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Mon corps n'appartient-il qu'à moi ?

Publié le 11/02/2004

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Mon voisin, me voyant dans cet état, en profite pour s'emparer de ma main. Désormais privé du juste droit de me servir de ma main droite, j'écris au juge lui demandant de punir sévèrement mon voisin pour avoir volé ma main. Le juge répondra que cette demande n'est pas recevable, puisque l'Homme n'est pas juridiquement propriétaire de son corps. Mon corps ne m'appartient pas, et ne peut par conséquent faire l'objet d'un vol. Ma main, qui ne m'appartenait pas tant qu'elle était accrochée à moi, est devenue, une fois décrochée, sans propriétaire, et appartient donc à celui qui l'a trouvée le premier, en l'occurrence mon voisin. Et c'est bien l'impossibilité de s'approprier son propre corps qui fonde, en France, l'impossibilité de le commercialiser, et donc contraint les centres de transfusion sanguine à être des associations loi de 1901 (à but non lucratif), ainsi que les donneurs de sang à donner sans être rémunéré. Au-delà de la crainte de la commercialisation et du profit, il y a aussi en France une représentation symbolique très forte du citoyen comme « membre » d'un autre corps : le corps politique, c'est-à-dire l'État, qui serait, en quelque sorte, propriétaire des corps. Nous avons le sentiment d'appartenir au corps collectif de la Nation. Nous ne sommes bien que les « usufruitiers » d'un corps qui appartient aussi à l'État. Pour Rousseau, le corps appartient à l'État : il faut être prêt à donner son sang, à faire des enfants et à mourir pour la patrie.

« L'analyse de Rothbard des relations entre les parents et les enfants repose sur ce même droit de propriété : « lesparents deviennent, en tant que créateurs du bébé, ses propriétaires ».

Bien que ce droit de propriété soit limitédans le temps, le parent, parce que créateur de l'enfant, en est propriétaire.

Il poursuit logiquement sonraisonnement, et c'est là que nous voyons qu'il réside un risque dans le fait de considérer que l'Homme est lepropriétaire exclusif de son corps.

Il dira donc que « si un parent est propriétaire de son enfant, alors il lui estloisible de céder son Droit de propriété à quelqu'un d'autre.

Il peut donner son enfant en adoption ou, par contratvolontaire, vendre les droits qu'il détient sur lui.

Autrement dit, nous devons accepter que le marché libre desenfants connaisse un grand développement dans une société totalement libre ».

Nous constatons ainsi la logiqueimplacable des conséquences d'un droit de propriété sur soi qui est en réalité un risque extrême. Ainsi, l'individu est propriétaire de son corps mais on voit que cela peut mener à des dérives si l'on considère que cedroit de propriété est exclusif.

Il est donc nécessaire qu'il y ait d'autres « possesseurs » de mon corps.

Ainsi, enquoi ne suis-je pas le propriétaire exclusif de mon organisme ? Mon corps n'appartient pas qu'à moi. Par définition, je ne suis pas véritablement propriétaire de mon corps.

L'idée même « d'appropriation », qui s'appliqueau domaine des biens, est inconcevable pour une personne car ce n'est pas un objet.

D'autant plus que la propriétéa trois caractéristiques.

La première est le droit d'usus, c'est-à-dire la liberté de disposer de son corps.

La secondeest le droit de fructus, soit la possibilité d'utiliser son corps à des fins commerciales.

Enfin, la troisième est le droitd'abusus, c'est-à-dire avoir le choix de conserver ou non mon corps dans son intégralité.

Dans la réalité, seul ledroit d'usus est vérifié (bien que l'on puisse considérer que je ne dispose pas entièrement de mon corps dans lasexualité puisque, par exemple, la doctrine de Sade est majoritairement rejetée).

Ainsi, je ne dispose pas,pratiquement, du droit de fructus : la prostitution est condamnée socialement, juridiquement et religieusement, lerecours à une mère-porteuse (qui est donc rémunérée) reste encore illégal dans la plupart des pays, faire desspectacles avec des gens difformes (comme Elephant Man) est répréhensible et socialement rejeté.

