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L'IRRATIONNEL

Publié le 22/02/2012

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La notion d'irrationnel se présente dès l'abord sous un jour plutôt négatif ou inquiétant et évoque le célèbre tableau intitulé Le sommeil de la raison engendre des monstres où Goya nous peint un homme assoupi, guetté par les monstres de l'irrationnel qui surgissent, menaçants, lorsque s'endort la raison. Ainsi l'irrationnel désigne-t-il, en un premier temps, ce qui est étranger ou contraire à la raison, si l'on entend par raison à la fois une faculté, un procédé, un idéal caractérisés par le jugement critique et cohérent, ainsi que le sens de l'universel et du dialogue. Les figures classiques de l'irrationnel sont alors le préjugé ou l'opinion, tout le domaine de l'affectivité (passions, sentiments, émotions, croyances, imaginaire, inconscient, rêves) ou de l'occulte (l'astrologie, le spiritisme, la magie, la cartomancie, etc.), mais aussi des expériences extrêmes telles le mysticisme, ces attitudes ayant en commun d'échapper peu ou prou aux procédures rationnelles de vérification ou d'explicitation définies par la science. Mais l'irrationnel, en une acception plus positive, signifie aussi cela même qui excède la raison et constitue une aporie (le mystère, l'inconnu). L'irrationnel, qui signe les limites de la connaissance ou de la représentation, peut également incarner, dans une version existentialiste, l'absurdité, la contingence de l'existence, c'est-à-dire une modalité ontologique du réel. La question se pose alors de savoir si l'irrationnel, en sa qualité première d'énigme, n'est qu'un inconnu provisoire ou s'il existe, au sein du réel et de la raison humaine, des zones d'obscurité ou d'opacité rebelles à toute explication intelligente. L'irrationnel n'est - il que le provisoirement incompris ? Possède-t-il une existence objective, ontologiquement fondée, ou n'est - il pas le fruit de l'imagination abusée par des passions, des désirs, des peurs, des ignorances qu'il conviendrait de penser, de rationaliser autrement dit ? Qui plus est, faut-il confondre le non rationnel avec l'irrationnel ? Et si l'irrationnel figure l'autre de la raison, n'a-t-il pas, en sa spécificité, un rôle fécond à l'égard de la raison elle-même ? L'irrationnel, un rival délétère de la raison ou bien un auxiliaire utile et irremplaçable ? La problématique de l'irrationnel nous invite donc à méditer la prétention rationaliste d'une omnipotence de la raison qui semble osciller en permanence entre une double tentation dogmatique et sceptique à laquelle l'idée d'une raison élargie permettrait peut-être d'échapper.

« comme c'est le cas avec le phénoménisme d'un Pyrrhon, soit que la connaissance humaine se voit assignée desbornes absolues – celles là mêmes de la représentation subjective -, comme on le voit avec Kant dans La critique dela raison pure.

Double dimension ontologique et épistémologique de l'irrationnel qui renvoie à l'éternel hiatus entre laconscience et le monde, au principe des grandes métaphysiques.

La foi, l'expérience mystique, la magie, le mythe, lavie affective, tout cela entre dans la catégorie de l'irrationnel, soit parce que ces différentes réalités ressortissent àun ordre transcendant, absolu, inconnaissable (le noumène kantien, par exemple, le monde invisible du sorcier), soitparce qu'elles n'ont tout simplement pas de signification au regard des critères d'appréciation de la raison ou de sesmoyens d'investigation. Un autre aspect de l'irrationnel, le plus simple sans doute à penser, même s'il s'avère peut-être le plus corrosif,concerne ce que l'on met généralement sous la catégorie de la superstition, de la « misologie » (Platon , Phédon, 89d), voire de l'obscurantisme : le préjugé – ennemi naturel de la philosophie -, le fanatisme, l'intolérance, ainsi qu'ungoût contemporain bien prononcé pour toutes les formes d'anti-intellectualisme (sciences occultes, un certainécologisme dénoncé par Luc Ferry dans Le nouvel ordre écologiste, le « New Age »…).

Mais ces différentes posturesde rejet de la raison se déclinent différemment selon que l'on envisage des constructions faisant appelparadoxalement à des perspectives non scientifiques, mais adoptant un mode de légitimation scientifique(l'astrologie notamment), ou renonçant explicitement au paradigme scientifique, fût-ce de façon radicale (lemysticisme, dans sa variante passionnelle surtout, l'obscurantisme, le fanatisme, pour n'évoquer que les figures lesplus récurrentes).

Cet irrationnel par renoncement à la raison relève, selon Platon, d'un amour déçu, d'une attitudepassionnelle qui nourrit la misanthropie ou l'antihumanisme et qui traduit une relation passive et aliénante au savoir.L'irrationalisme consisterait, en somme, en une attitude n'admettant pas la rationalité des choses ou ne faisant pasde la raison l'instrument essentiel de la connaissance ou de l'action. Où l'on voit se profiler une distinction de taille entre l'irrationnel stricto sensu et le non rationnel, le premier laissantprésager une raison élargie, fonctionnant sous un registre qui ne se limite pas aux grandes catégories de larationalité scientifique, et le second incarnant le négatif absolu de la raison sur le plan de l'être (l'inconnaissable) oudu jugement (la misologie passionnelle).

