Devoir de Philosophie

parole symbolique

Publié le 28/01/2013

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Publié dans la revue Esprit 27/7-8 (1959) . LE SYMBOLE DONNE A PENSER Je voudrais d'abord dire un mot de la préoccupation qui anime cet essai. Une méditation sur les symboles, que ce soit celle d'Eliade, de Jung et même de Freud, ou celle de Bachelard, survient à un certain moment de la réflexion, répond à une certaine situation de la philosophie et peut-être même de la culture moderne qu'il faut essayer de comprendre. Je dirai d'abord que ce recours à l'archaïque, au nocturne et à l'onirique, qui est aussi, comme le dit M. Bachelard dans la P oétique de l'espace, u n a ccès au point de naissance du langage, représente une tentative pour échapper aux difficultés du problème du point de départ en philosophie. On sait l'harassante fuite en arrière de la pensée en quête de la première vérité, et plus radicalement encore à la recherche d'un point de départ radical qui pourrait ne pas être du tout une première vérité. Il faut peut-être avoir éprouvé la déception qui s'attache à l'idée de philosophie sans présupposition pour accéder à la problématique que nous allons évoquer. Au contraire des philosophies du point de départ, une méditation sur les symboles part du plein du langage et du sens toujours déjà là; elle part du milieu du langage qui a déjà eu lieu et où tout a déjà été dit d'une certaine façon; elle veut être la pensée avec toutes ses présuppositions. Pour elle la première tâche n'est pas de commencer, mais, du milieu de la parole, de se ressouvenir. Mais, en opposant la problématique du symbole à la recherche cartésienne et husserlienne du point de départ, nous lions trop étroitement cette méditation à une étape précise du discours philosophique ; il faut peut-être voir plus large : si nous soulevons le problème du symbole maintenant , à c ette période de l'histoire, c'est en liaison avec certains traits de notre « modernité «, et comme une riposte à cette « modernité même. Le moment historique de la philosophie du symbole, c'est celui de l'oubli et aussi celui de la restauration. Oubli des hiérophanies, oubli des signes du Sacré; perte de l'homme lui-même comme appartenant au Sacré. Cet oubli, nous le savons, est la contrepartie de la tâche grandiose de nourrir les hommes, de satisfaire les besoins en maîtrisant la nature par une technique planétaire. C'est l'obscure reconnaissance de cet oubli qui nous meut et nous aiguillonne à restaurer le langage intégral. C'est à l'époque même où notre langage se fait plus précis, plus univoque, plus technique en un mot, plus apte à ces formalisations intégrales qui s'appellent précisément logique symbolique (nous reviendrons plus loin sur cette surprenante équivoque du mot symbole), c'est à cette même époque du discours que nous voulons recharger notre langage, .que nous .voulons repartir du plein du langage. Or cela aussi est un cadeau de la « modernité «; car nous sommes, nous modernes, les hommes de la philologie, de l'exégèse, de la phénoménologie de la religion, de la psychanalyse du langage. Ainsi c'est la même époque qui développe la possibilité de vider le langage et celle de le remplir à nouveau. Ce n'est donc pas le regret des Atlantides effondrées qui nous anime, mais l'espoir d'une recréation du langage ; par delà le désert de la critique, nous voulons à nouveau être interpellés. 0 0 0 « Le symbole donne à penser « : cette sentence qui m'enchante dit deux choses; le symbole donne; je ne pose pas le sens c'est lui qui donne le sens; mais ce qu'il donne, c'est à penser, de quoi penser. A partir de la donation, la position. La sentence suggère donc à la fois que tout est déjà dit en énigme et pourtant qu'il faut toujours tout commencer et recommencer dans la dimension du penser. C'est cette articulation de la pensée donnée à elle-même au royaume des symboles et de la pensée posante et pensante que je voudrais surprendre et comprendre. Mais auparavant je voudrais proposer une rapide c rité r iologie d u s ymbole, d 'abord sous la forme d'une énumération, puis avec les ressources d'une analyse essentielle des structures symboliques. L'EMPIRE VARIÉ DU SYMBOLE P our délimiter un domaine, il faut bien commencer par une énumération. Albert Béguin, dans la préface à L'Ame romantique et le rêve, é voque bout à bout « les fables des diverses mythologies, les contes de tous les pays et de tous les temps, les rêves qui se poursuivent en nous dans l'inconscience de la nuit, comme dans la distraction de nos jours «. Ce texte dit bien les trois zones d'émergence des symboles. Liés aux rites et aux mythes, les symboles constituent d'abord le langage dit Sacré, le verbe des « hiérophanies « pour parler comme Eliade. Évoquons seulement le premier exemple sur lequel Eliade médite, dans son T raité d'histoire des religions, c elui du ciel : symbole du très haut, de l'élevé et de l'immense, du puissant et de l'ordonné, du clairvoyant et du sage, du souverain, de l'immuable, ce symbole est proprement inépuisable et se ramifie dans les trois ordres cosmique, éthique et politique. Le ciel n'est qu'un exemple parmi ceux qu'Eliade interprète; tous ont pour fonction de « fixer les modèles exemplaires de tous les rites et de toutes les actions humaines significatives « ( Traité 3 51); loin qu'ils soient la projection fantastique, l'allégorie tardive d'une action humaine, ils l'instituent et la rendent possible en la sacralisant. Deuxième zone d'émergence, le nocturne, l'onirique. On sait que chez Freud luimême le symbole ne désigne pas toute représentation qui vaut pour autre chose, qui déguise et dissimule , m ais seulement ce secteur de représentations oniriques qui dépassent l'histoire individuelle, l'archéologie privée d'un sujet, et plongent dans le fond imagier commun à toute une culture, voire dans le folklore de l'humanité entière. C.G. Jung nous a appris à discerner dans ces symboles moins des projections de la part infantile et instinctuelle du psychisme que des thèmes qui anticipent sur nos possibilités d'évolution et de maturation; leur découverte appartient moins à une méthode de réduction d'obstacles qu'à une exploration de nos potentialités; l'interprétation philosophique de Jung qui y voit tour à tour l'autoreprésentation de l'énergie psychique ou des archétypes est ici moins importante que la découverte elle-même ; le platonisme psychologique de Jung ne doit pas plus nous embarrasser que la métapsychologie freudienne. L'essentiel est que, dans la thérapeutique jungienne -- qui sans cloute s'adresse à un autre type d'individus que la thérapeutique freudienne --, le symbole fournisse des thèmes de méditation capables de jalonner et de guider le « devenir soi-même «, le S elbstwerden. C 'est cette fonction de prospection que je retiens et que je rattache à la fonction cosmothéologique des symboles selon Eliade, par laquelle aussi l'homme était réintégré à la totalité du sacré antérieur. Troisième zone d'émergence : l'imagination poétique ; M. Bachelard nous a bien montré que le problème de l'imagination n'est pas le problème de l'image, même pas de l'image comme fonction de l'absence et de la néantisation du réel; cette image-représentation est encore dans la dépendance de la chose quelle irréalise; elle est encore, selon le mot même de Sartre, un procédé pour se rendre présents les objets d'une certaine façon. « L'image poétique, dit M. Bachelard dans l 'Introduction à la poétique de l'espace, n ous met à l'origine de l'être parlant «. Et plus loin : « Elle devient un être nouveau de notre langage, elle nous exprime en nous faisant ce qu'elle exprime «. Cette image-verbe qui n'est donc plus l'image-représentation., c'est ce que j'appelle ici symbole. La seule différence avec les deux situations précédentes, c'est que le symbole poétique -- par exemple celui de la maison que M. Bachelard explore en tous sens chez les poètes -- est surpris au moment où il est une émergence du langage, où il met le langage en état d'émergence, au lieu d'être restitué dans sa stabilité hiératique sous la garde du rite et du mythe, comme clans l'histoire des religions. Au fond il faudrait comprendre que ce qui naît et renaît dans l'image poétique, c'est la même structure symbolique qui habite les rêves les plus prophétiques de notre devenir intime et qui soutient le langage du sacré sous ses formes les plus archaïques et les plus stables. STRUCTURE DU SYMBOLE. Cette...

