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Peut-on haïr la vérité ?

Publié le 17/12/2005

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 La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes, après que la nature les a depuis longtemps affranchis d'une direction étrangère (naturaliter maiorennes) (1), demeurent pourtant leur vie durant volontiers mineurs ; et qu'il soit si facile à d'autres de se poser comme leurs tuteurs. Il est si confortable d'être mineur. Si j'ai un livre qui a de l'entendement à ma place, un pasteur qui a de la conscience à ma place, un médecin qui juge à ma place de mon régime alimentaire, etc., je n'ai alors bien sûr nul besoin de m'en donner moi-même la peine. Il ne m'est pas nécessaire de penser, du moment que je peux payer; d'autres se chargeront bien pour moi de ce travail fastidieux. Que de loin la plus grande part des hommes (et parmi elle, la totalité du beau sexe) tienne, outre le fait qu'il est pénible à franchir, pour également très dangereux le dernier pas vers la majorité, c'est ce dont s'avisent ces tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d'exercer leur haute bienveillance sur ces hommes. Après avoir, d'abord, rendu stupide leur bétail domestique, et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures ne puissent oser faire un seul pas hors du parc (2) où ils les ont enfermés, ils leur montrent ensuite le danger qui les menace si elles essaient de marcher seules. Or ce danger n'est pas si grand qu'il paraît, car, moyennant quelques chutes, elles finiraient bien par apprendre à marcher ; mais le moindre exemple d'une telle chute les rend cependant timides et les dissuade de faire une nouvelle tentative. " (1) naturellement majeurs. (2) chariot où l'on installe les enfants qui ne savent pas encore marcher.

Il s'agit ici de s'interroger sur notre rapport à la vérité. Peut-on haïr la vérité, autrement dit, peut-on lui vouer une aversion telle qu'on se mette alors à la considérer comme une sorte d'ennemie qu'il faut combattre ? Au demeurant, " haïr la vérité " n'a pas de sens. Nous ne pouvons que constater la vérité lorsqu'elle se manifeste à nous et la reconnaître en tant que telle en raison de son évidence, sa clarté et sa distinction. Mais il est cependant possible de ne pas aimer ce que la vérité nous oblige parfois à regarder en face et surtout, refuser d'abandonner une croyance rassurante liée à une opinion ou un désir. Demandez-vous alors si cela constitue une attitude rationnelle. Ne faut-il pas tout au contraire aimer la vérité ? N'est-ce pas la seule façon de l'accepter lorsqu'elle se présente ?

« Tout homme désire comprendreL'aventure humaine est d'abord et avant tout une aventure de l'esprit.

Le désir de comprendre les phénomènes a pour première origine la peur de l'inconnu.

Les lois de la gravitation universelle nous font savoir qu'il est impossible que laterre se mette soudainement à chuter comme le ferait une pierre lâchée dans le vide.

L'esprit qui comprend est un esprit apaisé.Celui qui se trompe est malheureuxLa résolution d'un problème est toujours source de satisfaction.

L'esprit qui se trompe éprouve un immense sentiment d'impuissance et de frustration.

C'est pourquoi, à la notion de vérité s'attache celle de bonheur.

Malheureux est celui qui neparvient pas à la vérité.

Malheureux est celui qui se méconnaît lui-même.La connaissance comme condition du bonheurLa connaissance consiste à sortir de l'ignorance, à comprendre en nous ce qui nous reste obscur, à connaître nos désirs pour accéder à une sorte de calme de l'âme, d'ataraxie.1.

connaître ses désirs pour connaître le bonheur dans une certaine mesure des plaisirs.Texte : Épicure, lettre à Ménécée , "C'est un grand bien, croyons-nous, que de savoir se suffire à soi-même non pas qu'il faille toujours vivre de peu en général, mais parce que si nous n'avons pas l'abondance, nous saurons êtrecontents de peu, bien convaincus que ceux-là jouissent mieux de l'opulence, qui en ont le moins besoin."2.

connaître nous rend heureux : pour un sage la véritable utilité définie par la recherche intelligente du bonheur se confond avec la moralité : tout ce que la moralité commune peut présenter commecontraignant, le sage redécouvre rationnellement comme la réalisation même du bonheur.Texte : Spinoza , l'Ethique , IV, prop.XVIII "La raison ne demande rien contre la nature; elle demande donc que chacun s'aide soi-même, qu'il cherche l'utile qui est sien, c'est-à-dire ce qui lui est réellement utile, et qu'il désire tout ce quiconduit réellement l'homme à une plus grande perfection; et absolument parlant, que chacun s'efforce, selon sa puissance d'être, de conserver son être."Épicure constate que le plaisir, recherché par tous, est l'élément essentiel de la vie heureuse.

Conforme à la nature humaine, il procure un critère parfait de tous les choix que nous avons à faire.

Ilréside dans la sensation qui, nous mettant en rapport avec le monde, est la règle qui nous fait choisir ou exclure.

