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(Marcuse - L'homme unidimensionnel) TROISIÈME PARTIE PERSPECTIVES D'UN CHANGEMENT HISTORIQUE

Publié le 03/05/2011

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• La philosophie et son engagement historique

La philosophie analytique révèle plus visiblement l'échec de sa méthode lorsqu'elle s'en prend à des entités abstraites, à des concepts généraux. Si des entités comme la Nation, le Parti, l'Église, résistent à la décomposition analytique, c'est précisément parce qu'elles ne sont pas mythiques, mais constituent des unités réelles, concrètes et objectives. Elles renvoient à des groupes clairement définis à l'intérieur de la société, et qui servent de référence à l'action et au langage de leurs membres. Mais la philosophie analytique refuse de tenir compte de ce contexte social et historique. Les entités sont pourtant bien réelles. Elles exercent une action sur les individus qui à leur tour agissent sur elles. Ce qui vaut pour les institutions vaut aussi pour les idées abstraites. « L'esprit «, « la conscience «, « le moi « sont des entités réelles, non pas, selon Marcuse, en tant que facultés individuelles, mais en tant que dispositions générales appartenant en commun aux membres d'un groupe social, déterminé à des degrés divers. C'est la société qui définit pour un individu les limites de l'expérience à l'intérieur de laquelle les mots « esprit « et « conscience « ont un sens.

« faire son apparition : une raison qui mettrait par-dessus tout« art de vivre » et non le succès.

Cela impliquerait une nouvelle définition des rapports de l'art et de la raison.

L'artne serait plus rejeté dans l'irrationnel, mais réintégré à une raison nouvelle, il représenterait sa partie inventive,imaginative, créatrice.

La science du même coup ne se bornerait plus à un rôle de mise en ordre et de conservationdu réel, mais aurait aussi pour fonction de projeter le possible sur des bases concrètes et objectives.

Lorsqu'onconfronte la possibilité de la libération avec certaines spéculations métaphysiques des siècles passés sur la Sociétéjuste ou la Paix perpétuelle, on s'aperçoit que ces constructions philosophiques « négatives », invérifiables dansl'univers établi, sont désormais matérialisables.

Si ces conceptions idéales de la société et de la paix sont restéesvouées à l'abstraction, ce n'est pas à cause de leur caractère intrinsèquement irrationnel, mais par suite deconditions, historiques défavorables, comme la nécessité, dans les sociétés pré-technologiques, pour une partie deshommes d'être voués à un travail asservissant.

Or si tout travail aliénant peut disparaître grâce à la mécanisation età l'automatisation, la libération devient une possibilité de fait.

C'est sur une base technologique que « lamétaphysique devient physique» (p.

283), c'est-à-dire se réalise.

« La société industrielle possède lesinstrumentalités grâce auxquelles elle peut transformer la métaphysique en physique, l'intérieur en extérieur, lesaventures de l'esprit en aventures de la technologie » (p.

287).

Car la mécanisation poussée à un degré élevéimplique davantage qu'une simple augmentation quantitative des machines; l'automatisation hautement développéeimplique autre chose que la seule diminution quantitative des gestes et des opérations à effectuer.

Cettetransformation technologique appelle une rupture, le passage à un mode de vie qualitativement différent : lesbesoins fondamentaux étant satisfaits, la lutte pour l'existence étant réduite et même « pacifiée », l'individupourrait, dans un temps de loisir devenu authentiquement libre, épanouir ses facultés de façon créatrice et dans lesens d'une sublimation non répressive.

Cette rupture exigerait l'abandon de la raison traditionnelle qui a toujoursassocié civilisation et travail, travail et répression des instincts.

L'énergie détournée de la vie amoureuse et de lacréativité vers le travail sera retrouvée.

Mais la libération fait peur : la société établie, craignant les formes de vieimprévisibles qui pourraient surgir, aura tendance à maintenir la répression, alors même que celle-ci n'est plusnécessaire.

Ce phénomène' est décrit par Marcuse dans un autre ouvrage, Éros et civilisation, sous le nom de « sur-répression (cf.

notre chapitre 3, Psychanalyse et répression).Il ressort clairement des analyses précédentes que Marcuse ne condamne pas la technologie en elle-même,puisqu'elle est la condition même du changement qualitatif.

Il s'agit plutôt de repenser les fins de la technologie, «qui ne sont pas des fins technologiques » (p.

288).

Il convient de défaire le lien, faussement rationnel, entre latechnologie et une existence non libre, pour l'associer à une finalité nouvelle : la libération.

Cette finalité, dumoment qu'elle est objective et non utopique, peut devenir objet de science.

Il y a en quelque sorte pour Marcuseune science de l'idéal : «Les idées de libération, qui étaient considérées auparavant comme des idéesmétaphysiques, peuvent devenir l'objet propre de la science » (p.

286).Mais ne s'agit-il pas là d'une attitude morale nouvelle? Marcuse ne prononce pas le mot.

Il faudra pourtant, afin quel'homme survive sur la Terre sans épuiser ses ressources, qu'il sache éliminer les « faux besoins » : le désir parexemple de posséder les gadgets les plus récents pour l'appartement ou la voiture...

Ces « faux besoins » sontcréés par les constantes incitations à la consommation venant de la publicité, qui elle-même est liée à la nécessitéd'écouler une production toujours accrue.

Le seul moyen de sortir de ce cercle vicieux est de limiter la quantité desproduits de consommation, parmi lesquels il faut ranger aussi les « services », les divertissements...

Le changementqualitatif est à ce prix : la réduction du surdéveloppement, c'est-à-dire l'arrêt de l'expansion de la production.Si Marcuse condamne la société dite « d'abondance », ce n'est pas pour retourner au sous-développement ou à unmythique « état de nature » qui n'a jamais existé.

C'est parce que cette société est répressive, grégarisée, qu'ilfaut rejeter son idéal.

Le changement de société implique en effet une revalorisation de l'existence individuelle, del'homme privé.

Aujourd'hui seul l'homme social compte.

On travaille en équipe, les loisirs sont standardisés, pris encommun.

L'isolement d'un individu qui serait capable de définir à partir de lui-même ses propres besoins, est devenuimpensable.

La véritable liberté suppose l' « abolition de la démocratie de masse », c'est-à-dire surtout de la culturede masse ultra-uniformisée dans laquelle l'immense majorité est contrainte de voir, d'entendre, de goûter ce que lesautres voient, entendent, goûtent.

Il sera sans doute difficile d'éliminer besoins et satisfactions imposés du dehors,puisque l'individu aliéné les recherche et n'en voudrait pas d'autres.

Mais supposons un moment qu'il n'y ait plus depublicité, de loisirs conditionnés : l'individu, d'abord pris de panique devant ce grand vide, retrouverait la faculté depenser par lui-même, de découvrir ses aspirations, ses plaisirs et ses angoisses véridiques.

Une telle supposition a-t-elle la moindre chance de se réaliser ? Ce ne sera certainement pas l'homme de la société de consommation,conditionné à chérir ses besoins répressifs, sa télévision, ses gadgets, ses vacances organisées, qui acceptera dese priver volontairement de ces délices qu'il ne trouve nullement empoisonnés.

Mais alors de quel côté viendra lalibération?. »

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