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MACHIAVEL: COMBIEN PEUT LA FORTUNE DANS LES CHOSES HUMAINES ET COMME ON Y PEUT FAIRE TÊTE.

Publié le 27/02/2008

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Je sais bien qu'aucuns furent et sont en opinion que les affaires de ce monde soient en cette sorte gouvernées de Dieu et de la fortune, que les hommes avec toute leur sagesse ne les puissent redresser, et n'y aient même aucun remède ; par ainsi ils pourraient estimer bien vain de suer à les maîtriser, au lieu de se laisser gouverner par le sort. Cette opinion a repris crédit en notre temps pour les grandes révolutions qu'on a vues et voit tous les jours, dépassant toute conjecture des hommes. Si bien qu'en y pensant quelquefois moi-même, en partie je me suis laissé tomber en cette opinion. Néanmoins, pour que notre libre arbitre ne soit éteint, j'estime qu'il peut être vrai que la fortune soit maîtresse de la moitié de nos oeuvres, mais qu'étiam elle nous en laisse gouverner à peu près l'autre moitié. Je la compare à l'une de ces rivières, coutumières de déborder, lesquelles se courrouçant noient à l'entour les plaines, détruisent les arbres et maisons, dérobent d'un côté de la terre pour en donner autre part ; chacun fuit devant elles, tout le monde cède à leur fureur, sans y pouvoir mettre rempart aucun. Et bien qu'elles soient ainsi furieuses en quelque saison, pourtant les hommes, quand le temps est paisible, ne laissent pas d'avoir la liberté d'y pourvoir et par remparts et par levées, de sorte que, si elles croissent une autre fois, ou elles se dégorgeraient par un canal, ou leur fureur n'aurait point si grande licence et ne serait pas si ruineuse. Ainsi en est-il de la fortune, laquelle démontre sa puissance aux endroits où il n'y a point de force dressée pour lui résister, et tourne ses assauts au lieu où elle sait bien qu'il n'y a point remparts ni levées pour lui tenir tête. Et si vous considérez bien l'Italie, laquelle est le siège de ces révolutions et celle qui leur a donné le branle, vous la verrez être une vraie campagne sans levées ni remparts aucuns ; or si elle était protégée de convenable virtu, comme est l'Allemagne, la France et l'Espagne, ou cette crue n'aurait pas fait si grandes révolutions, ou bien ne serait pas du tout advenue. Et me suffise avoir dit cela quant à ce qui est de faire tête à la fortune en général. Mais pour entrer plus particulièrement en la matière, je dis qu'on voit aujourd'hui un prince être heureux, et demain ruiné, sans l'avoir aperçu changer ou de nature ou de quelque qualité que ce soit : ce que je crois qui procède premièrement des raisons que nous avons ci-dessus amplement déduites, c'est à savoir qu'un prince qui s'appuie totalement sur la fortune tombe quand elle change. Je pense aussi que celui-là soit heureux qui sait bien s'accommoder de son temps, et malheureux celui qui ne procède pas en s'accordant avec lui. Car on voit les hommes, dans les choses qui les conduisent au but où chacun vise (qui est les honneurs et la richesse), y procéder par divers moyens : l'un avec prudence, l'autre avec fureur ; l'un par violence, l'autre par art ; celui-ci par patience, celui-là par son contraire ; par toutes lesquelles manières on peut parvenir au but. En outre on voit pareillement de deux qui gouverneront avec prudence, l'un parvenir, l'autre ne parvenir point à son dessein ; on voit aussi d'autre côté deux desquels l'un usera de prudence, l'un d'audace, qui prospèreront également encore que leurs manières de faire soient différentes : ce qui ne provient d'autre chose que de la sorte du temps qui se prête ou non à leur façon de faire. De là vient ce que j'ai dit devant, que deux qui procèdent diversement obtiennent un même effet, et que deux autres, procédant pareillement, l'un frappera son but, l'autre non. Encore de la même cause dépend le caractère changeant du succès ; parce que si un qui se gouverne par circonspection et patience, le temps et les affaires tournent si bien à propos que sa manière soit bonne, il réussira heureusement ; mais si la saison change, il sera détruit parce que lui, il ne change pas sa façon de faire. Et il ne se trouve personne si sage qu'il se sache accommoder à cela, soit parce qu'il ne peut se détourner de là où le naturel le pousse, soit etiam parce qu'ayant toujours prospéré à cheminer par un moyen, il ne se peut mettre en tête que ce soit bien fait de s'en tirer. Ce pourquoi l'homme circonspect, quand il est temps d'user d'audace, il ne le sait faire, dont procède sa ruine ; que si son naturel changeait avec le vent et les affaires, sa fortune ne changerait point.MACHIAVEL

