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L'expérience esthétique est elle communicable ?

Publié le 14/04/2023

Extrait du document

« Bordes Frédéric, M1 EAD L’expérience esthétique est-elle communicable ? Vivre en société nous conduit à interagir et à communiquer, autrement dit à mettre en commun et partager des choses immatérielles comme des connaissances, des souvenirs ou des expériences diverses qui sont autant de moment de vie.

Dans un monde dans lequel les technologies de la communication sont devenues omniprésentes, nous sommes désormais à même de multiplier les échanges et la mise en commun toutes nos expériences.

Un premier constat empirique semble donc nous amener à penser que tout serait facilement communicable et que nous pourrions tout partager.

Est ce légitime ? L’expérience esthétique, en tant qu’elle est une expérience humaine absolument originale du beau - expérience possible dans des circonstances aussi diverses que la lecture d’un livre, la contemplation d’un paysage, d’un visage ou d’une peinture- est -elle une expérience qui peut être partagée au même titre que les autres expériences humaines ? Comment ce qui semble a priori une expérience éminemment subjective, sanctionnée par un jugement esthétique singulier comme l’atteste les sentences communes « chacun ses goûts » ou encore « les goûts et les couleurs cela ne se discute pas » serait elle « communicable »? Au même titre que deux pièces d’une maison communiquent, c’est à dire que l’on peut aller aisément de l’une à l’autre, serait il possible qu’un même jugements esthétique se partage aussi simplement, se communique aussi facilement et naturellement ? Dit autrement, comment ce qui parait irréductible à une personne pourrait-il s’avérer en même temps universel ? Nous établirons d’abord que l’expérience esthétique est originairement et empiriquement perçue comme une expérience personnelle, irréductiblement singulière et incommunicable .Nous établirons ensuite qu’il est possible toutefois de penser autrement l’expérience esthétique en posant que le beau pourrait être dans l’objet, ce qui ne va pas sans poser certaines difficultés. C’est donc en faisant de l’expérience esthétique une expérience subjective et désintéressée qu’il est possible de la penser comme pouvant être partagée, du fait d’une possible universalité du jugement esthétique, « universalité » qu’il conviendra là encore toutefois de questionner. L’expérience commune nous révèle des avis souvent tranchés sur la beauté.

Il suffit de discuter entre amis ou parents à la sortie d’un musée ou d’une exposition pour se rendre compte que la ou les toiles préférées de chacun ne sont pas forcément les mêmes et que l’émotion intense de certains est loin d’être partagée par d’autres ! Nous faisons donc l’expérience de la subjectivité du goût.

Hume évoquait ainsi la » variété » et le « caprice du goût » dans son ouvrage De la norme du goût, Essais esthétiques).

Cette approche du jugement esthétique est largement vérifiée par des observations empiriques, les critères du « beau » étant largement dépendant des pays, des cultures, de l’époque.

C’est ce que pose de façon provocatrice Voltaire dans le Dictionnaire philosophique lorsqu’il énonce «Interrogez un nègre de Guinée ; le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux enfoncés, un nez épaté », soulignant d’une part qu’il parait peu probable d’arriver à convaincre quelqu’un de la beauté d’une chose (chacun juge selon ses goûts) mais aussi que la beauté serait toute relative.

Selon cette perspective le moi qui expérimente « la beauté » ne saurait de fait sortir de sa subjectivité et de sa culture.

L’idée véhiculée ici impose aussi de voir que le moi qui émet un jugement esthétique n’est pas si autonome que cela.

De fait, échanger sur la beauté reviendrait à exprimer un avis sur ce qui a été reconnu et validé par un groupe, une ethnie, par la coutume, la tradition.

Plus récemment Bourdieu, qui pose dans La distinction.

Critique sociale du Jugement que le goût est socialement construit - c’est la classe sociale et sa richesse matérielle qui déterminent le goût- rejoint l’idée que nos jugements esthétiques, en tant qu’ils sont issus d’un conditionnement socioculturel, énoncent avant tout des jugements de groupe et que le moi qui juge est fondamentalement un moi social, une construction.