«     liaison avec certains traits de notre « mod ern ité », et comme une riposte à cette « modern i t é m ê m e .

Le m o m e n t h i s t o r i q u e d e l a p h i l o s o p h i e d u symbole, c'est celui de l'oubli et aussi celui de la restauration.

Oubli de s hiérophanies, oubli des signes du Sacré; perte de l'homme lui-même comme appartenant au Sacr é.

Cet oubli, n o u s l e s av o n s , es t l a co n t rep art i e d e l a t âch e g ran d i o s e de nourrir le s hommes, de satisfaire les besoins en maîtrisant la nature par une technique planétaire.

C'est l'obscure reconnaissance de cet oubli qui nous meut et nous aiguillonne à restaurer le la ngage intégral.

C'est à l'époque même où notre langage se fait plus précis, plus univoque, p lus technique en un mot, plus apte à ces formalisations intégrales qui s'appellent préciséme nt logique symbolique (nous reviendrons plus loin sur cette surprenante équivoq ue du mot symbole), c'es t à cet t e m êm e ép o q u e d u d i s co u rs q u e n o u s v o u l o n s recharger notre langage, .que nous .voulons repartir du plein du langage.

Or cela aussi est un cadeau de la « mod ernité »; car nous sommes, nous modernes, les hommes de la philol ogie, d e l ' e x é g è s e , d e l a p h é n o m é n o l o g i e d e l a r e l i g i o n , d e l a psychanalyse d u langage.

Ainsi c'est la même époque qui d év el o p p e l a p o s s i b i l i t é d e v i d e r l e l an g a g e e t c el l e d e l e remplir à nouveau.

Ce n'est donc pas le regret des Atlantides effondré es qui nous anime, mais l'espoir d'une recréation du langage ; par del à le désert d e la critiqu e, nous voulons à nouveau être interpellés.

0 0 0 « Le symbole donne à penser » : cette sentence qui m'enchante dit deux choses; le symbole donne; je ne pose pas le sens c’est lui qui donne le sens; mais ce q u ' i l d o n n e , c'est à pens er, de quoi p enser.

A parti r de la donation, la p o s i t i o n .

La s en t en ce s u g gèr e d o n c à l a fo i s q u e t o u t es t déjà dit en énigme et p ourtant qu'il faut toujours tout commencer et recommencer dans la dimension du pense r.

C'est cette articulation de la pensée donnée à elle-même au royaume des symboles e t de la pensée posante et pensante que je voudrais surprendre et comprendre.

M ai s au p a r av a n t j e v o u d r ai s p ro p o s e r u n e r ap i d e c r i t éri o l og i e du s ymbo l e,. »

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