idées étaient plus fortesque lui, elles l'entraînaient pour ainsi dire, sans qu'il lui fût possible ni d'arrêter, ni de régler leur mouvement.

» C'est. »

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