Philosopher est-ce vain ?
Publié le 25/10/2010
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C'est une conviction moderne, remarque Valéry, que « tout savoir auquel ne correspond aucun pouvoir n'a qu'une importance conventionnelle et arbitraire «. Et il est vrai que la condamnation du savoir philosophique repose sur ce principe qu'il n'offre ni la certitude de la science ni l'efficacité de la politique. C'est un savoir désintéressé. Comme Aristote le dit au livre Ier de la Métaphysique, « c'est l'étonnement qui pousse les hommes à philosopher « et cela signifie pour lui que la réflexion philosophique a sa fin en elle-même : « Nous n'avons en vue dans la Philosophie aucun intérêt étranger «.
«
tant poursuivre que créer ».
II.
DISCUSSION
— A — Esthétique et Philosophie. Il est bien vrai que toute philosophie est création d'une œuvre et peut-être faut-il dire que dans cette création le philosophe cherche avant tout ce que Gœthe appelle une délivrance.
L'homme n'estpas fait pour vivre simplement.
Ce qu'il y a de laideur dans le monde et d'absurdité dans l'existence, il ne peutl'accepter.
Et de même que l'artiste engendre la beauté, de même le philosophe apporte au monde les raisons et lesens que le monde n'a pas en lui-même.
La philosophie, comme l'art, est bien une évasion.
Toutefois la situation duphilosophe reste fort différente de celle de l'artiste car le monde dont il s'évade n'est pas le monde réel, mais unmonde imaginaire que suscitent et peuplent nos passions.
« Dans le fond, dit Alain, le métier de penser est une luttecontre les séductions et les apparences.
Toute la philosophie se définit par là finalement.
Il s'agit de se délivrer d'ununivers merveilleux qui accable comme un rêve...
» C'est moins la beauté du spectacle qui importe au philosopheque la clarté du regard.
Le plaisir philosophique, si Ton peut ainsi parler, se distingue du plaisir esthétique par ceci :qu'il dépend moins de la nature de l'objet que de l'attitude du sujet.
La construction d'un système est une exigencede la raison mais le philosophe est aussi l'homme de l'entendement dont l'exigence et la joie sont de voir les chosescomme elles sont.
« Voir clair en mes actions,...
» disait Descartes.
Ce que vise le philosophe, ce n'est passeulement la beauté, c'est aussi et surtout la lucidité.
Ce que nous apporte la philosophie, ce ne sont pas seulementde belles œuvres, « ces étonnantes constructions » dont parle Valéry ; c'est aussi ce monde des idées à traverslequel nous saisissons mieux le monde des choses et des êtres.
Si Platon veut que l'on conduise le prisonnier hors dela caverne, ce n'est point seulement pour lui faire connaître la beauté du monde intelligible, c'est pour lui fairedécouvrir la vérité des ombres de ce monde sensible où il doit reprendre sa place.
— B — Politique et Philosophie. Ce n'est pas par hasard que les préoccupations politiques reviennent toujours dans Platon.
Les vrais problèmes sont toujours ceux que pose la conduite de l'homme, tant publique que privée.
Lapolitique et la morale demeurent la fin de toute philosophie.
Certes Alain a raison : « La philosophie n'est pas plusune politique qu'elle n'est une agriculture », mais les spéculations métaphysiques, les considérations psychologiques,l'étude de la logique n'ont de sens et d'intérêt que dans la mesure où elles permettent à l'homme de vivre mieux,c'est-à-dire d'atteindre la sagesse.
« On appelle réflexion, dit encore Alain, ce mouvement critique, qui de toutes lesconnaissances revient toujours à celui qui les forme en vue de le rendre plus sage ».
Réfléchir, ce n'est pas se livrerà de vains jeux de la pensée, c'est essayer de se mieux connaître afin de se mieux conduire.
