Peut-on être heureux sans les autres ?
Publié le 27/02/2008
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, XIII), bref
cet amour que les scolastiques appelaient non de concupiscence, mais d'amitié,
et c'est bien le nom en effet qui lui convient. L'amant veut posséder l'aimé, et
souffre de ne le pouvoir, puis s'ennuie de l'avoir pu... L'ami véritable se
réjouit au contraire non de posséder ses amis (il sait bien que c'est
impossible, que l'amitié n'illumine jamais que la solitude), pas même d'en être
aimé (voilà longtemps qu'il n'y tient plus, qu'il est libéré de ce petit
commerce des sentiments), mais qu'ils soient. Comment, sauf à aimer des
cadavres, en serait-il privé ? Sa joie n'est pas une caractéristique de son
amitié, mais sa définition même. Il n'y a pas d'amour (éros) heureux ; il n'y a
pas d'amitié (philia, agapè) malheureuse. Cela, qui redonne une chance au couple
peut-être, donne aussi la formule de la sagesse : le sage est l'ami du monde, de
ses amis et de soi-même. Que cela soit également, et par là même, la formule du
bonheur, c'est ce que chacun a compris et, de loin en loin, expérimente. Sans
l'amitié, dit à peu près Aristote, la vie serait une erreur (Éthique à
Nicomaque, VIII et IX), et c'est en quoi, ajoute Épicure, de tous les biens que
la sagesse nous procure, « l'amitié est de beaucoup le plus grand » (Maxime
capitale XXVII) : la sagesse ne serait rien sans le bonheur, ni le bonheur sans
l'amitié. C'est aussi ce que Spinoza, bien plus tard et avec d'autres mots,
confirmera : il n'est bonheur que de joie ; il n'est joie que d'aimer.
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