Le Prince, écrit par l’italien Nicolas Machiavel en 1513, et publié en 1532,  est un ouvrage destiné à « donner des règles de conduites à ceux qui gouvernent «. Il s’agit donc d’un ouvrage politique, mais dans cet extrait du chapitre 25 de son œuvre célèbre, Machiavel entreprend une réflexion d’ordre éthique, c’est-à-dire qu’il s’interroge sur la conduite humaine, dans la perspective d’établir des règles de vie, et un certain savoir pratique dans le domaine de la vie humaine et des choses contingentes. Car en effet, pour ce penseur engagé dans la politique de son pays, il ne faut pas négliger qu’il est important d’ « être du peuple pour bien connaître les princes «, de même qu’il faut « être prince pour bien connaître la nature et le caractère du peuple «, et c’est pourquoi, ce n’est qu’avec cette sage connaissance de la nature de l’homme ordinaire que l’on peut espérer gagner une force politique capable de dominer un peuple. Machiavel se demande si les hommes sont capables de conduire leur vie par leur propre volonté ou s’ils sont déterminés par une force qui leur est supérieure. Est-il possible de légiférer sur le cours des évènements, ou autrement dit, d’établir des constantes dans le domaine des choses non immuables ? Ne doit-on pas s’en remettre au hasard, à ce que Machiavel nomme la fortune (fortuna) ? Dans ce passage, l’auteur tente justement d’affirmer l’existence d’un libre-arbitre chez l’homme qui lui permet de ne pas être entièrement déterminé par les aléas du sort, et d’exercer sa volonté propre pour conduire ses actions contre la nature contingente du monde.

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« conduire par le sort.

» Cela signifie implicitement, que malgré le déterminisme dont la plupart des hommes sontpersuadés d'être victimes, il n'en reste pas moins que certains cherchent tout de même à exercer leur pouvoir surles évènements, et que le cours des évènements reste une préoccupation.- Machiavel justifie historiquement la première position de renoncement à diriger et prévoir les choses, en expliquantque de nombreux faits imprévisibles sont survenus à son époque, qui ont découragé les hommes, dépassés par cesévènements qu'ils n'ont pu anticiper ni résorber à temps.

2ème partie : Pourtant, l'homme est doté d'un libre arbitre qui lui permet de contenir la puissance de la fortune.

(Infléchissement de la thèse de départ et exposition de la thèse de l'auteur) - Après avoir admis la légitimité de la première thèse, dont la valeur tient dans sa popularité et sa justificationempirique, Machiavel affirme son opposition partielle, en refusant de s'abandonner à la facilité et à la fatalité d'unetelle conception du cours des choses.

S'il concède à la fortune une puissance incontestable sur la vie des hommes,il refuse d'y voir une fatalité, et soutient que les hommes peuvent exercer leur volonté et atténuer ainsi ladomination de la fortune.- C'est en introduisant le concept de « libre-arbitre », c'est-à-dire du pouvoir qu'à la raison humaine de sedéterminer librement, que Machiavel entend démontrer sa thèse.

En effet, il ne peut « admettre que notre librearbitre soit réduit à rien ».

Il émet alors l'hypothèse que la raison humaine n'est soumise que partiellement à lafortune (à moitié, selon lui) car elle conserve aussi sa propre détermination.

