texte de machiavel sur la fortune et la vertu

Machiavel expose, dans les trois premières, la position qu'il n'accepte pas, c'est-à-dire le fatalisme. Position qu'il dit ne pas ignorer (première phrase). Autrement dit, il ne s'agit pas d'une simple position théorique, professée par quelques philosophes en mal d'originalité. Il s'agit plutôt d'une position partagée par ses contemporains. Et même, si l'on se fie à la deuxième phrase, d'une position qui est de plus en plus partagée : « Opinion qui a gagné du poids en notre temps, à cause des grands bouleversements auxquels on assiste chaque jour, et que nul n'aurait jamais pu prévoir. >> Les historiens du 16ème siècle italien nous apprendraient sans doute à quels bouleversements fait allusion Machiavel. Mais il n'est pas besoin de leur savoir pour saisir l’es - sentiel de cette affirmation. Chaque époque, la nôtre également, offre suffisamment d'imprévu et de catastrophes pour qu'on comprenne que les hommes en viennent à croire qu'ils sont incapables de peser sur leur destin. La conclusion est si naturelle que Machiavel note même, dans la troisième phrase, qu'il se sent lui-même incliné à penser ainsi quelques fois. Mais arrêtons-nous sur la première phrase du texte : « Je n'ignore pas cette croyance fort répandue : les affaires de ce monde sont gouvernées par la fortune et par Dieux Ainsi les hommes pensent, selon Machiavel, que les affaires de ce monde sont gouvemées par la fortune et par Dieu. Etonnante affirmation ! Dieu et la fortune. Quel étrange couple. Pourquoi Machiavel ne s'est-il pas contenté d'évoquer Dieu ? Pourquoi lui associer la fortune ? Car la théologie chrétienne soutient que Dieu est tout-puissant. Il ne saurait exister, à ses côtés, une autre puissance. Si Dieu gouveme les affaires de ce monde, ce ne peut être que seul. Soutenir le contraire relèverait de l'hérésie. Alors comment comprendre les propos de Machiavel ? On ne sait trop. Mais il ne faut sans doute pas accorder trop d'importance à cela. Il doit s'agir d'une façon de parler banale, sans conséquence. D'autant plus que Machiavel ne mentionnera plus Dieu par la suite. La croyance qu'il examine est manifestement une croyance populaire, imprécise. Elle se contente de soutenir qu'une puissance mystérieuse conduit le monde. Qu'il s'agisse de Dieu ou d'une autre puissance, peu importe. Les affaires de ce monde. Disons un mot de cette expression métaphorique, assez imprécise. Machiavel désigne probablement les événements qui constituent la trame de la vie humaine. Des événements comme les guerres, les famines, les catastrophes naturelles, les épidémies. Il y a probablement dans cette expression une dimension collective. Les affaires de ce monde sont les événements qui touchent les hommes en général. Continuons l'examen de la première phrase. Les hommes croient que leur destin est écrit à l'avance et que, quoi qu'ils tentent de faire, ils ne pour - ront pas le changer. « Si grande soit leur sagesse », ajoute Machiavel. Le mot sagesse a ici un sens plus large que celui que nous lui attribuons aujourd'hui. Il vient du latin sapere qui signifie savoir. Il faut comprendre que même les hommes les plus savants, ceux dont le savoir est le plus étendu, ne peuvent rien contre le destin. Pensons par exemple aux épidémies. Face à la peste ou au choléra, le commun des mortels ne peut rien. La maladie l'attaque et le terrasse. On pourrait imaginer que le médecin, par son savoir, en viendra à bout. Ce serait donc l'ignorance qui ferait le succès de la fortune. Mais le fataliste ne raisonne pas ainsi. Il estime que le savoir ne confère aucune puissance. Si la fortune a décidé qu'il était temps pour un homme de mourir, les plus savants médecins auront beau se réunir à son chevet, ils ne pourront rien pour lui. Inutile, par conséquent, de les déranger. << ... inutile de suer sang et eau à vouloir [...] corriger, [...] il vaut mieux s'abandonner à son sort.» Il y a là, on en conviendra, un point de vue extrémiste, radical. On a du mal à croire que même au temps de Machiavel, beaucoup d'hommes aient pensé ainsi. Pourtant, il s'agit d'après les premiers mots du texte, d'une « croyance fort répandue ». Et c'est sans doute parce qu'il la sait répandue d'une part et qu'il la juge d'autre part bien trop radicale et dangereuse, que Machiavel s'efforce de la combattre. Ainsi, aux yeux de Machiavel, l'homme ne doit pas s'abandonner à son sort. Il est temps de chercher comment Machiavel justifie cette affirmation. Comment parvient-il à justifier son rejet de la résignation ? La question est un peu embarrassante. Le texte ne développe pas une argumentation très précise. On y trouve principalement une métaphore : celle d'une rivière torrentueuse qui emporte tout sur son passage. On y trouve aussi, au commencement de la quatrième phrase, une précision quelque peu énigmatique : « ... comme notre libre arbitre ne peut disparaître... » C'est dire qu'il appartient au lecteur de parfaire, de construire le raisonnement esquissé par Machiavel. Il ne suffit pas de lire le texte, il faut le méditer et le prolonger