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l'Etat est-il par nature totalitaire ?

Publié le 13/10/2005

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Le totalitarisme est un terme de science politique apparue au XXe siècle pour désigner, comme son nom l'indique, un pouvoir étatique "total" (illustré aussi bien par l'Allemagne nazie que l'URSS) qui s'applique aussi bien à la sphère privée que publique et contrôle tous les domaines de la vie sociale: la religion, le travail, le sport, l'industrie, la culture, etc. Or l'Etat est précisément une forme relativement moderne et bien spécifique de gouvernement moderne qui a pour caractéristique de représenter une institutionnalisation du pouvoir politique qui s'incarne dans une administration publique regroupant toutes les autres institutions (tribunaux, ministères, entreprises publiques, etc., dépendent tous de plus ou moins loin de l'Etat) comprenant aussi bien des services de maintien de la loi que des services sociaux concernant tous les domaines de la société. Ainsi l'Etat moderne serait chargé non seulement d'édicter des lois et de les faire appliquer, mais aussi de gérer l'éducation d'une nation, de réguler la production nationale des industries et de l'agriculture, de financer les entreprises culturelles, etc. Tout Etat semble donc avoir une tendance à être attentif à tous les domaines de la vie sociale, tendance qui révèlerait sa nature profondément totalitaire.

  Mais l'Etat n'est pas qu'une forme administrée et bureaucratisée du pouvoir politique. C'est aussi une puissance publique dont les dirigeants et les politiques sont, dans les démocraties du moins, choisis par le peuple par lequel il est concerné. Ainsi, on peut dire que l'Etat est avant tout le principal représentant du public au sein d'une société, et qu'il représente le moyen par lequel les membres de cette société sont unis. Sa tendance à s'élargir à l'ensemble de la société ne doit donc pas forcément être compris comme une tentative pour en contrôler chaque domaine, mais plutôt pour y assurer l'égalité et les libertés des citoyens. L'intervention de l'Etat dans les pratiques religieuses par exemple ne peut être décrite comme totalitaire s'il tente de faire respecter le principe de liberté des cultes et des opinions.

  Le paradoxe est donc que l'extension de l'Etat aux différents domaines de la vie sociale peut être interprétée à la fois comme le signe d'une tendance libérale (visant à faire respecter les libertés fondamentales des citoyens) et comme celui d'une tendance totalitaire (visant à asservir tous les domaines de la vie des citoyens). Le problème à résoudre est donc celui qui concerne la nature de l'Etat et les origines du totalitarisme: cette forme de pouvoir n'est-elle née que de l'extension des pouvoirs de l'Etat? Celui-ci n'existe-t-il qu'en deux versions - totalitaire et libérale ? 

« englober d'autres domaines que celui du simple droit, ou doit disparaître.

C'est ainsi que Schmitt montre la nécessitépour tout Etat de devenir total, et donc la nature totalitaire de tout Etat.

Mais cette thèse de Schmitt, bien qu'elle puisse rendre compte de l'évolution historiquement constatée de certainsgouvernements, semble trop abstraite et trop biaisée idéologiquement pour cerner la spécificité du pouvoirtotalitaire.

Celui-ci n'est pas uniquement "total", c'est-à-dire appliqué à toute la société, mais relève d'un contrôlede toute la société par elle-même.

En outre, l'Etat totalitaire est précisément celui où la distinction entre amis etennemis montre ses limites et son inadéquation à décrire l'activité politique, puisque tout un chacun peut êtresuspecté dans un régime totalitaire d'être un ennemi de l'intérieur.

II./ Le totalitarisme comme pouvoir de la société de masse.

A./ En montrant que tout Etat a des tendances totalitaires on risque d'oublier la spécificité de cette forme degouvernement politique.

En effet, un pouvoir totalitaire n'est pas seulement un pouvoir qui s'applique à tous lesdomaines de la société mais un pouvoir qui émane de toutes les parties de la société sur toutes les autres.

C'estainsi que H.

Arendt, une des fondatrices du terme de totalitarisme, cherche à le distinguer des autres formes depouvoir autoritaire dans le chapitre III du système totalitaire. Le pouvoir autoritaire s'effectue selon un schéma pyramidal : la base de la société est contrôlée dans son ensemble par un ensemble plus restreint d'individus, lui-même contrôlé par un ensemble plus restreint, etc., jusqu'à ce qu'en dernière instance tout le pouvoir remonte à ununique sommet : le tyran.

Cette forme de pouvoir existe depuis l'Antiquité la plus ancienne.

Le totalitarisme, luicomporte un grand nombre de centres de pouvoir, entre lesquels « il n'existe aucune hiérarchie du pouvoir ou del'autorité qui soit légalement enracinée.