Ce bien est inné et personnel, puisque chacun est juge de ce qui lui convient : c'est denotre propre point de vue sensible que nous jugeons de ce qui est pour nous un plaisir ou une douleur.

Ainsi, nous ne recherchons pas les plaisirs qui engendrent de l'ennui, et l'on peut préférer endurercertaines douleurs si elles sont le moyen d'accéder à un plus grand plaisir.

L'épicurisme n'est pas une philosophie simpliste qui recherche le plaisir à tout prix et fuit la douleur ; elle repose sur unprincipe de détermination, qui est la sensation, critère complexe d'estimation des valeurs, puisqu'il aboutit à un paradoxe : "Nous en usons parfois avec le bien comme s'il était le mal, et avec le malcomme s'il était le bien", (Épicure). Une des constances de la philosophie d' Epicure est de vanter le plaisir.

On retrouve la formule « Le plaisir est notre bien principal et inné » dans la « Lettre à Ménécée ».

Mais l'épicurisme ne correspond guère à l'image populaire que l'on en garde : celle du « bon vivant ».

Dans cette lettre, on lit : « Tout plaisir est de par sa nature propre un bien, mais tout plaisir ne doit pas être recherché ».

C'est à une compréhension véritable du plaisir, et à une gestion rationnelle des désirs que la philosophie d' Epicure nous invite, philosophie des « sombres temps », de l'époque troublée, violente, des successeurs d' Alexandre le Grand . La « Lettre à Ménécée » est une description de la méthode apte à nous procurer le bonheur.

Car si tous les hommes cherchent le bonheur, ils sont, selon le mot d' Aristote , comme des archers qui ne savent pas où est la cible, incapables de la définir et de l'atteindre. Epicure commence par expliquer que nous n'avons rien à redouter des dieux, vivants bienheureux qui ne se soucient pas des hommes, et que la mort n'est rien pour nous.

Débarrassés du souci du jugement divin et de la survie de l'âme, nous sommes alors aptes à bien vivre notre vie présente.

Bien vivre notre existence veut dire parvenir au bonheur ici-bas, et cela n'est possible que par un bon usage des plaisirs et des désirs. L'homme est un être de désir, et selon qu'il parvient ou échoue à satisfaire ses désirs, il est heureux ou misérable.Or, le bonheur est d'abord l'absence de souffrance physique ou psychologique.

C'est pourquoi Epicure déclare : « Une théorie non erronée des désirs sait rapporter tout choix à la santé du corps et à la tranquillité de l'âme puisque c'est là la perfection même de la vie heureuse.

Car tous nos actes visent à écarter la souffrance et la peur. » Eprouver du plaisir, c'est d'abord combler un manque : boire quand on a soif, se rassurer quand on a peur.

En soi, un plaisir est toujours bon, une souffrance, un désir non comblé, toujours mauvais.Ainsi Epicure nous incite à classer nos désirs, et à adopter face à eux une stratégie telle que nous serons facilement comblés et rarement insatisfaits. Il y a d'abord les désirs naturels (dont certains sont naturels et nécessaires et d'autres seulement naturels) ; et ensuite les désirs vains.

Les désirs naturels et nécessaires comprennent tous les désirs tels que, s'ils ne sont pas satisfaits, nous mourons (boire, manger, dormir).

Les désirs seulement naturels peuvent être le désir de manger tel ou tel plat, ou encore le désir sexuel, etc. Mais il importe de comprendre qu'il y a des désirs vains ; désir de richesse, de gloire, d'immortalité, etc.

Ces désirs ont une particularité importante ; ils sont insatiables, illimités, ils n'ont jamais de fin.Quand je connais un désir naturel, il cesse d'être dès qu'il est satisfait.

Une fois que j'ai mangé, je n'ai plus faim.

Ces plaisirs sont naturels parce qu'ils sont bornés : ils ont une limite naturelle.

A l'inverse, les désirs non naturels peuvent être dits vains parce qu'ils ne seront jamais comblés ; ils résident dans le principe du « toujours plus », l'illimité.

L'homme qui veut être riche, admiré, aimé, n'en a jamais fini de son désir. Il est facile de comprendre que si je veux parvenir au bonheur, à la santé du corps et à la tranquillité de l'âme, je dois éliminer les désirs vains.

Le plaisir naît de ce qu'un désir est comblé.

Mais les désirs vains sont par définition illimités.

Le plaisir que leur satisfaction procure est illusoire et ne sert qu'à les relancer.

A peine comblé, je veux autre chose, je veux plus ; je ne cesse de désirer, donc de manquer, donc de souffrir.

L'homme des désirs vains, du « toujours plus », Platon le comparait déjà à un panier percé ; se condamner à ne jamais être comblé. La première et principale leçon d' Epicure est donc celle-ci : ne pas céder aux désirs vains ; se contenter des désirs naturels.

Vivre en accord avec la nature consiste d'abord à ne pas céder au vertiges des désirs illusoires.

