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Levi-Strauss et la barbarie

Publié le 27/02/2008

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« Chacun appelle barbarie ce qui n'est point de son usage » nous explique déjà, au XVIe siècle, Michel de Montaigne dans ses Essais. Le barbare, c'est étymologiquement, l'étranger (βαρβαρος) pour les grecs, celui qui s'exprime par onomatopées - bar-bar - au lieu de s'exprimer dans le logos, le langage grec. Et il faut réfléchir à cet idée d'étranger, cette altérité cristallisée par l'appréhension et l'angoisse des hommes. L'étranger, c'est cet autre proprement étrange justement, celui qui surprend, celui dont on a bien du mal à évaluer, ou même comprendre, la conduite. Un sourire au coin des lèvres, on écarte aujourd'hui une telle pensée: jamais nous, nous ne traiterions un peuple étranger de peuple barbare sous prétexte qu'il ne parle pas notre langue. Aucun barbare aujourd'hui donc, seulement des différences peut-être pas si insondables pour pouvoir dialoguer. Pourtant, un préjugé continue à nous hanter. Il ne s'appelle plus barbare, il s'appelle l'évolution culturelle. Il faut bien que nous, entendons les occidentaux - puisque c'est ce que nous sommes - soyons plus évolués: nous construisons des voitures, des hélicoptères, des ordinateurs, des stations d'épurations, des médicaments... Alors comment comparer ces atouts indéniables face aux peuples Tasmaniens, Mbuti, Bushmen, Mrabi ou Tasaday dont les performances technologiques sont pour le moins assez timides, et les connaissances globales sur le monde pour le moins restreintes? Comment ne pas penser ici que l'évolution culturelle de la civilisation occidentale est autrement plus avancée que celle de peuples semblant encore balbutier ce nous découvrions il y a 5000 ans de cela? En d'autres termes, comment ne pas penser que certains peuples ont une histoire cumulant inventions, découvertes et idées, là où d'autres stagnent et n'ont pour ainsi dire pas d'histoire, leur vie se réduisant à l'éternelle répétition de traditions? LEVI-STRAUSSL'éthnocentrisme vient proprement d'une illusion tenace. Cette dernière se construit entièrement sur cet oubli d'une distinction entre en soi et pour soi. Que l'on juge une civilisation comme ayant une histoire cumulative (qui additionnerait donc les progrès comme l'homme monte les escaliers et s'élève ainsi) n'est pas une faute pour ainsi dire, tant qu'on ne prétend pas que ce jugement ne fait que révéler la nature intrinsèque de cette civilisation.

« 2. Ce problème de l'éthnocentrisme est épineux comme nous le constatons puisque tout jugement s'effectue à l'auned'un système de référence.

Lorsque je juge de quelque chose, il me faut utiliser des références: je juge unepersonne stupide à partir d'un référencement de la stupidité qui ne m'est pas forcément propre (il ne faut pas nonplus tomber dans le plus total relativisme) mais qui tout de même toujours et quelque part dépendant d'un certainétat de connaissance, d'un certain état de la société, d'une certaine époque même.

Stupide ici, mais peut-être pasailleurs, stupide maintenant, mais peut-être pas hier.

Or, dans notre cas, ce système de référencement estpleinement intégré dans un pattern déterminé qui n'a à vrai dire aucune raison de surclasser les autres pattern.

Et sijamais nous pensions que ce pattern mérite de trôner au-dessus des autres, ce serait toujours une intronisationélaborée à partir des valeurs propres à ce pattern.

En somme, il est difficile de quitter un système de référencerelatif à un pattern qui reste le notre et non celui de l'autre.

Il y a en quelque sorte dans une rencontre entre deuxcultures pour ainsi dire mésentente. Soit la culture juge une autre culture à partir de jugements fortement enraciné dans un pattern propre: dans cecas, elle n'apprend rien de l'autre mais projette sur elle des catégories qui lui sont propres.

Elle cristallise en sommel'autre et le marque comme autre à partir d'un référentiel déterminé propre: elle se regarde en somme, elle et lesreflets qu'elle projette, à l'endroit de l'autre.

Soit elle s'intègre à ce nouveau pattern, et détruit son propre pattern,ou encore en forme un troisième nouveau et hybride.

