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MONTAIGNE POLITIQUE

Publié le 02/04/2011

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montaigne

Une lettre du roi attendait Montaigne dans son château. Elle le confirmait dans ses fonctions et insistait pour qu'il acceptât la charge. Aussi bien Montaigne n'avait jamais eu l'intention arrêtée de la refuser. Son père avait été maire de Bordeaux et son prédécesseur immédiat était le maréchal de Biron : décliner cet honneur eût été le fait d'une vanité excessive.

Mais Montaigne n'entend pas être la victime de ses fonctions. Il se souvient encore des tracas de son père qui en oubliait le doux air de la maison. C'est pourquoi il pose ses conditions aux jurats, soulignant les différences qui le séparent de son père : A mon arrivée, je me déchiffrai fidèlement et consciencieusement tout tel que je me sens être : sans mémoire, sans vigilance, sans expérience et sans vigueur ; sans haine aussi, sans ambition, sans avarice et sans violence, à ce qu'ils fussent informés et instruits de ce qu'ils avaient à attendre de mon service. (E, III, x : De ménager sa volonté.)

montaigne

« En 1585, la tension est extrême à Bordeaux.

Ligueurs et protestants convoitent également la capitale de la GuyenneQui l'emportera? Le prestige de ses exploits militaires, l'attrait de sa personne, le titre d'héritier de la couronne, saproximité enfin confèrent à Henri de Navarre beaucoup d'appuis.

Mais les ligueurs, eux aussi, sont entreprenants.Leur chef, Vaillac, occupe le château Trompette, citadelle de la ville.

Vers qui penchera Montaigne ? Ses sympathiespersonnelles le portent vers le futur Henri IV, mais il ne s'agit pas de préférence de personne.

Ce philosophesceptique, ce maire indifférent n'hésite pas à prendre le parti le plus risqué : celui du roi.

Non pas qu'il ait la moindreillusion sur cet étrange personnage dominé par ses favoris et incapable d'affirmer sa volonté, mais c'est lereprésentant légal de la France et ce titre l'emporte sur toute autre considération : Bordeaux ne sera pas la proiedes factions, ni l'enjeu des ambitions privées.Montaigne appuie donc M.

de Matignon, gouverneur de la ville.

Celui-ci se débarrasse habilement de Vaillac et tientsolidement le château Trompette.

Mais il doit réprimer les pirateries des marins de Brouage qui viennent piller lesnavires de commerce jusque dans la Gironde et reprendre Agen, dont la reine Marguerite s'était emparée.

Montaignereste seul pour assurer l'ordre.

Il connaît l'ampleur de ses responsabilités et ne se dérobe pas.

Des soldats ayantcomploté de l'assassiner au cours d'une revue, loin de décommander celle-ci, il lui donne plus d'éclat et paradedevant les troupes qui n'osent bouger.

Il active les travaux de défense de la ville, fait des rondes de nuit, parcourtle port.

Il informe M.

de Matignon très exactement de tous les événements et insiste pour qu'il revienne, l'assurantqu'il n'épargnera ni soin ni s'il est besoin, sa vie, pour conserver toute chose en l'obéissance du roi. M.

de Matignon revenu avec ses troupes, l'effervescence se calme et les ligueurs abandonnent leurs- projets.

Lelieutenant-gouverneur, tout en maintenant la ville sous l'autorité royale, ménage l'avenir et négocie avec Henri deNavarre.

Montaigne, délivré de la garde de la cité, et presque arrivé au te «me de sa charge, va retrouver sa familledans son château que les bandes de pillards n'avaient pas épargné : aussi sa présence y était-elle bien nécessaire. Cependant une violente épidémie de peste éclatait à Bordeaux, où les gens mouraient comme mouches.