Comment pourrait-onen effet séparer la politique et la morale d'une conception de la nature et de la destinée humaines qui peut seulenous faire déterminer la place et le rôle de l'homme dans le monde ? Ce qui est vrai, c'est que les solutions duphilosophe sont fort différentes de celles du politique.
Ce sont des solutions individuelles et peut-être n'y a-t-il,comme le disait Giono un jour, que des solutions individuelles.
Les vrais problèmes sont toujours de soi à soi, il fautque chacun les résolve pour son propre compte, et c'est à quoi nous aide la philosophie.
L'homme politique rêve derésoudre des problèmes pour les autres et ce n'est qu'un rêve ; chacun ne peut compter que sur soi.
L'ordre socialet les institutions politiques ne peuvent laisser l'homme indifférent, mais elles ne répondent pas aux questionsessentielles qu'il se pose.
Tyrannie ou démocratie, libéralisme économique ou marxisme, il faut choisir sans doute,mais ce choix pour être valable suppose des vues précises sur la condition humaine qui est finalement l'objet proprede la réflexion philosophique.
La philosophie n'est pas une politique, mais elle est l'âme de toute politique.
— C — Science et Philosophie. D'ailleurs quand on reproche à la philosophie son manque d'efficacité, ce n'est pas sans quelque confusion.
La notion d'efficacité suppose, en effet, quelque fin à atteindre et il n'y a d'autre sciencedes fins que la philosophie elle-même.
L'activité sociale est justiciable, comme toute activité, du philosophe.
Lemonde a connu des solutions politiques dont l'efficacité n'était pas douteuse, lorsque Hitler, par exemple, avaitentrepris l'extermination systématique de tous ses adversaires.
Mais on voit bien ici que l'efficacité ne suffit pas.
Onpeut faire la même remarque au sujet de la science : elle nous fait connaître des vérités, mais dire en quoi consistela vérité, c'est la tâche du philosophe.
Le problème de la valeur de la science, ce n'est pas la science qui le résout.D'autre part, comme le remarquait Auguste Comte, « l'étude scientifique est moralement dangereuse quand on n'yvoit pas un simple moyen et qu'on veut l'ériger en but ».
La subordination de toutes les sciences à la sociologie dansla « synthèse subjective » signifie bien que la connaissance de la vérité ne saurait être pour l'homme une fin.
Il estévident qu'il y a un bon et un mauvais usage de la vérité, par exemple des connaissances vraies concernant l'atome,et c'est pourquoi Platon mettait l'idée du Bien au-delà de la vérité.
Or la connaissance du Bien relève de la seulephilosophie.
C'est que la science est impuissante à résoudre les problèmes fondamentaux de l'homme : que Dieuexiste, que l'âme soit immortelle, et que l'homme soit libre, ce n'est pas une question de savoir mais de foi.
En cesens la « foi philosophique », dont parle Jaspers, est essentielle à l'homme.
Chacun fait de la philosophie à lamanière dont M.
Jourdain faisait de la prose.
Le philosophe authentique est précisément celui qui ne se contente pasde prendre parti sur les questions essentielles sans y avoir suffisamment réfléchi, et c'est pourquoi le « connais-toitoi-même » de Socrate reste le dernier mot de la philosophie.
Il s'agit toujours de savoir ce que l'on dit et de savoirce que l'on veut.
Prendre une conscience exacte de sa condition et de sa destinée, c'est l'ambition même, et lajustification du philosophe.
Tout philosophe pourrait dire, comme Montaigne : « Mon métier et mon art, c'est vivre ».
CONCLUSION
Ainsi aucun des griefs que l'on a coutume d'opposer à la philosophie ne nous paraît décisif.
A côté de la politique, dela science et de l'art, et nous dirions volontiers au-dessus, la philosophie conserve sa place.
Il est possible que l'onnaisse philosophe comme le prétend Valéry, mais ce n'est certainement pas de la manière dont on naît sculpteur oumusicien.
Il y a dans la vocation philosophique cette exigence d'une condition humaine pleinement assumée qu'on ne.
»
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