Il s'agit encore une fois de revenir sur cette notion de pattern.Ce dernier se construit à partir des réponses qu'il donne à son environnement.

En ceci, ils ont pour ainsi dire unévénement en commun, un événement fondateur qui est, après le passage à l' homo erectus et donc à la stature bipède et le processus d'encéphalisation qui en procède, le néolithique.

Cet âge signe la naissance en propre duprocessus de culturation à partir duquel l'homme travaille la terre, élabore des outils et rentre de plein pieds dans latechnique.

La culture qu'est la nôtre compte un événement fort comme celui de l'industrialisation.

Mais cetévénement n'est pas tant preuve d'un génie occidental, que de « conditions si générales qu'elles se situent [à l'instar de la révolution néolithique qui s'est produite en divers points du globe simultanément] en dehors de la conscience des hommes ».

L'idée d'une histoire comme progrès est toujours la conséquence d'un processus civilisationnel, soit d'une coalition culturelle formant un pattern en conséquence: nous y reviendrons dans la suite ducommentaire. Quoiqu'il en soit, il faut insister sur cette idée d'éthnocentrisme encore une fois.

Rappelons encore une fois lesparoles de l'anthropologue: « On ne saurait trop insister sur un fait: si la sélection permet aux espèces vivantes de s'adapter à un milieu naturel ou de mieux résister à ses transformations, quand il s'agit de l'homme, ce milieucesse d'être naturel au premier chef; il tire ses caractères distinctifs de conditions techniques, économiques,sociales et mentales qui, par l'opération de la culture, créent à chaque groupe humain un environnementparticulier.

Dès lors, on peut faire un pas de plus et envisager qu'entre évolution organique et évolution culturelle,les rapports ne soient pas seulement d'analogie, mais aussi de complémentarité (...) ».

Chaque pattern représente une façon d'exacerber, de consolider, de se spécialiser dans un trait proprement biologique de l'humanité: « Chaque culture sélectionne des aptitudes génétiques qui, par rétroaction, influent sur la culture qui avait d'abord contribuéà leur renforcement ».

On comprend que, s'il y a un homme biologique, il y a des hommes culturels.

Lévi Strauss n'écarte pas le fait qu'il y ait une origine proprement biologique, neurologique même, au processus de culturation,expliquant par-là la naissance commune de la pensée symbolique, ou l'aptitude à communiquer.

Mais il revientcependant toujours à des pattern différents d'en assurer l'actualisation et le maintient, d'une manièrequalitativement propre.

Nous pensons à partir de notre pattern, évaluons à partir de lui, en même temps que cedernier se construit à partir de notre pensée et de nos jugements.

Nous sommes en lui comme il est en nous, et ilserait vain de prétendre pouvoir le transcender. Histoire et Éthnocentrisme 3. C'est encore cette perspective propre à notre pattern qui nous pousse à penser à l'existence d'une histoirecumulative en opposition à une histoire stationnaire.

L'idée qu'une société cumulerait à défaut d'autres restant dansun état stationnaire est une idée proprement appauvrie.

Mais d'abord, qu'entend-on par-là? En vérité, et toujoursen raison d'un éthnocentrisme évident, nous étiquetons comme cumulatives toutes les sociétés qui vont dans lemême sens que la notre là où nous considérons comme stationnaires les autres, « non pas nécessairement parce qu'elles le sont, mais parce que leur ligne de développement ne signifie rien pour nous, n'est pas mesurable dansles termes du système de référence que nous utilisons ».

En d'autres termes, il s'agit encore une fois d'un problème de référence.

De même qu'on ne mesure pas des litres avec des kilohertz, de même on ne peut mesurer l'évolutiond'une civilisation à partir d'un système de référence propre à notre pattern.

La connaissance, et donc lesévaluations qui en procèdent, sont toujours une manière de ramener l'inconnu au connu.

Ainsi tentons-nous cegeste sacrificiel d'un point de vue identitaire en ramenant un pattern au nôtre propre. De plus, il s'agit d'aller contre une idée fortement entretenue selon laquelle « l'humanité en progrès (...) ressemble à un personnage gravissant un escalier, ajoutant à chacun de ses mouvements une marche nouvelle à toutescelles dont la conquête lui est acquise ».

Déjà, nous l'avons vu, c'est la coalition des pattern qui génère des. »

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