Ainsi, les actions humaines seraient lerésultat d'un mélange entre nécessité du hasard et volonté délibérée des hommes.- L'auteur emploie la dernière partie du texte à développer une comparaison de la fortune avec un fleuve sujet audéchaînement.

Ainsi, la fortune, comme un phénomène naturel, peut se déchaîner, entraîner des catastrophesimprévisibles qui dépassent les hommes.

Comme un fleuve débordant de son lit dans la tempête, la fortune peutcauser des ravages immenses qu'il est difficile d'éviter.

Et pourtant, de même que les hommes ne sont jamais àl'abris des catastrophes naturelles, ils peuvent cependant chercher à prévenir de tels évènements, en élaborant destechniques de protections et des stratégies d'évitement, ainsi que des mesures à prendre pour atténuer les dégâtsdans le cas ou surviendrait quand même de tels débordements.- Cette comparaison permet à l'auteur non seulement de clarifier sa compréhension du concept de fortune, endéveloppant sa définition de manière métaphorique, mais aussi de montrer le rôle que l'homme peut jouer pour influerle cours des choses.

Machiavel adopte alors un ton prescriptif, en exhortant les hommes à user de leur libre-arbitrepour ne pas se laisser dépasser par le cours des choses et dominer par la fortuna.

La fortune, si elle est puissanceet redoutable, peut être contrainte.- En fait, pour l'auteur, si la fortune à un tel pouvoir de domination sur les hommes, ce n'est que parce que leshommes se soumettent et ne cherchent pas à s'y opposer, car en réalité, comme l'on peut contraindre un fleuve pardes digues, la fortune peut être domptée par les hommes.

Le rôle des hommes est donc de se parer contre lafortune, de s'y préparer, de la prévoir, pour pouvoir la dominer Conclusion : Cet extrait du Prince, apparaît comme un condensé de l'idée centrale développée par Machiavel dans son œuvre, quis'enracine dans le concept de « fortune ».

Ainsi, pour l'auteur, la fortune est une force non humaine, la chance,bonne ou mauvaise, qui intervient dans les affaires humaines.

De cette existence, il s'ensuit que l'homme estdominé, dirigé dans ses actions, les cours des évènements étant déterminé par la fortune.

Pourtant, si Machiavelreconnaît au début du texte à la fortune une force incontestable, prouvée par l'expérience, il reproche aux hommes d'y trouver un prétexte à se soumettre résolument au cours des choses et à renoncer à tout pouvoir d'agir etd'exercer sa propre volonté.

En effet, un autre concept central est celui du libre-arbitre, qui permet aux hommes deplier la force de la fortune, de la prévenir et de la contraindre pour décider de leurs actions.

Cette qualité propre auxhommes, c'est ce que Machiavel nomme la « virtu », terme absent du texte, mais fondamental dans la pensée del'auteur, qui renvoie à une disposition humaine de réaction, ou de non réaction, face à l'évènement.

S'exerçant danset à travers la fortune, la virtù est au cœur de l'art du prince.

Afin de prendre, conserver puis stabiliser son pouvoirdans un Etat, le Prince doit faire preuve de virtù, pour s'adapter au mieux aux aléas de la fortune.

En effet, lapolitique, l'objet central de l'œuvre de Machiavel dont le texte est tiré, est l'art de bien gérer la cité mais aussi celuid'apprendre à se maintenir au pouvoir dans une situation ouverte à tous les retournements. MACHIAVEL (Nicolas). Né et mort à Florence (1469-1527).

Secrétaire du gouvernement florentin, le retour des Médicis au pouvoir, en 1512, le conduisit en prison.

Il fut torturé et dut se retirer des affaires publiques.

Puis, ildevint historiographe de Florence, mais, de nouveau suspect, il se tint à l'écart et mourut la même année.

Il futsurtout un théoricien politique, conscient des dangers courus par son pays, et cherchant à les combattre.

Il tentaune analyse scientifique de la société.

S'il préconise l'hypocrisie ou l'immoralité comme moyens de gouvernement,c'est parce que, dans un pays réduit à l'immoralité, pays qu'il faut sauver, le prince ne doit reculer devant aucun. »

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