Devoir de Philosophie

Peut-on se jouer à soi-même la comedie ?

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

Tous les hommes sont acteurs. Chacun a la possibilité, puisqu'il est un individu raisonnable, de recouvrir sans peine, par un simple regard réflexif (et affectif) sur soi-même, une nouvelle peau. Chacun est capable de donner forme nouvelle à son identité, de se métamorphoser en quelque sorte, de rendre ainsi compte de cette plasticité fondamentale qui caractérise l'emprise de l'homme sur lui-même, l'appropriation de soi par soi, voire la dépossession de soi comme expérience d'un silence méditatif (mais qui reste de l'ordre de la décision du sujet, et qui par conséquent n'est qu'un type spécial de métamorphose). Plus concrètement, tout un chacun s'emploie quotidiennement à un jeu social, à jouer la comédie en quelque sorte, puisque les attitudes diffèrent selon que l'on se trouve devant une boulangère, un policier ou un parent. C'est en ce sens que le sujet est acteur puisqu'il se détermine sans fin une place au sein de la scène sociale, lieu propice à toute forme de théâtralisation. Mais ce jeu, tant représentatif du possible chez l'homme, de son être capable, ne peut-il pas être aussi vu comme cette part de déterminisme en chacun, cet aveuglement de soi sur soi (sur ses idées et ses pratiques), comme un manque fondamental de considération du sujet sur lui-même et sur ce qui se joue sur la scène de la vie ? Ainsi se pourrait-il bien que du comique naisse une forme de tragique.

« il repose.

Le mensonge par exemple est typique de ce type d'expérience critique.

Un individu qui nous ment nous faitsortir de notre jeu habituel, et nous fait réfléchir quant à la possibilité d'être souvent trompé.

S'immisce ainsi uneparanoïa, une méfiance, et ainsi le devoir de jouer aussi le rôle du trompeur potentiel.

Derrière les rapportsinterhumains s'éclaire alors une prudence calculatrice, un soupçon permanent, qui donne à tout un chacun laconscience de la nécessité de jouer une pluralité de rôle, et de s'adapter à une pluralité de cadres pour le moins« équivoques » (cf.

Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne ). III.

Les masques de la « décadence » a. Les hommes tendent à créer eux-mêmes leur réalité, à construire leur adhésion à la vie.

Plusieurs facteurs peuvent les laisser choir dans des fausses personnalités, les rendre esclaves d'un jeu dont ils ne supportent pas lesrègles.

Aussi à rester longtemps dans un même schéma se tisse un rapport déviant à soi et à son entourage, uncadre biaisé à la base.

Tel est le destin tragique de maints individus qui persistent à l'encontre de leurs aspirationsles plus intimes, et se fourvoient, parfois une vie durant, sur ce qu'ils sont réellement, et sur ce vers quoi ilstendent.

On reconnaîtra ici le destin de Nora, femme qui décide, après avoir vécu son rôle de femme esclave d'unevie de couple bien arrangée, de fuir sa condition et de reprendre sa liberté ; en un mot, d'affirmer son individualité.Ce personnage féminin du dramaturge norvégien Henrik Ibsen (in La maison de poupée ) est l'incarnation d'un individualisme sortant (s'affirmant), de la nécessité quasi providentielle de s'extraire du joug de la communauté etdes lois de la collectivité.

Tout le drame ressort ainsi dans cette déchirure finale (le départ de Nora d'un cadrefamilial « parfait »), déchirure qui exprime infiniment bien, et encore actuellement, la difficulté d'émergence del'individu de communautés qui l'incarcèrent (cf.

difficulté d'émergence de l'individu musulman d'une communautémusulmane, au sein des Etats libéraux individualistes).

Voilà dès lors comment le « faire semblant », quand il prendconscience de sa condition, peut en arriver à une solution de type tragique (fuite, schizophrénie sociale, voiresuicide).

b.

Mais l'individualisme des Etats libéraux n'est pas toujours la belle ou héroïque émergence.

Il est bien plutôt le reflet d'une incapacité pour l'homme à se trouver parmi la dure concurrence des idées, des pratiques et despropriétés.

Chacun s'engage ainsi, comme par un pacte solennel avec soi-même, à se vendre en toute occasioncomme « produit de l'année », persuadé d'être l'heureux propriétaire d'une dignité ou valeur intrinsèque.

Aux yeux duphilosophe porteur du masque de la pudeur (tel Nietzsche ), il y a là une décadence fondamentale de l'individu.

Loin de vivre parmi des « esprits libres » (lire la préface à la 2 nde éd.

de Humain, trop humain ), chacun revêt le masque protéiforme de l'esclavage, masque comique au sens d'absurde, masque qui ne cache rien d'essentiel, puisqu'il sefond parfaitement avec ceux qui l'utilisent.

Ere de l'individu ou ère de la bouffonnerie (de l'« abêtissement grégaire »,cf.

Crépuscule des idoles , §38), la comédie de tout un chacun gaspille sans cesse une force improductive, une puissance d'agir qui s'éternise plus dans la prodigalité d'un humanisme mou que dans de l'action concrète nonpernicieuse.

Conclusion Depuis les stoïciens subsiste cette belle métaphore suivant laquelle « le monde est un théâtre ».

Epictète plus particulièrement assimilait la vie à une pièce de théâtre, où chacun est à soi-même public, acteur et scène.

Ainsi depuis l'Antiquité est répandue dans lalittérature l'idée d'une mise en scène de la personne humaine sous toutes sescoutures.

On indiquera Montaigne et ses Essais , qui ouvre le lecteur sur les humeurs de cet humaniste, humeurs caractéristiques d'une incessantetransformation de soi, de son « Je », de sa substance.

Montaigne se peint, ilpeint « le passage », et s'éprouve encore à travers le livre, l'écriture.

Onrejoint d'une certaine manière la littérature baroque, quand l'auteur, loind'adhérer au sérieux du classicisme ou à l'épanchement d'un caractèreuniforme, s'avoue ridicule, maladroit, « trop humain » peut-être pourreprendre la terminologie nietzschéenne.

Ainsi en est-il de Robert Burton qui déclare ceci : « Lecteur, tu ne peux pas avoir de moi une plus piètre idée quemoi-même.

Rien ici ne vaut la peine d'être lu, j'y consens, je te prie de ne pasperdre ton temps à te pencher sur un si vain sujet » ( Anatomie de la mélancolie , « Démocrite junior à son lecteur », 1621).

Nous sommes loin ici, devant tant d'adresse et d'amour pour la méditation personnelle, del'individualisme pathologique (égoïste, démocratique) qui s'évertue à paraîtredevant l'autre et devant soi, et qui en finit par penser, sans s'être écoutervraiment, qu'il détient quelque objet de considération.

Toute cette auto-affirmation qui qualifie l'homme démocratique signe l'ère du sujet « aliéné »,perdu dans une liberté qu'il ne comprend pas, ou qu'il instrumentalise au profitde sa seule et unique exaltation.

Terminons ainsi encore une fois avec un maître à penser, ou l'un des plus grands psychologues : « Comédie.

– Nous récoltons parfois amour et honneur pourdes actes ou des œuvres dont nous nous sommes depuis longtemps dépouillés comme d'une peau ; nous nouslaissons alors facilement induire à faire les comédiens de notre propre passé et à jeter une fois la vieille dépouille surnos épaules – et non pas seulement par vanité, mais aussi par bienveillance envers nos admirateurs » ( Humain, trop humain , § 393).. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles