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MONTESQUIEU LE MORALISTE

Publié le 24/06/2011

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montesquieu

 

C'est par un ouvrage compris un peu à la manière des Caractères de La Bruyère que Montesquieu entra dans la carrière des lettres. Il y avait d'ailleurs plusieurs années qu'il se préparait à devenir un écrivain moraliste. Nous avons rappelé ses premiers essais, écrits pour l'Académie de Bordeaux ; la vocation du moraliste semblait s'y affermir, avec les années. Beaucoup d'autres avaient été ébauchés, qui ne furent jamais achevés, tels un Essai sur le bonheur et une Histoire de la jalousie, dont les Pensées inédites nous ont conservé quelques fragments assez étranges. Tout cela ne témoigne pas d'une bien grande originalité. Le Président cherche et avec quelle peine ! — la pointe incisive, la formule acérée, le trait final qui pénètre comme une flèche. Il écrit : " La gravité est le bouclier des sots. " — " Ceux qui ont peu de vanité sont plus près de l'orgueil que les autres. " — " Nous louons les gens à proportion de l'estime qu'ils ont pour nous. " — Et cela pourrait être du bon La Bruyère. Il tâche parfois de saisir le tour de La Rochefoucauld : " L'amitié est un contrat par lequel nous nous engageons à rendre de petits services à quelqu'un, afin qu'il nous en rende de grands. " Quoi qu'on doive aimer souverainement sa patrie, il est aussi ridicule d'en parler avec prévention, que de sa femme, de sa naissance et de son bien, parce que la vanité est sotte partout. " — " Les richesses sont un tort que l'on a à réparer. " Quand on court après l'esprit, on attrape la sottise. "

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« premiers parmi les Persans que l'envie de savoir ait fait sortir de leur pays et qui aient renoncé aux douceurs d'unevie tranquille pour aller laborieusement chercher la sagesse.

" Les premiers parmi les Persans, cela se peut ; maisn'étaient-ils pas des voyageurs semblables, le Spectateur d'Addison, le Siamois des Amusements sérieux etcomiques de Dufresny, ou l'Espion que Marana promenait dans les cours de l'Europe ? Eux aussi, ils avaient crayonnéle tableau des mœurs qu'ils regardaient de leurs yeux d'étrangers scandalisés, et qu'ils représentaient avec esprit etmalice.

Il est tout à fait probable que Montesquieu connut ces devanciers et qu'il y trouva la première idée de lacomparaison qu'il voulait instituer entre des coutumes étrangères et les moeurs françaises, procédé commode, maisingénieux, pour dauber en toute liberté sur des usages dont s'offusque la simplicité de voyageurs plus sensibles qued'autres à la corruption occidentale.Mais ii ne faut pas exagérer ces dépendances.

La pensée fondamentale des Lettres persanes dépasse toute lamalice et tout l'orientalisme de l'oeuvre de Dufresny et de Marana.

S'il faut à tout prix que Montesquieu ait été de lasuite de quelqu'un, peut-être serait-il plus exact de dite qu'il le fut de La Bruyère, pour lequel il garda toujours unesi profonde admiration.

Et il admirait encore le Télémaque, " ce livre divin du siècle ", où Fénelon avait inséré, dansla trame d'un voyage romanesque, les observations les plus profondes, les leçons les plus graves d'un politique etd'un moraliste.

A ces précurseurs français, peut-être convient-il de restituer la plus secrète arrière-pensée deMontesquieu : celle d'écrire un pamphlet de satire politique et morale, sous les dehors d'un roman voluptueux.

Quantau roman, Montesquieu était déjà vers 1720 un lecteur passionné des récits de voyages, lecteur de Chardin, deTavernier, des Lettres édifiantes, qui lui permirent de multiplier les traits de mœurs destinés à rendre vraisemblablel'intrigue du sérail d' Ispahan.

Montesquieu semble croire que celle-ci intéressa prodigieusement ses lecteurs.

Dansune préface qu'il écrivit en 1747 mais qui ne parut qu'en 1754, il en détaille complaisamment les mérites.

C'estl'habileté de la composition qui lui paraît surtout remarquable : le roman semble suivre le cours naturel des choses,qui entraîne les personnages et crée des situations sans cesse renouvelées.

A proportion de la longueur del'absence d'Usbek, le désordre croît dans son sérail : les petites jalousies y deviennent bientôt des passionsdévorantes, et tandis que diminue l'amour des épouses pour leur maître absent, les fureurs augmentent entre rivalesemportées par leurs ambitions secrètes.

Montesquieu prétend donc avoir illustré par une histoire rigoureusementenchaînée cette vérité d'expérience générale : l'absence tue l'amour.