De telles approches semblent a priori ruiner toute possibilité d’une expérience esthétique universelle : si on communique dans ce domaine, ce n’est jamais qu’avec son groupe, son ethnie ou, dans un monde capitaliste, qu’avec ceux de sa classe.

On est donc conduit à l’incommunicabilité de l’expérience esthétique, au cloisonnement des esprits et à la relativité absolue de l’expérience et du jugement esthétiques. Cette vision ne va pas sans poser plusieurs problèmes.

Tout d’abord, en quoi ce moi singulier, saurait-il être l’unique mesure du beau ? La beauté est elle forcément subjective, ne serait-elle pas plutôt dans l’objet et de fait nos jugements ne devraient ils pas être éduqués avant (ou afin) de pouvoir être partagés ? De plus est-il légitime d’exclure définitivement toute communicabilité de l’expérience esthétique en posant que le moi ne soit pas pleinement autonome ou indépendant dans ses jugements esthétiques ? Dans la perspective d’une possibilité que le beau ne soit pas qu’une expérience e subjective, il est intéressant de relever que tout un courant de pensée au XVIIème siècle a posé que la beauté était objective et qu’il convenait de lever le voile qui nous la dissimulait.

Vivre une expérience du beau en matière d’art cela consistait à savoir trier dans les productions artistiques pour en extraire celles les plus à mêmes de nous faire vivre l’expérience esthétique véritable.

Ainsi, ce qui est fondamentalement posé par un écrivain janséniste comme Pascal par exemple c’est que notre seconde nature (déchue, dominée par l’égoïsme et l’imagination) nous empêche d’accéder aux choses belles et nous encourage à apprécier les choses corrompues d’après de mauvais modèles! Prisonnier d’un amour de soi qui le pousse à aimer ce qui lui est favorable et donc vers les concupiscences l’homme juge de fait tout en fonction d’une nature mauvaise: « Il ya un certain modèle d’agrément et de beauté qui consiste en un certain rapport entre notre nature faible ou forte telle qu’elle est et la chose qui nous plaît » (Pensées, 486 S).

De même que l’homme déchu est incapable de trouver la justice et la vérité, il est incapable de discerner le beau.

Au même siècle et dans la même mouvance augustinienne, Pierre Nicole, dans son ouvrage « La vraie beauté et son fantôme »propose, outre quelques caractéristiques du beau (son caractère impérissable, sa constance, son caractère harmonieux par exemples), que c’est notre raison, qui sera capable de dépasser cette subjectivité qui nous caractérise en même temps qu’elle nous condamne l’accès au beau et à l’isolement esthétique.

Il s’agit donc d’une conception objective, intellectualiste et normative du beau qui était posée, conception qui rendait possible, au moins théoriquement, une expérience partagée du beau.

Cette approche, en dépit de la théorie sous jacente éminemment discutable (le péché originel et la double convenance de la beauté à la fois à notre vraie nature et à la vraie nature de l’objet) , en soulignant la nécessité d’une éducation, d’un apprentissage ( et donc d’un tri sélectif! ) à l’expérience esthétique et à la beauté rend possible un goût partagé. Mais là aussi il convient toutefois de relever le problème posé par l’affirmation d’un lien entre expérience esthétique et rationalité, d’une conception objective du beau: peut-on vraiment convaincre autrui de la beauté d’un objet grâce à des critères « reconnus », une éducation au beau, des « preuves »? Au même siècle Descartes affirmait, à contre sens, que l’expérience esthétique relevait des passions, du corps et en aucun cas de la raison, soulevant ainsi la difficulté inhérente à vouloir ancrer la beauté dans l’objet et le jugement esthétique dans la raison.

Une fois de plus il semble que nous soyons reconduits à l’irréductibilité du jugement esthétique et à sa non communicabilité. Exclure la raison du jugement esthétique, pas plus que de faire le constat de la variabilité ou du « caprice » des goûts en matière esthétique, ne saurait forcément condamner les hommes à des expériences incommunicables.

Lorsque Hume énonce que «Le même Homère qui plaisait à Athènes et à Rome il y a deux mille ans est encore admiré à Paris et à Londres » et que « Tous les changements de climat, de gouvernement, de religion et de langage ne sont.... »

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