Cette approche de l'idée d'irrationnel nous permet de mettre en relief lacatégorie du rationnel.

Si l'on entend par là ce qui est conforme à la raison, à ses principes, à ses méthodes, voire àses idéaux, la raison signifie la faculté de calculer, d'analyser, d'élaborer, de raisonner, de bien juger.

Elle incarnedepuis Platon la pensée juste, dont l'objet et l'horizon suprême sont à chercher du côté de l'universel et du Bien, paropposition à l'opinion.

Idéal des sociétés laïques et démocratiques, la raison incarne l'aptitude critique à s'enremettre à la réflexion plutôt qu'à la violence, mais aussi une méthode efficace, dispensatrice de règles decohérence, dont le paradigme est défini par Descartes dans Le discours de la méthode.

En clair, qu'est une penséerationnelle, sinon une démarche idéale d'autojustification, de confrontation à l'altérité autorisant le dialogue, decontrôle, voire d'efficacité instrumentale. Dès lors, par contraste, l'irrationnel figure le registre de l'opinion, dont l'objet est précisément l'individuel et lesensible, et tout ce que les grecs mettaient sous la catégorie de l'hybris – les passions, la violence, l'intempérance,voire les formes subtiles du relativisme ou du subjectivisme de certains sophistes comme Gorgias et Protagoras.

Icila dévalorisation de l'irrationnel, qui peut aller jusqu' à incarner le difforme ou l'informe (le phénomène de lamonstruosité, par exemple), voire l'infini (l'illimité), est à mettre sur le compte d'une pensée classique iconoclaste quipromeut la raison et l'ordre du discours, au détriment de l'imaginaire et de l'irrationnel (cf.

Gilbert Durand inL'imaginaire).

C'est précisément ce que suggère le tableau de Goya évoqué dans l'introduction : la perte deconscience de l'homme assoupi, son absence de vigilance, sont accompagnées d'une extrême tension et d'unesouffrance ; les « monstres » sont là, grimaçants : chauve-souris, tigres sauvages, figures de l'agression, del'irrationnel ou de la mort.

Tout ce présupposé de notre expérience quotidienne, que nous expulsons de notre vécu àgrand peine, quand il nous sollicite, voici qu'il guette l'homme endormi ou s'endormant.

C'est un thème appartenantau romantisme et au surréalisme que celui de la plongée nocturne dans l'univers des monstres qui peuplent nosrêves les plus secrets. Mais nous n'avons envisagé jusqu'à présent la question de l'irrationnel que sur un plan proprement théorique, ennégligeant son aspect pratique.

En effet, il convient de ne pas confondre raisonnable et rationnel, déraisonnable etirrationnel, de même que le non rationnel ne recoupe pas nécessairement l'irrationnel.

Qu'est-ce à dire, sinon que leraisonnable concerne l'ordre de l'action ou du comportement, tandis que le rationnel renvoie à la sphère de laconnaissance ou du jugement.

Ainsi parle-t-on d'un raisonnement irrationnel, pour signifier par là son incohérence,son inadéquation aux normes logiques (principes d'identité, de non contradiction, de tiers-exclu) ; un comportementdoit plutôt être qualifié de déraisonnable (même si l'adjectif irrationnel est souvent utilisé de façon impropre à laplace de celui d'irrationnel), si l'on veut exprimer l'intempérance, l'imprudence, l'inconscience, savoir l'action nonmaîtrisée, porteuse de violence et de déraison.

Exemplaire est, à cet égard, la conduite passionnelle qui passegénéralement pour une conduite déséquilibrée, aveugle, aliénante, privant le sujet du sens du discernement.

Aussiqualifie-t-on un comportement de raisonnable lorsqu'il est sensé, mesuré, conscient de lui-même et de ses finalités.Le raisonnable est donc tout entier du côté du bon sens et de ce qu'on appelle communément la sagesse.

Uneattitude peut très bien être jugée déraisonnable sans pour autant qu'elle soit irrationnelle : le passionné raisonne belet bien, à telle enseigne qu'un Ribot, dans son Essai sur les passions, parle de logique passionnelle. Au total, que nous enseigne cette première étape concernant la nature du concept d'irrationnel ? D'abord quel'irrationnel désigne péjorativement l'autre négatif de la raison : dans cette perspective, l'irrationnel, c'est tout cequi ne correspond pas, en apparence du moins, aux grandes exigences de la pensée rationnelle (universalité,objectivité, cohérence) ou du comportement raisonnable (circonspection, pondération, maîtrise de soi) ; c'est aussi,. »

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