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Peut-il y avoir une pensée sans images ?

Publié le 20/06/2009

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Introduction. — « Toute notre dignité consiste, dit Pascal, en la pensée. « Mais en quoi consiste cette pensée qui fait la grandeur et la puissance de l'homme ? Dans l'esprit de celui qui pense, on observe ordinairement une foule d'images. Ces images sont-elles essentielles à la pensée ou peut-on penser sans images? I. Position du problème. — Reprenons la question et examinons-en tous les éléments. A. Peut-il y avoir...? — Cette question est posée sans spécification aucune. On ne nous demande pas si l'homme peut penser sans images, mais si la pensée est possible sans images. A la question ainsi formulée, on pourrait répondre que ce mode de pensée est possible et même le seul possible pour le pur esprit. Il n'y a lieu d'hésiter que pour l'homme; c'est donc à la possibilité pour l'homme de penser sans images que nous nous arrêterons. En disant : « peut-il y avoir « et non « y a-t-il «, on nous insinue que le problème déborde le cadre de la psychologie et empiète sur celui de la métaphysique. Le psychologue se cantonne dans le domaine des faits : observe-t-on, dans toute pensée un accompagnement d'images ou bien y a-t-il des pensées pures ou sans images ? En demandant : « peut-il y avoir une pensée sans images «, on met en question la possibilité même de la pensée pure, on suppose que l'image est un élément essentiel de la pensée, en sorte que la notion même de pensée pure serait contradictoire. Ce n'est donc pas seulement à une question psychologique de fait que nous avons à répondre, mais à une question métaphysique de nature.

« sensations dans nos jugements comme dans nos raisonnements.

».

C'est sur ce présupposé implicite que repose laphilosophie associationniste qui régna au XIXe siècle. B.

Point de vue psychologique.

— La psychologie conçue comme une science des faits psychiques remonte à moins d'un siècle; néanmoins, le problème qui nous occupe a fait l'objet il y a une cinquantaine d'années denombreuses recherches expérimentales.

Quelles en furent les conclusions ?Sans doute par réaction contre l'opinion courante, certains psychologues furent amenés à affirmer l'existence d'unepensée sans image.

Mais il semble bien qu'ils n'avaient pas suffisamment précisé la notion d'image et qu'ils enexcluaient le mot.

Par suite, à la question : « Pouvons-nous penser sans images ? », ils pouvaient répondre : oui,car nous comprenons parfois le sens d'un mot sans que la moindre image se présente à notre esprit.

Inversement, ilspouvaient également répondre par l'affirmative à la question : « Pouvons-nous penser sans mots ? », car nousavons tous l'expérience d'une pensée à la recherche de son expression verbale.

La réponse aurait été autre si,englobant dans le terme image l'accompagnement verbal de la pensée, on s'était demandé plus explicitement si nouspouvons penser sans images et sans mots.

Aussi, tirant la conclusion de toute une période de recherches, Ribotpouvait écrire dès 1913 : « L'hypothèse d'une pensée pure, sans images et sans mots, est très peu probable et, entout cas, n'est pas prouvée.

».

Ce qui restait prouvé, c'est que la pensée ne se réduit pas à l'image et au mot,qu'elle comporte « un tertium quid qui est la conscience d'un rapport » (Ibid., 52).Sur le terrain de l'observation, la question n'a pas fait depuis lors de progrès appréciables.

Pour Delacroix, parexemple, nous pouvons penser sans mots, les images faisant fonction de mots, et, inversement, nous pouvonspenser sans images, les mots faisant fonction d'image, mais nous avons besoin de quelque chose qui symbolise lapensée : « La pensée symbolique est la pensée tout court.

».

Mais elle ne se réduit pas au symbole : « Que nouspensions avec des mots ou avec des images, il faut pour penser autre chose que des mots et des images ».On le voit, les psychologues, ne s'en tenant plus à la question psychologique de fait : « Pensons-nous sans images? », répondent à la question métaphysique sur la nature de la pensée : « Peut-on penser sans images? » Ontrouverait des réponses plus catégoriques encore chez les phénomonologues contemporains, qui refusent dereconnaître, non seulement la pensée sans images, mais encore les images sans activité organique et rejettent lanotion même de psychisme pur et de vie intérieure.

