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Peut-on identifier oeuvre et travail ?

Publié le 17/01/2022

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La problématique posée par ce sujet n 'est pas immédiatement claire, dans la mesure où « oeuvre « et « travail « sont très largement synonymes : simplement par « œuvre « on entend surtout (mais pas exclusivement) un « travail « au sens resultatif: l'oeuvre est le résultat d'un travail, le produit qui subsiste après l'activité. Cependant il n 'y aurait guère d'intérêt philosophique à réfléchir sur la distinction de ces deux sens. Il convient donc de chercher à distinguer d'une autre manière ces deux concepts. On peut ainsi prendre « œuvre « au sens de « production littéraire et artistique « et orienter la réflexion sur la spécificité de l'œuvre d'art. Mais, sans s'engager dans cette dernière voie, on peut aussi, comme nous le ferons ici, se borner à creuser la distinction que l'on opère parfois entre l'« œuvre « et le « travail «, en attribuant à l'œuvre une certaine supériorité sur le travail et en la reliant davantage au concept de création et non pas de simple activité productrice nécessitée par le besoin (ce dont témoigne l'acception même de « production littéraire et artistique «).

« Hegel puis Marx , rétorquent que c'est par le travail que l'homme se fait homme, passe d'une activité instinctive à une activité pensée, d'une spontanéité animale à une discipline rationnelle. Mais ce premier point est corrélatif du second.

Le travail humain requiert la discipline et la mise en oeuvre de toutesnos capacités intellectuelles & physiques.

On ne sépare pas ici la conception du travail de son exécution ; l'esprit seforme en même temps que le corps.

Il faudrait ajouter que cette forme d'activité n'est pas séparable de formes desocialisation, du développement du rapport à autrui.

Enfin, et il faut insister sur ce point, l'homme peut être fier deson travail dans la mesure où il est bien le sien, cad un objet produit par ses qualités et qui en quelque sorte lesobjective. A ce que le premier Marx décrit comme une sorte « d'essence » du travail (terme qu'il reniera ensuite, en affinant sa conception de l'histoire, de la technique et des rapports de production), il faut alors opposer les formes modernesde production. Pour comprendre ce que dit Marx , il faut se souvenir que les débuts du capitalisme ont été sauvages ; qu'un théoricien comme Smith écrivait calmement : « Dans les progrès que fait la division du travail, l'occupation de la majeure partie de ceux qui vivent de ce travail,cad de la masse du peuple, se borne à un très petit nombre d'opérations simples [...] Or l'intelligence des hommesse borne nécessairement par leurs occupation ordinaires.

Un homme qui passe toute sa vie à faire un petit nombred'opérations simples [...] n'a pas lieu de développer son intelligence, ni d'exercer son imagination [...] et devientgénéralement aussi stupide et ignorant qu'il soit possible à une création humaine de la devenir. » (« La richesse des nations », 1776) Les formes modernes de travail consistent (si l'on s'en réfère à Taylor et à Ford ) à décomposer les opérations nécessaires à la fabrication d'un objet & à attribuer chacune d'elles à un ouvrier.

Cette forme de division du travail,si elle favorise la production dans des proportions exponentielles, fait que d'une part la conception de l'objet et sonexécution sont deux tâches séparées, attribuées à des hommes bien distincts (ce qui suppose que certains ne sontplus que des exécutants purs & simples, travaillant avec des machines & à leur rythme), et que, d'autre part, l'objetn'est plus produit littéralement par personne.

Non seulement un homme ne produit plus un objet du début jusqu'à lafin, mais on ne peut plus parler de travail d'équipe dans la mesure où l'organisation du travail est imposée del'extérieur et que chacun exécute sa tâche isolément. Cet anonymat, cette séparation de la conception et de l'exécution, cette imposition d'une tâche abrutissante &répétitive, Marx la décrit en 1844 comme une véritable perversion du travail. L'ouvrier est dépossédé de son travail, et cela à plusieurs titres.

D'une part en ce que son salaire ne correspond pasau travail fourni, mais permet seulement de restaurer la force du travail.

D'autre part en ce que l'ouvrier ne peut enaucun cas reconnaître pour sien, comme son oeuvre, un objet fabriqué dot il n'a fourni qu'une partie infime.

Nonseulement nulle fierté n'est possible, mais nulle reconnaissance.

« Le travail est extérieur à l'ouvrier [...] il n'est plus son bien propre mais celui d'un autre. » L'ouvrier « mortifie son corps & ruine son esprit », cela se conçoit aisément.

Le corps n'est plus éduqué, formé, discipliné quand il est astreint à la répétition mécanique, à une cadence imposée par les machines.

Au contraire, ilest déformé, réduit à être un substitut de machine.

Proche, pour faire court de la définition que donnait Aristote , des esclaves. « L'esclave lui-même est une sorte de propriété animée [...] Si, en effet, chaque instrument était capable, sur unesimple injonction, d'accomplir le travail qui lui est propre [...] si les navettes tissaient d'elles-mêmes [...] alors ni leschefs d'artisans n'auraient besoin d'ouvriers, ni les maîtres d'esclaves.

» (« Politique », I, 4). Mais cette ruine, cette dégradation du corps, qui ne développe plus ue habileté ou un talent mais itère & réitère unmême geste qui n'a plus de sens pour celui qui l'exécute, est corrélative d'un abrutissement spirituel.

Le « pire » réside dans la séparation de la conception et de l'exécution qui fait que le travail n'est plus conçu mais subi, nedéveloppe plus intelligence ou créativité, mais cantonne l'homme à la contemplation d'une action imposée étrangère,absurde.

« Travail forcé, il n'est plus la satisfaction d'un besoin, mais un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail.

» Ainsi on conçoit que « ce qui est humain devienne animal.

» Mais, ajoute Marx : « on fuit le travail comme la peste.

» « C'est pourquoi l'ouvrier n'a le sentiment d'être soi qu'en dehors du travail ».

Le travail étant devenu animal, machinal, torturant, l'homme s'y voyant dépossédé de sa propre activité, ne peut plus se sentir lui-même qu'en dehors du travail. Or, ce qui existe en dehors du travail, c'est essentiellement (compte tenu, qui plus est, des conditions économiquesdans lesquelles on maintient l'ouvrier), la satisfaction des besoins. « On en vient à ce résultat que l'homme n'a de spontanéité que dans ses fonctions animales : le manger, le boire, laprocréation, peut-être encore dans l'habitat, la parure, etc. ». »

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