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Pense-t-on jamais seul ?

Publié le 31/01/2004

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Il faut donc comprendre la question ainsi : « Est-il possible de penser au moins une fois seul ? » Ce qui laisse entendre que penser seul constituerait une exception, voire un défi. C'est déjà une première piste. Mais tentons d'aller plus loin 1. Trois exemples pour donner sens à la questionPour rendre une question « parlante » il suffit parfois d'imaginer une ou plusieurs situations dans lesquelles elle pourrait se poser. A notre tour imaginons trois saynètes.1 / A quelqu'un qui prétendrait avoir des idées originales et personnelles, son ami pourrait répondre : « On n'est jamais seul à avoir une idée ; tout a déjà été dit. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. De toute façon, nos idées ne font que refléter notre milieu. »2 / Un élève pourrait expliquer son refus d'écouter un cours ou de suivre les conseils de lecture de son professeur par sa volonté d'être l'origine unique de ses idées.

« II.

Sommes-nous l'origine unique de nos pensées ? Dans le second exemple l'élève rebelle refuse d'être attentif au cours et de lire des textes par peur de se laisserinfluencer.

Il entend rester la source unique de ses pensées.

Il y a sans doute là une intuition exacte de la vérité :le mathématicien a bien le sentiment d'inventer le raisonnement qui le mène à la solution sans être tributaire de lapensée des autres.

Ainsi « penser seul » signifierait ici être la cause unique de ses pensées.

Mais n'est-ce pas làune illusion ? Peut-on, par exemple, devenir mathématicien sans avoir suivi préalablement des cours demathématiques ? N'est-on pas toujours l'héritier de la pensée de ses aînés ?Distinguons une interprétation étroite et une interprétation large de la question. 1.

L'interprétation étroiteJ'ai le sentiment que, même si j'étais aveugle, ou même si je n'avais jamais suivi un seul cours de mathématiques, jeserais capable de tirer de moi-même l'idée du triangle et de ses propriétés.

Penser seul reviendrait à retrouver cesidées en soi-même, sans dépendre ni de l'expérience externe ni d'un enseignement ou d'une culture préalables.Demandons-nous pourquoi ?Accueillir une information de l'extérieur (qu'elle vienne des autres ou de l'expérience) c'est la recevoir comme un faitqui s'impose à nous.

« Aujourd'hui il fait beau » ou « La bataille de Marignan eut lieu en 1515 » sont des faits quel'on se borne à accepter tels quels, de manière passive.

Au contraire, lorsque je revendique l'origine de mespensées, c'est pour y retrouver le fruit de mon activité de réflexion, Que l'on songe à la posture du Penseur de Rodin: se refermant sur lui-même, ne laissant aucune prise au monde extérieur, l'homme se rassemble comme si la vériténe devait dépendre que de lui.

Mais ce souci ne fait ici encore que témoigner de la volonté de penser par soi-même.Elle n'implique pas nécessairement le rejet de tout enseignement et de toute culture.En effet une pensée peut dépendre de moi sans que j'en sois la source exclusive.

Les pensées que je tire vraimentde mon propre fond ne sont peut-être que les idées dont je me sens personnellement responsable. 2.

L'interprétation largeOn pourrait en effet comprendre que l'on est à l'origine de sa pensée comme on est à l'origine d'une décision.

Unchef d'État, par exemple, qui assume la responsabilité d'une décision va commencer par s'entourer de conseillers.Mais l'angoisse qui l'étreint au moment de trancher le rappelle à la solitude de sa responsabilité et, quelle que soit laforce de persuasion de ses conseillers, il sera seul devant l'histoire à porter le poids de sa décision.C'est la même solitude et le même sens de la responsabilité que l'on ressent, lorsqu'il faut soutenir une thèse ousimplement former un jugement.

Prenons un médecin sur le point d'arrêter son diagnostic.

Il a devant lui son patientqui présente un certain nombre de symptômes : est-ce une grippe ou une pneumonie ? le cas peut être douteux.

Ilpasse et repasse dans sa mémoire les informations qu'il a recueillies sur la question.

Et finalement il conclut : c'estbien une pneumonie.

Les informations qu'il a puisées au cours de ses études ou dans les revues spécialiséesn'étaient que de simples repères, des pensées passées tout comme les avis dont s'est entouré le chef de l'Etat nesont que des décisions possibles.

Son diagnostic il en est le seul responsable.

C'est son jugement qui lui donneexistence.

Et celui-ci n'est pas tourné vers le passé comme s'il se contentait de reproduire des connaissances déjàacquises, il engage, au contraire, toute une suite de jugements à venir qui le prolongent et en précisent le sens(comme par exemple prescrire tel ou tel médicament ou décider d'une hospitalisation immédiate).

Si nous sommes àl'origine de nos pensées, ce n'est pas nécessairement parce que nous tirons de nous-mêmes toutes nosconnaissances, mais parce que penser c'est juger et que juger, c'est prendre la responsabilité d'une décision quiengage l'avenir.Concluons sur ce point : je suis à l'origine de mes pensées, comme je suis à l'origine de tous mes actes, en ce sensqu'à la question « qui en est l'auteur ? » je peux (et je dois) répondre : « C'est moi et moi seul.

» Mais cetteresponsabilité loin de me replier sur ma solitude m'inscrit dans l'histoire d'une culture dont j'assume l'héritage.Moins toutefois comme un gardien du passé que comme un éclaireur de l'avenir. III.

Penser, c'est s'adresser à autrui Être responsable, c'est devoir répondre devant les autres.

C'est particulièrement clair pour le chef d'État qui se sentinvesti devant l'histoire ; ce n'est pas moins évident pour le médecin dont le diagnostic est affaire de vie et de mort.Mais ne peut-on pas dire la même chose à propos de tout jugement ? 1.

Penser c'est assumer un jugement devant AutruiMa pensée vient de moi, cela est vrai, et aucun despote, quand bien même il m'empêcherait de publier ma pensée,ne peut violer le sanctuaire de ma conscience.

Doit-on conclure que ma réflexion est privée et qu'elle n'engage quemon seul jugement ?Dans notre troisième exemple, l'élève refuse d'exposer ses pensées sous prétexte qu'elles ne regardent que lui.

Sijamais il rédige une dissertation, il s'en tiendra à des propos convenus ou à des résumés de doctrines, sans chercherà « s'investir » dans ses propos.

Sa « pensée personnelle » il la garde pour lui ou, s'il consent à l'exposer, il le feracomme s'il s'agissait d'un fait ou comme s'il se contentait de faire part de ses goûts ; or il est clair que l'on n'a pas àse justifier de ses goûts.A une personne qui nous dirait : « Les femmes sont inférieures aux hommes et les noirs valent moins que les blancs.Voilà ce que je pense et je n'ai pas de comptes à vous rendre », qu'aurions-nous à répondre ? Rien, sinon peut-être: « Vous ne pensez pas.

» Car on ne pense vraiment que lorsque l'on sait pourquoi on pense ce que l'on pense,lorsque l'on est capable de donner des raisons et de se justifier.

Un jugement qui ne peut rendre raison de lui-mêmeet qui se mure dans l'arbitraire du « c'est ainsi » n'est plus une pensée, c'est une réaction.. »

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