Pour eux, la pensée n'est rien d' « intérieur » : « elle n'existe pashors du monde et hors des mots »; c'est une illusion qui nous fait croire à une pensée absolument silencieuse; « enréalité, ce silence prétendu est bruissant de paroles, cette vie intérieure est un langage intérieur ». III.

Solution du problème. — Contrairement à l'ordinaire, cette rapide revue des réponses' faites à la question posée éclaire notre route au lieu de l'obscurcir. A.

Le rôle de l'image dans la pensée. — Tout d'abord, l'image ne suffit pas à constituer la pensée; la pensée ne se réduit pas à l'image.

La valeur de la pensée n'est nullement proportionnelle à la richesse des images, et lefoisonnement de celles-ci empêche plutôt de l'élever au niveau de la pensée véritable.

La pensée, avons-nous dit,est essentiellement intuition de rapports; or, de multiples images peuvent être présentes à l'esprit sans que soitperçu le rapport qui relie certaines d'entre elles.Qu'apporte donc l'image — au sens large qui englobe les mots — à l'activité intellectuelle ? La matière de la penséeou son contenu, la pensée elle-même constituant la forme ou la structure ? Penser, dit-on, c'est juger, c'est-à-direaffirmer un rapport.

Mais un rapport suppose des choses en rapport; ces choses peuvent être des mots ou mêmedes signes algébriques; mais ce sont là des images qui, si nous passons par-dessus elles jusqu'à l'objet qu'ellesreprésentent, nous renvoient à d'autres images, qui sont elles-mêmes des substituts de sensations.On peut comparer l'image mentale à l'encre avec laquelle nous traçons lettre par lettre les mots qui expriment notrepensée ou encore ces lettres elles-mêmes.

Ces lettres et moins encore ces traces d'encre ne peuvent pas êtreregardées comme consécutives de la phrase qui exprime notre pensée, et cependant c'est bien par leur moyen quenotre pensée s'exprime; elles constituent la matière même de cette expression. B.

La nécessité de l'image dans la pensée. — Il suit de là que images et mots ne sont pas, ainsi qu'on semble souvent le croire, un simple accompagnement de la pensée.

Ils en constituent un élément essentiel, en sorte que,sans image et sans mots, l'esprit serait vide de toute pensée, tout comme une forme — qu'on songe à une forme dechapelier ou de bottier — n'informe rien tant qu'on ne lui donne pas une réalité matérielle à informer.

Lesmathématiques elles-mêmes, qui tendent à l'abstraction absolue et à la forme pure, ne peuvent y parvenir : « Toutepensée formelle est une simplification psychologique inachevée, une sorte de pensée-limite jamais atteinte.

En fait, elle est toujours pensée sur une matière, dans des exemples tacites, sur des images masquées.

».Néanmoins, si la pensée s'incarne nécessairement dans des images et des mots, elle ne se réduit pas plus à cesderniers que mes phrases ne se réduisent à des molécules d'encre; elle est dans la signification qui informe images,mots ou traces d'encre.

« Il est rigoureusement exact de dire que la pensée comme telle exclut tout l'ordre desimages et cependant qu'elle n'a pas d'autre contenu que des images.

».D'où vient donc que les psychologues ont cru parfois observer des pensées sans images? De l'extraordinairepuissance d'abréviation de la pensée : « un rien suffit souvent.

Nous arrivons à faire tenir souvent desdéveloppements entiers dans un mot.

D'où l'illusion de ceux qui croient qu'il n'y a rien » Conclusion. — En définitive, les philosophes d'autrefois n'avaient pas tort de répondre à la question que nous nous étions posée d'après leur conception de la nature humaine, et les psychologues contemporains leur ont donnéraison.L'homme est tout entier dans chacune de ses opérations spécifiquement humaines.

Esprit et matière, il ne sauraitpenser avec le seul esprit et parvenir à la pensée pure.

C'est la métaphysique qui répond au problème de la penséesans images, et la psychologie, reprenant son examen avec plus de rigueur, en vient à lui donner raison.. »

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