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Peut-on se délivrer du poids de l'histoire ?

Publié le 23/12/2005

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histoire
L'histoire est un terme qui a trois significations possibles : il désigne soit un récit (comme une histoire pour enfants), soit le cours des événements passés, soit la discipline qui se charge de faire le récit de ces événements, que l'on appelle aussi l'historiographie. Lorsqu'on parle de « poids » de l'histoire, on désigne de manière métaphorique les conséquences que l'histoire comme ensemble d'événements passés d'un individu ou d'une communauté a dans le présent. Il semblerait alors qu'il soit impossible de se délivrer du poids de l'histoire, de ne pas le prendre en compte, car la situation présente est l'effet de causes passées.   Mais si l'histoire ainsi comprise est bien le lieu d'une causalité du passé sur le présent, elle est aussi le lieu de l'action individuelle et collective. Si l'histoire ne se répète jamais, c'est que ses acteurs sont des êtres humains toujours différents et toujours libres, qui ne font pas que subir des processus historiques, mais en sont aussi les créateurs. Il semble ainsi que la volonté d'agir dans un certain sens peut toujours permettre d'aller à l'encontre de ce qui s'est passé auparavant. Ainsi, à la chute du mur de Berlin, après quarante ans de séparation entre l'Allemagne de l'Est et de l'Ouest, les autorités ont décidé que malgré le développement économique séparé qu'ont eu les deux pays, un mark de l'est valait un mark de l'ouest (alors qu'en réalité la monnaie de la RDA était bien moins forte que celle de la RFA). Par cet acte symbolique le gouvernement allemand cherchait bien à se délivrer des conséquences que l'histoire a eues sur le présent.   Néanmoins, cette équivalence du mark de l'ouest et de l'est n'a pas permis de gommer les différences entre l'Allemagne de l'Est et de l'Ouest mais les a renforcées en empêchant les industries de l'est de vendre leurs produits à de bons prix et en provoquant une crise dans l'ancienne Allemagne de l'Est. En cherchant à se délivrer du poids de l'histoire, on risque semble-t-il de l'accentuer en ne tenant pas compte de la réalité des conditions historiques dans lesquelles on agit. Le problème est donc de savoir en quel sens il est possible de penser qu'on se « délivre » de l'histoire : cela veut-il dire qu'on essaye de l'oublier, de ne pas la prendre en compte ? que l'on va à son encontre ? ou cela veut-il dire que l'on apprend à vivre avec cette histoire et à l'empêcher d'avoir des effets néfastes sur le présent ? Et s'il est possible de se délivrer du poids de l'histoire, cela est-il souhaitable pour autant ?
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« Napoléon, il semble qu'il est possible d'agir contre l'histoire et d'inventer à soi seul une nouvelle époque : c'est bienque l'on pourrait alors se délivrer du poids des événements historiques antécédents.B./ Ce problème est celui qu'affronte Hegel, dans la deuxième partie de La Raison dans l'histoire , où il expose la manière dont on peut penser philosophiquement le contenu de l'histoire mondiale.

Pour lui, « l'Esprit d'un peuple estessentiellement un esprit particulier mais en même temps il n'est autre que l'Esprit universel absolu.

» L'Esprit, pourHegel, est la réalisation au sein d'œuvres matérielles ou d'institutions de phénomènes humains : un code de lois, unensemble de mœurs, sont du ressort de l'Esprit.

Ce qu'il exprime par cette phrase, c'est que les réalisations d'unpeuple déterminé sont différentes et particulières par rapport à d'autres peuples, mais pour celui qui vit au sein dece peuple elles représentent un universel : il agira en fonction d'elles et en suivant leurs règles.

Ainsi, nos mœurs nesont que des mœurs déterminées parmi tous les peuples, mais agir à leur encontre nous est difficile car elles nousapparaissent comme valant universellement.

Voilà le poids de l'histoire : le fait que nos universaux sont déterminéshistoriquement par l'histoire collective du peuple auquel nous appartenons.C./ Or certains individus particuliers cherchent à s'extraire de cet Esprit universel, et apparaissent commeréussissant à ne suivre que leurs propres intérêts et objectifs.

Peut-on dire qu'ils ont réussi à s'extraire de l'Esprit deleur peuple et à se délivrer du poids de l'histoire ? Non.

C'est que Hegel nomme « la ruse de la Raison » : « lespassions se réalisent suivant leur détermination naturelle, mais elles produisent l'édifice de la société humaine.