Montaignene revint pas et lorsque les jurats l'invitèrent à présider, selon l'usage, l'élection du nouveau maire, il s'excusacourtoisement. Que penser de cette attitude ? De nos jours, les manuels vitupèrent à l'envi ce manque d'héroïsme et glorifient, enrevanche, le dévouement de Rotrou accourant dans sa ville de Dreux, ravagée par la peste, et y mourant.Remarquons tout d'abord que ni au XVIe siècle ni au XVIIe, aucune critique ne s'est élevée contre Montaigne de cefait.

Les jansénistes, pourtant si acharnés contre l'auteur des Essais» ne le mentionnent même pas.

Reconnaissonsaussi qu'il nous est aisé de faire les braves contre un fléau que nous ne connaissons plus que de nom.

On ne riaitpas de la lèpre au moyen âge, ni de la peste au XVIe siècle, pas plus que nous ne méprisons aujourd'hui la famine, ladéportation et la torture, termes naguère vides de tout sens en Europe.

Montaigne avait affronté la peste auchevet de la Boétie, il jugea inutile de s'y exposer pour une formalité administrative : les jurats le comprirent mieuxque nos Catons modernes.

(E, III, xii : De la Physionomie). Redevenu simple particulier, Montaigne n'échappais pas pour cela aux vicissitudes des guerres civiles.

Le châteauétait environné de villages protestants et présentait un intérêt stratégique.

Proie tentante à tous égards.

Lamodération même et l'indépendance de Montaigne irritaient le fanatisme des uns et des autres.

On le calomniait debouche à oreille sans porter d'accusations précises : la mode n'était pas encore aux lettres anonymes.

Montaigne nechangeait pas de manière pour cela, dédaignant de se défendre.

Aussi fut-il pillé par les factions rivales : De ce quim'advint lors, un ambitieux s'en fût pendu, si eût fait un avaricieux. En de tels excès, c'était encore moindre mal, mais l'amour-propre de Montaigne en était humilié.

Il se rendait compte que ses qualités et les services rendus lesauvegardaient moins que le hasard et un visage sympathique : J'échappe, mais il me déplaît que ce soit plus parfortune que par justice.

Parmi de multiples occasions où il faillit être assassiné, il en cite deux caractéristiques del'époque et de sa propre conduite.

Un jour, un voisin vient lui demander l'hospitalité, feignant d'être poursuivi pardes ennemis.

Successivement, les hommes de sa bande surviennent et bientôt le château est à la merci desoccupants.

Que faire ? Montaigne feint d'ignorer les intentions manifestes de la troupe et continue à traiter sonhôte avec la même tranquillité.

Celui-ci, honteux, quitte la place sans rien tenter. Une autre fois, se fiant à une trêve, Montaigne se risqua à faire un voyage.

A la troisième journée, il est chargé parquinze ou vingt gentilshommes masqués, suivis d'une ondée d'argoulets.

Me voilà, ajoute-t-il, pris et rendu, retirédans l'épais d'une forêt voisine, démonté, dévalisé, mes coffres fouillés, ma boîte prise, chevaux et équipagedispersés à nouveaux maîtres...

(E, III, xii : ibid.).

Les assaillants veulent de plus lui infliger une rançon : Montaignerefuse, alléguant toujours la trêve.

Sa contenance calme, son opiniâtreté dans ses refus en imposent.

On le délivre,on lui rend une partie de ses effets, et on s'excuse.

Heureux effet de la Physionomie !La peste que Montaigne avait évitée à Bordeaux le rejoint dans son château.

Il le quitte avec sa famille et cherchepartout asile pendant six mois : Moi, qui suis si hospitalier, fus en très pénible quête de retraite pour ma famille...Autour de lui, ce n'est que désolation.

La campagne est abandonnée, les paysans n'ont plus de goût à l'ouvrage :Les raisins demeurèrent suspendus aux vignes, le bien principal du pays, tous indifféremment se préparant etattendant la mort.

Du moins, sans avoir lu Sénèque, meurent-ils aussi courageusement que Caton : efficace leçonpour notre philosophe qui n'a pas perdu le sens de l'observation au milieu des épreuves.. »

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