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Nos rapports à autrui peuvent-ils être indifférents ?

Publié le 17/07/2009

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- Appelons « rapports à autrui « toute forme de relation entretenue ou simplement ponctuelle avec un autre homme. Nous avons alors tous nécessairement rapport à autrui : nous vivons de manière irrémédiable au milieu d’autres hommes. Les rapports que nous entretenons avec eux peuvent prendre différentes formes : rapports amicaux, amoureux, mais aussi professionnels ou simplement marchand. Chacun de ces rapports mobilisent certains affects spécifiques : je suis heureux ou malheureux pour mon ami, je crains mon patron, je désire l’être aimé, etc.

- Un rapport à autrui « indifférent « serait un rapport qui lui, justement, ne mobilise aucun affect. Cette situation semble d’abord contradictoire dans les termes : ou bien il y a rapport, mais pas indifférence ; ou bien nous sommes indifférents à autrui, justement parce que nous n’avons avec lui aucun rapport. En effet, contrairement à un objet, autrui est lui aussi un homme, à la fois sensible et conscient. Il possède une vie intérieure qu’il exprime plus ou moins par ses paroles ou les expressions de son corps. J’appartiens donc à la même communauté humaine qu’autrui et, par analogie, j’ai l’intuition de ce que peut être son vécu intérieur dans telle ou telle circonstance. Je ne peux donc pas être indifférent à l’autre avec qui j’ai rapport, car nous faisons essentiellement partie d’une même communauté : je saisis sa peine ou sa joie, je souhaite les partager ou bien les inciter, je sais ce qui peut le blesser, l’humilier, etc.

Cependant, il existe une énorme différence entre avoir l’intuition des affects d’autrui et en éprouver à son tour. Ainsi, je peux savoir qu’autrui souffre et rester de glace face à cette souffrance. Le cas de l’Etranger de Camus, par exemple, éclaire cette situation : au début du roman, l’étranger apprend la mort de sa mère. Il sait abstraitement tout ce que cela représente et il constate la douleur de ses proches à son enterrement. Mais lui-même est incapable d’en éprouver aucun sentiment. Il semble alors possible de penser un rapport indifférent à l’autre : la communauté que nous partageons ne serait qu’en idée, voire inexistante, et ne génèrerait aucun affect concret.

 

- Le problème que pose notre sujet est celui de la réalisation effective de cette possibilité : Sommes-nous toujours touchés par autrui, en tant qu’il est un autre homme ? Ou bien certaines circonstances peuvent elles nous inciter à être indifférents à autrui, tel que nous le serions vis-à-vis d’un objet ? Autrement dit, la communauté des hommes entre eux est-elle essentielle ou bien dépend elle de facteurs variables (contexte religieux, politique, sensibilité individuelle, etc.) ?

 

« Transition : Dans cette première partie, nous avons montré pourquoi aucun rapport à autrui ne peut être naturellementindifférent.

Pour cela trois argument : les rapports primitifs sont de prédation, nous éprouvons peut être une pitiénaturelle à l'égard des autres êtres sensibles et la vie de ma conscience est mise en jeu dans tout rapport humain.Cependant, l'homme est avant tout un être de culture, qui peut subvertir une grande partie, voire toutes sescaractéristiques naturelles.

C'est maintenant au sein de la vie sociale, dans un contexte politique que nous devonsnous poser la questions.

II) Il est possible de rendre certains rapports à autrui indifférents : - Les rapports humains que nous avons étudiés au sein de l'état de nature sont bouleversés par l'instauration descommunautés politiques.

En effet, au sein de celles-ci, l'Etat fait régner la paix.

Le rapport de prédation des hommesentre eux disparaît donc quasi- complètement : je n'ai plus peur que l'autre n'atteigne à ma vie ou à mais bien, ni nedésire l'utiliser pour ma propre survie.

J'ai maintenant peur de l'Etat et de sa force répressive, en cas d'infraction àla loi, mais plus d'autrui.

Les affects qui coloraient la relation avec autrui se sont donc déplacés vers la relation dusujet à l'Etat.

Nous pouvons donc à affirmer que, de ce point de vue au moins, la relation à autrui se trouveneutralisée par l'instauration de la politique et des lois.

- Ensuite, qu'en est-il de cette pitié naturelle que nous avons évoquée ? Elle aussi semble mise à mal par l'entréedes hommes dans la vie sociale.