Epicure les nomme vains, notre époque parlerait d'une course à la consommation. Il y a plus.

Certes tout plaisir est un bien en soi.

Mais certains plaisirs peuvent se révéler nuisibles.

Certes toute souffrance est un mal, mais endurer certaines douleurs peut se révéler utile.

Il ne faut pas rechercher tout plaisir, ni fuir toute douleur : il faut savoir raisonner, calculer les conséquences.

Il ne faut pas céder à l'attrait de l'immédiat, mais avoir une certaine intelligence du plaisir.

On voit que nous sommes loin de l'image du « bon vivant », de celui qui jouit defaçon primaire de tous les plaisirs qui s'offrent à lui. Epicure va même jusqu'à prôner une certaine austérité.

Il faut dit-il « savoir se suffire à soi-même » ; cela veut dire savoir se contenter de peu.

Car « Tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, mais tout ce qui est vain est difficile à avoir.

»L'habitude de vivre simplement met à l'abri des coups du sort, tandis que l'habitude de vivre richement y rend plus vulnérable.

De plus l'habitude, par exemple, d'une bonne table, de mets précieux, transforme ce qui était au départ un plaisir (manger tel plat raffiné) en habitude voire en besoin.

Privé de ce superflu dont je me suis rendu dépendant, je vais en souffrir par ma propre faute.

Par contre, le sage épicurien se réjouira d'une table somptueuse, mais nesouffrira pas de son absence ; car il a compris que ce n'est pas l'objet qui crée le plaisir, mais la cessation du désir, du manque.

Naturellement, ce n'est pas tel grand vin qui me fait plaisir, mais de ne plus avoir soif.

S'habituer aux grandscrus, c'est se condamner et à y trouver moins de plaisir, et à souffrir si pour une raison ou pour une autre on ne peut plus s'offrir ce produit et à ne plus être capable d'apprécier une boisson plus « ordinaire ». Ce souci d'autarcie, d'une vie simple qui nous rende le plus indépendant possible du hasard, des coups du sort, des autres, s'explique en partie par l'époque troublée, instable pendant laquelle Epicure écrit ; une époque où les solidarités traditionnelles de la cité grecque se défont, où la politique est instable, où l'économie ne l'est pas moins. Mais cela n'invalide en rien le raisonnement d' Epicure , lequel dément l'interprétation déjà présente à son époque de sa doctrine : « Quand nous disons que le plaisir est notre but ultime, nous n'entendons pas par là le plaisir des débauchés ni ceux qui se rattachent à la jouissance matérielle, ainsi que le disent ceux qui ignorent notre doctrine, ou qui sont en désaccord avec elle ou qui l'interprètent dans un mauvais sens.

Le plaisir que nous avons en vue est caractérisépar l'absence de souffrances corporelles et de troubles de l'âme.

Ce ne sont pas les beuveries et les orgies continuelles des jeunes garçons et des femmes, les poissons et les autres mets qu'offre une table luxueuse, qui engendrent la vieheureuse, mais la raison vigilante qui recherche minutieusement les motifs de ce qu'il faut rechercher ou éviter, et qui rejette les vaines opinions grâce auxquelles le plus grand trouble s'empare de l'âme.

»Ceux qui vivent en cédant à l'attrait du plaisir immédiat, qui cultivent les désirs vains, qui accordent une importance extrême aux objets de leurs désirs, ceux-là n'ont rien compris au plaisir, et se condamnent à la souffrance.La vraie philosophie du plaisir est celle, apparemment austère, d' Epicure .

Celle qui prône le plaisir, mais guidé par la raison vigilante.

Si le véritable épicurisme semble austère, proche de l'ascétisme, on conclura par une sentence d'Epicure : « Dans les autres occupations, une fois qu'elles ont été menées à bien avec peine, vient le fruit ; mais, en philosophie, le plaisir va du même pas que la connaissance : car ce n'est pas après avoir appris que l'on jouit du fruit, mais apprendre et jouir vont ensemble. » On peut haïr la vérité tant qu'on en ignore l'essence.

Adhérer aveuglément aux opinions d'autrui a pour avantage d'épargner tout effort de pensée.

Mais cet avantage comporte bon nombre d'inconvénients.

La première condition dubonheur, comme le dit Nietzsche, est de cultiver avec soin tous les instincts qui animent chaque être en particulier.

Pour cela, il faut se connaître soi-même, se connaître suffisamment pour être en accord avec ces forces vitales qui nouspoussent à être ce que l'on est, et non pas imiter servilement ce que les autres sont.

Se soumettre à l'opinion d'autrui peut conduire à contredire notre propre nature, ce qui est la cause première de toute existence malheureuse.

Lavérité, qu'elle concerne ce que l'on est ou bien la nature des phénomènes, a pour vertu fondamentale de faire disparaître la contradiction.

Or, il n'est rien de plus dommageable pour l'esprit de vivre dans la contradiction.

C'est pourquoi,aimer la vérité est le seul moyen d'accéder au bonheur.. »

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