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Mémoire volontaire et mémoire involontaire chez M. PROUST

Publié le 09/01/2020

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Désespérant d'écrire faute de trouver une matière suffisante à la confection d'un roman, déçu des clichés uniformes que sa mémoire volontaire a conservés de sa vie, Proust se voit par hasard sauvé de son découragement par les révélation d'une autre mémoire, involontaire, paradoxalement plus fidèle que la première.

[...] J’étais entré dans la cour de l’hôtel de Guermantes, et dans ma distraction je n’avais pas vu une voiture qui s’avançait; au cri du wattman je n’eus que le temps de me ranger vivement de côté, et je reculai assez pour buter malgré moi contre'les pavés assez mal équarris derrière lesquels était une remise. Mais au moment où, me remettant d’aplomb, je posai mon pied sur un pavé qui était un peu moins élevé que le précédent, tout mon découragement s’évanouit devant la même félicité qu’à diverses époques de ma vie m’avaient donné la vue d’arbres que j’avais cru reconnaître dans une promenade en voiture autour de Balbec, la vue des clochers de Martinville, la saveur d’une madeleine trempée dans une infusion, tant d’autres sensations dont j’ai parlé [...]. Chaque fois que je refaisais rien que matériellement ce même pas, il me restait inutile; mais si je réussissais, oubliant la matinée Guermantes, à retrouver ce que j’avais senti en posant ainsi mes pieds, de nouveau la vision éblouissante et indistincte me frôlait comme si elle m’avait dit : « Saisis-moi au passage si tu en as la force, et tâche à résoudre l’énigme de bonheur que je te propose. » Et presque tout de suite, je la reconnus, c’était Venise, dont mes efforts pour la décrire et les prétendus instantanés pris par ma mémoire ne m’avaient jamais rien dit, et que la sensation que j’avais ressentie jadis sur deux dalles inégales du baptistère de Saint-Marc m’avait rendue avec toutes les autres sensations jointes ce jour-là à cette sensation-là et qui étaient restées dans l’attente, à leur rang, d’où un brusque hasard les avait impérieusement fait sortir, dans la série des jours oubliés.

M. Proust, Le Temps retrouvé, coll. « La Pléiade », Éd. Gallimard, 1954, t. HT, pp. 866-867.

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« POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE Nous trouvons là un exemple de ce que Bergson nom­ mait, dans le texte précédent, des « souvenirs de luxe », entrant quasiment par effraction dans la conscience.

Proust, grand lecteur de Bergson, montre dans son roman À la recherche du temps perdu que la mémoire est un phé­ nomène double : mémoire volontaire et mémoire invo­ lontaire.

La mémoire involontaire ne se manifeste que de manière capricieuse, seul le hasard peut déclencher son action; il est inutile de tenter d'en explorer le contenu au prix d'un quelconque effort puisque nous ne connaissons ni ses localisations, ni ses choix, ni la fréquence de ses retours.

Proust fait de ces souvenirs involontaires le sujet de son roman, montrant que le temps véritable, présidant à la création artistique, n'est pas une « collection d'instanta­ nés», mais l'écriture mystérieuse d'un grimoire d'événe­ ments qui, pour chacun de nous, abrite une vérité.. »

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