Je ne peux doncutiliser mon corps à des fins commerciales.

Enfin, le droit d'abusus ne s'applique pas non plus avec le corps.

AuxÉtats-unis, il est maintenant quasiment interdit de fumer : je me dois de conserver mon corps dans sa totalité.

Jen'ai pas le droit de me détruire petit à petit.

Aussi, la plupart des systèmes de lois punissent-ils l'assistance ausuicide ou à la mutilation.

Ainsi, en m'interdisant de jouir du droit de fructus et d'abusus, la justice s'octroie un droitde regard sur la façon dont je traite mon corps. En France, arrêté à un contrôle de police, je ne peux ni refuser un alcotest ni une prise de sang.

Mon corps n'estdonc plus soumis à mon autorité mais à celle de la justice.

En effet, dans le modèle français, l'Homme n'est paspropriétaire de son corps.

Il n'en est que « l'usufruitier ».

Cette désappropriation du corps trouve son origine dans ledroit romain, qui, distinguant les personnes et les choses, fait disparaître le corps du droit.

Le droit romain oubliedonc les corps.

« Personne n'est propriétaire de ses propres membres » dit le Code Justinien.

Le droit médiévalcanonique réintroduira le corps dans le droit, mais le Code Civil napoléonien revient à la conception du droit romain. Finalement, ce sont les progrès contemporains de la médecine qui conduiront les juristes à penser véritablement lecorps à partir du moment où certaines de ses parties (comme le sang, la cornée, certains organes et tissus ou lesperme) pourront être conservées hors du corps.

La loi de 1952 établira ainsi que le sang n'est pas une marchandiseet ne doit pas donner lieu à un profit.

On pose donc en principe que le sang n'est pas une chose et que le corps,dont il est une partie, n'est pas une chose non plus.

Le corps est bien réintroduit dans le droit, mais le citoyen n'enest pas propriétaire, car ce n'est pas une chose. Si le corps avait été considéré comme une chose, l'individu, propriétaire de son corps, aurait pu l'utiliser de manièredégradante pour lui même.

L'Homme n'est donc pas libre de disposer de son corps totalement sans quoi, parexemple, une telle conception aurait notamment conduit à reconnaître un droit au suicide.

Mais aussi, le respect ducorps conduit à restreindre la libre disponibilité du corps.

En effet, la dégradation possible qui s'ensuivraitdégraderait l'individu propriétaire de son corps, mais concernerait aussi l'Homme en général.

En effet, se dégradantlui même, l'individu dégrade par là même l'idée d'humanité qu'il incarne et représente malgré tout. Jean-Pierre Baud, dans L'affaire de la main volée, une histoire juridique du corps, illustre bien le fait que l'Hommen'est pas le propriétaire de son corps d'après la loi.

Victime d'un accident horrible, je me retrouve à la foisinconscient, et la main arrachée.

Mon voisin, me voyant dans cet état, en profite pour s'emparer de ma main.Désormais privé du juste droit de me servir de ma main droite, j'écris au juge lui demandant de punir sévèrementmon voisin pour avoir volé ma main.

Le juge répondra que cette demande n'est pas recevable, puisque l'Homme n'estpas juridiquement propriétaire de son corps.

Mon corps ne m'appartient pas, et ne peut par conséquent faire l'objetd'un vol.

Ma main, qui ne m'appartenait pas tant qu'elle était accrochée à moi, est devenue, une fois décrochée,sans propriétaire, et appartient donc à celui qui l'a trouvée le premier, en l'occurrence mon voisin.

Et c'est bienl'impossibilité de s'approprier son propre corps qui fonde, en France, l'impossibilité de le commercialiser, et donccontraint les centres de transfusion sanguine à être des associations loi de 1901 (à but non lucratif), ainsi que lesdonneurs de sang à donner sans être rémunéré. Au-delà de la crainte de la commercialisation et du profit, il y a aussi en France une représentation symbolique trèsforte du citoyen comme « membre » d'un autre corps : le corps politique, c'est-à-dire l'État, qui serait, en quelque. »

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