— Nous ne contredirons pas l'auteur : il sepeut que " rien ne plut davantage " que cette espèce de roman commencé dans les plaintes d'amoureux séparés,continué dans !es fureurs de passions contrariées et terminé dans le sang de la vengeance. Mais assurément ces fades et voluptueuses images ne présentèrent pas à leurs lecteurs un intérêt plus puissant queles lettres où " l'auteur se donnait l'avantage de pouvoir joindre de la philosophie, de la politique et de la morale à unroman, et de lier le tout par une chaîne secrète et en quelque façon inconnue ".Que pense donc Montesquieu de ses contemporains ?Il les juge très sévèrement ; son impression générale est que la période de la Régence marque un déséquilibre gravedans la vie morale de la nation.

Le règne de Louis XIV avait été le triomphe de l'ordre, de la bienséance, du respectdes institutions traditionnelles.

Avec la Régence, se développe partout un besoin irrésistible de fronder, de bousculerles idées reçues et les cadres établis.

Le Français de 1721 songe à détruire, et fort peu à reconstruire.

Un peupartout, s'étale la forfanterie du vice.

Les corps dont la vocation est d'entretenir la vertu — et de donner l'exemplede la vie chrétienne — oublient ce rôle essentiel dans de ridicules disputes sur une Constitution qu'ils n'arrivent pasà comprendre.

Les hommes politiques ont fait succéder à la diplomatie d'honnêteté que recommandait Fénelon leplus effronté machiavélisme.

Dubois a avili la dignité française, Law a enseigné le procédé le plus rapide decorrompre les moeurs publiques, et a plus fait pour instaurer le despotisme que les ministres de Louis XIV.

Lesfemmes sont.

la partie la plus frivole, et peut-être la plus libertine, de ce peuple frivole et libertin.

Elles s'adonnentau jeu, afin " de favoriser une passion plus chère ".

Elles apportent, dans le monde, des passions au service demesquines ambitions.

Elles protègent, non pas ceux qui s'imposent par leur mérite personnel, mais ceux qu'elles ondécouverts aptes à jouer le rôle de don Juan : " Que dis-tu d'un pays où l'on tolère de pareilles gens, et or l'onlaisse vivre un homme qui fait un tel métier ? où l'infidélité, la trahison, le rapt, la perfidie et l'injustice conduisent àla considération ? " (Lettre 48).

— Uniquement tendu vers le plaisir, le peuple n'apparaît à Montesquieu pourvud'aucune sérieuse qualité politique.

Il est en train de se préparer à lui-même les hontes du despotisme.

Lesparlements sont des institutions déchues ; " foulés aux pieds ", victimes " du temps qui détruit tout, de la corruptiondes moeurs qui a tout affaibli, de l'autorité suprême qui a tout abattu ", ils n'ont plus qu'une " autorité languissante".

(Lettre 93).

Il y avait naguère dans cette société minutieusement hiérarchisée, des corps vigoureux et respectés; les uns sont aujourd'hui ruinés, comme celui des nobles, les autres sont décriés, comme celui des gens d'Église, lesautres sont écrasés et réduits à l'impuissance, comme les parlements.

De tout cela résulte une confusion généraleet comme une sorte d'anarchie latente, chacun essayant de reprendre pied sur les ruines des autres.

Les privilègessont de plus en plus amenuisés et réduits à de simples formules verbales, et de cela, Montesquieu ne cesse de tirerles plus pessimistes conclusions, car les classes privilégiées sont, dans une monarchie, les contrepoids naturels à lapuissance excessive d'un seul.

— Plus encore que les institutions politiques, les institutions familiales passent parune effroyable crise d'autorité.

Liens relâchés ; liberté coupable des membres qui songent moins à la stabilité dufoyer qu'à leurs propres plaisirs ; effritement continu de la confiance mutuelle qui fait la force des familles.

— Etdans ce désordre universel, l'oubli des traditions qui maintenaient chaque classe de la société dans sa dignitépropre.Le mal que La Bruyère avait déjà dénoncé a pris des proportions dont le Président s'inquiète : " Le corps des laquaisest plus respectable en France qu'ailleurs ; c'est un séminaire de grands seigneurs ; il remplit le vide des autresétats.

Ceux qui le composent prennent la place des grands malheureux, des magistrats ruinés, des gentilshommestués dans les fureurs de la guerre ; et quand ils ne peuvent pas suppléer par eux-mêmes, ils relèvent toutes lesgrandes maisons par le moyen de leurs filles, qui sont comme une espèce de fumier qui engraisse les terresmontagneuses et arides ".

(Lettre 99).C'est là un tableau très dur, très amer, et dont on ne voit pas que Montesquieu ait tempéré l'amertume par un mot. »

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