Parole et écriture
Publié le 12/03/2015
Extrait du document
l'expression la plus proche, la plus directe (la présentation et non la
représentation) de l'Être. Le langage entendu ici comme synonyme
de parole, est signe immédiat de l'Être, alors que l'écriture est médiatisation,
signe au second degré, signe du signe, déjà loin du souffle créateur
et primordial, et loin également de ! 'échange vivant des paroles
proférées. Ce qui explique, comme le fait remarquer René Guénon,
qu'en matière religieuse visant à porter la parole divine, «l'enseignement
oral a précédé presque partout l'enseignement écrit et qu'il a été
seul en usage pendant des périodes qui ont pu être fort longues«. Et
même, comme le rapporte Hagège, il y a plus encore que «cette antériorité
de la voix vive«, puisque dans certaines civilisations, un interdit
frappe l'écriture et garantit l'exclusivité d'une transmission orale
du savoir. Des textes talmudiques, dit-il, attestent ce tabou: celui qui
met par écrit certains récits traditionnels n'aura pas de part à la vie future.
Ce privilège de la parole vient de la croyance en sa fonction créatrice.
Il en est ainsi, comme on vient de le voir, dans la tradition juive
où la création du monde par Yahvé se fait dans la très longue litanie
de la nomination : «Dieu dit : Que la lumière soit et la lumière fut Dieu
vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres.
Dieu appela la lumière jour et les ténèbres nuit.« Cette prééminence
de la parole sur l'écriture se retrouve aussi bien dans la théologie de
la parole avec les poèmes babyloniens de la création («lorsqu'en haut
le ciel n'était pas nommé ... «) que dans les philosophies du logos dont
on peut voir l'expression aussi bien chez Héraclite («le Logos, ce qui
est«) que chez les Stoïciens où Dieu est un pneuma, un souffle, un
fluide qui se répand à travers la totalité du monde.
«
LE LANGAGE 'COURS
sition complexe qui ne peut se produire que grâce à un véritable appren tissage spécifique, généralement coordonné à celui du déchiffrage de ! 'écrit et qui, le plus souvent, ne peut se réaliser que par! 'intermédiaire
d'une institution spécialisée du type de l'école créant, à l'origine du
moins, un corps d'artisans spécialisés (le scribe de l'Égypte pharaonique
et, bien plus
près de nous, dans ! 'Europe médiévale, le copiste en son
atelier).
Rythmé par le couple recevoir/produire, parler semble être le
symétrique
d'entendre, comme plus tard écrire semblerait être le symé
trique de lire.
Mais la ressemblance s'arrête là.
Alors que le langage
est un «donné» fondé sur une relation duelle qui s'enracine dans le corps
à corps de la mère
et de l'enfant, rien ne rend nécessaire d'un point de
vue physiologique, anatomique ou même psychologique l'existence de l'écriture qui n'entretient d'emblée aucun rapport avec l'affectivité,
encore moins avec l'amour maternel ...
Acquisition en quelque sorte «naturelle», le langage, qui succède aux
activités pré-verbales des cris
et du babil (deuxième mois) se consti
tue dans les deux premières années (le
premier mot vers dix mois ; la
première phrase au vingt-quatrième mois) Et, comme le montre la psy chologie de l'enfant, ce n'est que lorsque le langage commence vrai
ment à être acquis, justement après cette deuxième année, que se mani
festent alors
chez l'enfant les premiers comportements qui rendent
possible ultérieurement, et au-delà du dessin, ! 'acquisition del 'écriture.
D'abord le gribouillage, puis des tracés représentatifs (vers trois ans)
et enfin des schémas relativement stables
symbolisant les objets du
monde extérieur (apogée vers sept ans).
Mais les explications s'appuyant
seulement sur le développement psychomoteur
del 'individu sont en réa
lité
de peu de poids pour expliquer l'écriture.
Ce sont, au contraire du
langage qui lui, a manifestement peu de rapport avec
l'économie, des
conditions sociales qui peuvent expliquer l'apparition de l'écriture
dans certaines sociétés.
«Le seul phénomène, dit Lévi-Strauss, qui
semble toujours et
partout lié à l'apparition de l'écriture, non pas seu
lement dans
la Méditerranée orientale, mais dans la Chine protohisto
rique, et même dans des régions
del' Amérique ( ...
), c'est la constitution
de sociétés hiérarchisées, de sociétés qui se
trouvent composées de
maîtres et d'esclaves, de sociétés utilisant une certaine partie de leur
population pour travailler au profit de l'autre partie 1.»
3 L'écriture n'est que la représentation de la parole
Chose admise sans dispute, l'écriture, dans sa définition la plus
simple, se conçoit comme une «technique de re-présentation de la
parole par une trace laissée sur un support conservable» (Hagège ).
1.
Georges Charbonnier, Emretiens avec Claude Lél'i-Strauss, Paris, Julliard, 1961.
46.
»
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