» Peuimporte que César n'ait recherché que son intérêt propre : l'important est qu'en recherchant cet intérêt il ait permisune fin plus haute, non pas particulière mais universelle : sauver Rome de la ruine et de la guerre civile.

« Leshommes réalisent leurs intérêts mais il se produit en même temps quelque autre chose qui y est cachée, dont leurconscience ne se rendait pas compte et qui n'entrait pas dans leurs vues.

» Ainsi, les hommes semblent bien pouvoiraller contre l'histoire, en ne faisant que suivre leurs passions et intérêts personnels.

Mais si jamais César n'avait pasréussi son entreprise, parce que Rome n'était pas au bord de l'implosion, comment aurait-il été considéré ? Commeun simple aventurier.

C'est parce qu'il intervient à un certain moment de l'histoire où ses intérêts permettent àl'histoire de se déployer qu'il a pu réussir et être considéré comme un personnage historique.

Voilà pourquoi, alorsmême que l'on croit pouvoir se délivrer de l'histoire en agissant sans tenir compte d'elle mais uniquement de sespropres intérêts, on n'y est encore plus soumis.

Mais est-il légitime de considérer ainsi que l'histoire des individus et l'histoire collective, sur le long terme, sont àmettre sur le même plan ? Peut-on penser que l'on puisse être soumis au poids de l'histoire économique comme onest soumis à celui de son histoire personnelle ? III./ Les différentes temporalités de l'histoire.

A./ Il n'est pas sûr que l'histoire d'un individu subisse le même poids que l'histoire, par exemple, de son pays ou deson continent.

Par exemple, le poids de l'histoire représente pour moi essentiellement le poids de mon histoirefamiliale, sentimentale et professionnelle.

Bien évidemment, certains événements de l'histoire collective, comme parexemple la construction de l'Union Européenne, affectent mon histoire personnelle, en me permettant d'aller vivre àl'étranger notamment.

Mais il ne s'agit pas d'un « poids » à strictement parler, car cela ne m'entraîne pas comme lesévénements de ma vie personnelle peuvent m'entraîner à agir de telle ou telle manière.B./ F.

Braudel, dans son histoire de la Méditerranée à l'époque de Philippe II , distingue, dans sa préface, trois types de temporalités historiques pour évaluer correctement le poids des événements passés sur un événement précis.

Il ya une temporalité longue, qui concerne les rapports de l'homme au milieu qu'il habite d'une part, une temporalitéintermédiaire, qui concerne les processus économiques, démographiques, culturels qui affectent la zone, et enfinune temporalité courte, qui concerne la vie et les gestes des acteurs, notamment politiques, de la période.

Chacunede ces temporalité affecte les autres et la conditionne, mais elles sont relativement indépendantes dans leurdéroulement.

Certes, l'histoire économique de l'Espagne affecte l'histoire personnelle de Philippe II, mais celle-ci apour principaux poids des événements personnels.C./ Ainsi, si l'on veut pouvoir se libérer du poids de l'histoire, il faut savoir gérer ce poids en fonction de l'histoireconcernée.

Un événement collectif, qui a touché toute une société, ne peut être réglé que par une société entière.Mais celle-ci ne peut régler les conséquences désastreuses de cet événement qu'en assumant son histoire,notamment à travers un travail de reconnaissance politique de cet événement, c'est-à-dire un travail de mémoire.C'est le cas pour les génocides : on ne peut supprimer le poids de ces événements historiques qu'en les étudiant, enles reconnaissant au niveau politique, ce qui permet de juger les coupables, d'offrir des compensations aux victimes,et d'organiser un travail de deuil collectif vis-à-vis d'un événement collectif.

En effet, face à un tel événement, cen'est pas simplement l'histoire individuelle des victimes et leur travail de deuil particulier qui peut permettre de selibérer du poids de l'histoire, mais uniquement un travail collectif prenant en compte l'histoire collective des peuples.

Ainsi il semble que se délivrer du poids de l'histoire n'est qu'un espoir illusoire et même dangereux tant que l'onconsidère que cela signifie ne pas prendre en considération la dimension historique du monde dans lequel nousvivons.

Si l'on veut pouvoir se délivrer de l'histoire, ce sera au contraire en approfondissant celle-ci et enreconnaissant son existence.

Mais il faut alors prendre garde à ne pas confondre les différents niveaux historiquesqui constituent le cours des événements.. »

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