En effet, dans son Discours , Rousseau explique ensuite l'impact du développement des premières associations humaines : en s'entraidant les uns les autres, les hommes disposent de temps etd'énergie pour développer leurs connaissances et leur raison.

Or, en rationnalisant leur rapport à autrui, ilsacquièrent la représentation de leur être comme individu séparé, indépendant de ce qu'éprouve autrui.

Ainsi la pitiénaturelle est relativisée par l'idée que l'individu n'est en rien désavantagé, lui, quand son semblable souffre, ou bienqu'il n'a aucun avantage effectif pour lui-même lorsque son semblable est heureux.

Ainsi la naissance des premièrescommunautés coïncide avec le développement de la raison, dont le mouvement réfrène celui de la pitié naturelle :les hommes se concevant comme des individus absolument séparés les uns des autres ne sont plus directementintéressés au vécu d'autrui.

- Certains régimes politiques semblent même engendrer plus que d'autres l'indifférence vis-à-vis d'autrui.

AinsiTocqueville, dans la Démocratie en Amérique (II ;2 ;2) décrit de quelle manière un régime démocratique libéral peutfaire naitre chez l'homme un sentiment nouveau : « l'individualisme ».

Les citoyens d'Amérique se replient sur leursphère privée, leur intérêt se trouve de plus en plus restreint à leur confort personnel.

Ainsi, le rapport à l'autre setrouve moins fondamental, voire complètement distendu.

Le symptôme principal en est une indifférence dans ledomaine politique : du moment que l'Etat pourvoit à ma sécurité, mon confort et mon bonheur, peut m'importe quela structure sociale soit injuste et que d'autres en souffre.

Cette indifférence politique dénote donc en réalité d'uneindifférence au sort des autres citoyens.

Le rapport que ces individus entretiennent les uns aux autres sont alorsexclusivement pratiques et peuvent être qualifiés d'indifférents : j'ai rapport à l'autre en tant qu'il a une fonctiondans mon environnement, à la manière d'une pièce de machine.

- Enfin, l'usage de la monnaie permet également de neutraliser certains de nos rapports humains.

C'est par exemplele cas dans la relation psychanalytique : Freud explique que ses patients se sentaient en dette vis-à-vis del'analyste, ou bien développaient à son égard un sentiment d'amitié, voire d'amour.

Cela donnait lieu à des relationspassionnelles qui nuisaient au travail analytique.

La solution qu'il trouve pour neutraliser la relation analyste-patientest simple : faire payer les séances.

Ainsi le patient n'est pas en dette vis-à-vis de celui qui l'a écouté, et le statutprofessionnel de l'analyste est manifesté.

Il n'est donc ni un ami ni une âme charitable.

L'argent, donc, a aussicontribuer à rendre possible une relation indifférente à autrui : je le paye pour ne pas avoir à ressentir à son égardaucun sentiment (cf.

aussi le cas paradigmatique de la prostitution).

Transition : Dans cette seconde partie, nous avons montré que certaines circonstances particulières pouvaient rendre neutrenotre relation à autrui : organisation politique individualiste, développement du rapport marchand.

Dans ce cas, ilsemble bien possible d'avoir avec autrui des rapports indifférents.

Cependant, nous devons maintenant nousinterroger sur la valeur de cette possibilité : III) Si nos rapports à autrui peuvent être indifférents, doivent-ils l'être et dans quelles circonstances ? - D'un côté l'indifférence à l'égard d'autrui, et en particulier de son regard, possède une vertu libératrice.

En ayantun rapport indifférent à l'autre, je me délivre de la tyrannie de son jugement : peu m'importe alors ce qu'il pense demoi.

Je peux ainsi me soucier davantage de ce que je suis que de ce que je parais.

C'est pourquoi le repliement ausein de sa propre intériorité est même exercice préconisés par les stoïciens.

J'acquiers ma liberté, qui est une pureliberté de penser, en me rendant indifférent aux évènements qui ne dépendent pas de moi, c'est-à-dire tous lesévènements du monde extérieurs, y compris ceux qui implique autrui.

De plus, la neutralisation des rapports qui s'estproduite par la mise en circulation de l'argent et par l'instauration du rapport marchand a eu pour effet positif,notamment, d'abolir l'esclavage et toutes les formes de servage.. »

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