[…] L'autorité de haut en bas du corps politique, n'est pas filtrée par touteune série de niveaux intermédiaires, comme c'est le cas dans les régimes autoritaires.

» Le pouvoir y fonctionne enpeau d'oignon.

La couche extérieure représente la masse du peuple.

La couche plus interne représente lessympathisants du pouvoir en place.

Celle qui suit, ceux qui sont employés dans les institutions d'Etat.

Au cœur decelle-ci on trouve le Parti unique, et au cœur de ce noyau le comité central, lui-même centré autour du chef d'Etat.Or chacune de ces couches contrôle celle qui lui est extérieure mais aussi celle qui lui est intérieure.

Dans un Etattotalitaire, un simple sympathisant du régime peut dénoncer un agent de l'Etat au Parti s'il considère qu'il nerespecte pas la pensée officielle.B./ Cette description du mode spécifique de fonctionnement de l'Etat totalitaire a pour avantage d'êtreparticulièrement précise et de combiner des traits apparemment opposés de ces régimes politiques.

En effet, l'Etattotalitaire tient toute la société, applique à chaque domaine son pouvoir, mais est en même temps traversé par descrises et des purges régulières – comme les procès de Moscou de 1936 à 1938, ou la nuit des longs couteaux enAllemagne en 1934 qui vit s'affronter différentes factions du parti nazi.

En effet, si chaque couche de la société estdotée d'un contrôle sur les autres, il y a bien un effet de multiplication des pouvoirs étatiques en même tempsqu'une série de délations de ces couches les unes envers les autres.

De même, le modèle d'Arendt explique pourquoidans cette forme d'Etat le peuple est considéré comme une masse unitaire formant un bloc et qu'il ne peut existerpourtant qu'un homme à la tête de l'Etat dont la personnalité fait l'objet d'un culte.C./ Mais cette description particulièrement adéquate des phénomènes historiques du totalitarisme nous amène à uneconséquence que H.

Arendt tire dans son introduction : il n'existe que très peu de systèmes politiques réellementtotalitaires.

Elle ne retient que l'Allemagne hitlérienne et l'URSS stalinienne, même si elle parle d' « épisodestotalitaires » pour désigner les Etats-Unis maccarthistes ou les camps de réfugiés espagnols en France durant lesannées 1930.

En effet, un tel système de pouvoir où c'est l'ensemble des couches sociales qui exerce des pouvoirsétatiques est relativement rare, et correspond même à une tendance inverse à celle que manifeste la plupart desEtats qui est de rassembler et de conserver le monopole de la puissance publique.

L'Etat ne semble donc totalitaireque contre-nature, lorsqu'il est affecté d'un système de pouvoir qui ne lui correspond pas.

C'est par latransformation de la société plus que de l'Etat que H.

Arendt explique les origines du totalitarisme.

Il faut alors se demander ce qui change dans l'Etat lorsqu'il devient totalitaire, afin de voir s'il ne trouve pas sonorigine dans une application à l'Etat d'une certaine forme d'exercice du pouvoir qui n'était pas étatique auparavant.On pourrait alors expliquer comment, bien que non essentiel à l'Etat, le pouvoir totalitaire y a trouvé un terraind'expression particulièrement propice.

III./ La gouvernementalité du totalitarisme.

A./ Ce sur quoi Arendt insiste, c'est le caractère éclaté et en contrôle réciproque et permanent des organes depouvoir de l'Etat totalitaire.

Or pour qu'une telle forme de pouvoir s'instaure dans un Etat, il faut que toutes sesinstitutions soient pour ainsi dire dédoublées par une sorte de second Etat que constitue le Parti unique.

Toutes lesformes d'Etats totalitaires ont pour point commun et spécificité d'avoir un Parti unique au pouvoir dont les organes(le kommintern, ou le comité central du parti nazi) sont parallèles à ceux de l'Etat, et entraînent ainsi une série decontrôles et de luttes internes.B./ Cette importance de la présence du parti unique dans l'Etat totalitaire a été remarquée par de nombreuxhistoriens, mais l'on peut même faire l'hypothèse que c'est la marque d'un Etat totalitaire.

M.

Foucault, dans soncours sur Sécurité, Territoire, Population , formule une hypothèse similaire en déclarant que « c'est l'application à l'Etat de la gouvernementalité de parti qui est à l'origine des Etats totalitaires.

» Qu'est-ce que lagouvernementalité ? Foucault réfute dans ce cours les fantasmes autour du « monstre froid de l'Etat » qui voientcette institution comme une administration tentaculaire élargissant son pouvoir à l'ensemble des domaines de lasociété.

Pour lui, au contraire, « l'Etat n'est qu'un épisode dans l'histoire, plus large, des arts de gouverner.

»Autrement dit, la politique a connu plusieurs manières de gouverner des communautés, dont l'Etat n'est qu'une. »

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