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MACHIAVEL

Publié le 02/09/2013

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machiavel

 

1469 - 1527

QUAND un homme d'Etat augmente sa puissance avec l'air du désintéressement, quand il parle de paix pour couvrir des projets de guerre ou qu'il prend l'offensive au moment de faire des ouvertures de paix, on dit qu'il est machiavélique. Comme si Machiavel avait appris l'art de régner à d'innocents monarques. Il a seulement été des premiers à en parler si franchement. Ceux qui appellent de leur vrai nom les choses cachées et blessantes, on aimerait penser qu'ils les inventent et on les charge du mal que les autres font parce qu'ils ont la simplicité de le dire. C'est Stendhal qui est le « polisson « et c'est Guizot l'honnête homme. Mais, après un peu de temps, quand les hommes se sont reconnus dans le nouveau miroir qu'on leur tendait, c'est Stendhal l'honnête homme et Guizot le coquin. Machiavel attend depuis longtemps en purgatoire. Il est temps de l'en retirer, et d'y mettre les Médicis et leur pouvoir qui — comme tous les pouvoirs — « vient de Dieu «.

Comment serait-il l'homme du secret, puisqu'il a éventé le secret ? Comment serait-il un machiavélique puisqu'il a noir sur blanc expliqué comment vont les Etats ? Les vrais machiavéliques se taisent ou moralisent. Il n'est même pas sûr qu'ils voient ce qu'ils font et qu'ils dupent les autres. Peut-être sont-ils dupés aussi. Entre eux-mêmes et leurs actions, il y a le voile du « pouvoir légi¬time «, de la « loi «, du « gouvernement établi «, du devoir de régner. Comme le Créon de Jean Anouilh, ils tuent la mort dans l'âme. Comme le tricheur qui tripote les cartes sous la table, ils ne voient pas leurs mains, ils n'ont d'yeux que pour les grandes choses qu'il s'agit de sauver. Machiavel n'a pas de secrets parce qu'il n'a pas de prétextes. On ne trouve nulle part, dans le Prince, de définition du pouvoir ou de l'autorité légitimes. Mais justement parce qu'aucun pouvoir n'est sacré, les crimes qui le conservent sont donnés pour ce qu'ils sont : des crimes, et le problème d'un pouvoir propre est vraiment posé. Avec les politiques juridiques, on trouve toujours, en creu¬sant sous les « valeurs «, la crasse et le sang. Avec Machiavel, c'est tout le contraire : le sang et la crasse sont au-dehors, bien en vue, et peut-être y a-t-il par-dessous un peu de vraie morale.

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« lft T tl J !OUnti! Ce n'est pas sur ses amis qu'il s'appuiera; ils se croient trop de droits sur lui.

Il cherchera plutôt à rallier ses adversaires.

Il leur fera crédit.

Il les prendra au piège de la liberté.

S'ils ne s'y laissent pas prendre, alors il frappera, mais vite, et toujours en donnant des raisons.

Quand il aura réussi à s'attacher ses sujets, il ne craindra pas de leur demander trop d'efforts : on n'aban­ donne pas si vite un pouvoir pour lequel on a donné ses biens et son sang.

Les hommes s'attachent par ce qu'ils donnent autant que par ce qu'ils reçoivent.

Ils aiment ce qui les dévore ...

Voilà quelques-unes des fameuses manœuvres de Machiavel.

Tout cela n'est pas si noir.

Faire crédit, c'est peut-être une ruse, mais on ne sait trop qui est dupé : la liberté gagne à ce sys­ tème, et le pouvoir n'est plus absolu.

Machiavel ne veut pas dire que le pouvoir soit fait pour duper.

Il veut dire qu'il n'y a pas de pouvoir (peut-être pas de rapports humains) sans quelque distance.

Celui qui consulte trop les autres, au lieu de les devancer vers le but, il les déçoit et les rend à leur inertie.

Celui qui ne les consulte jamais et se décide dans le secret, entend trop tard les objections; il faut au dernier moment qu'il se ravise, et pour finir il cède au dernier qui a parlé.

C'est déjà le mot de Lénine, qu'un chef ne doit pas être loin devant les masses, ni marcher avec elles : il doit les précéder, d'un pas seulement.

Pour faire ce que les hommes veulent, il faut choisir cette action qui est la leur, mais qu'ils ne voudront pas tout seuls.

Pour leur faire du bien, il n'y faut pas trop penser; pour être bon, il ne faut pas vouloir être bon.

La force d'âme, la virtù que Machiavel exige du prince, ce n'est pas l'astuce ou la ruse, c'est cette maîtrise de ses bons senti­ ments comme de sa colère qui fait qu'il peut écouter sans complaisance et commander sans offense.

« Un prince doit s'efforcer de se faire une réputation de bonté, de clémence, de piété, de loyauté, de justice; il doit d'ailleurs avoir toutes ces bonnes qualités, mais rester assez maître de soi pour en déployer de contraires, alors que cela est expédient ( 1).

» Machiavel ne connaît pas de règle morale qui s'impose du dehors au pouvoir, mais comme une règle intérieure de la vie à plusieurs qui l'oblige à tourner au bien et qui exclut l'oppression : « On peut sans injustice contenter le peuple, non les grands; ceux-ci cherchent à exercer la tyrannie, celui-là seulement à l'éviter ...

Le peuple ne demande rien que de n'être pas opprimé (2).

» Il n'est pas pour les vices contre les vertus.

Mais pas davantage pour les vertus contre les vices.

C'est que, dans la vie à plusieurs, les vertus appellent le mépris.

Et à bon droit.

Car toute vertu déclarée, qui se sait et se prend pour but, est finalement mépris d'autrui.

Machiavel est au-delà des vices et des vertus.

Il n'y a pour lui qu'une vertu, la liberté souveraine de celui qui est revenu des vertus non moins que des vices.

On dira peut-être que lui-même ne s'est pas tenu à cette règle, qu'il s'est rallié à des médiocres et qu'il a manqué sa vie faute de vertu.

Républicain, on ne voit pas qu'il ait mesuré le pouvoir des Médicis à ses propres canons.

Les espoirs fondés sur le fils de Laurent, c'était l'aventure.

Ils lui ont valu la rancune des républicains, sans lui donner la confiance des Médicis.

Mais l'objection ne vaudrait que si Machiavel avait eu le choix entre l'aventure et un prince selon ses vues.

Il peut se faire qu'il ait fort bien compris ce que le pouvoir doit être pour être honorable, et que son temps ne lui ait rien proposé de semblable.

Nous avons la vertu facile, parce que nous vivons dans un monde assez riche en hommes et en moyens pour que le choix politique soit aussitôt un choix des fins.

Machiavel, lui, vivait dans un temps où la grande affaire était d'empêcher les Français, les Espagnols ou le Pape de piller l'Italie - et de constituer contre eux un Etat.

Qu'il ait cherché à user d'un pouvoir tout fait au lieu de bâtir de toutes pièces une cité populaire, c'était raison­ nable dans l'état des choses.

D'ailleurs, ce n'est justement pas sa conduite qu'on lui reproche, mais d'avoir dans son livre détruit les idoles.

C'est lui qui fait l'éloge de Brutus, et c'est Dante qui le damne.

On ne lui pardonne pas d'avoir laissé là le Pouvoir Légitime et d'avoir en politique remis l'homme en face de l'homme.

Ce reproche-là est sa gloire.. »

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