Philosophie de la passion
Publié le 28/03/2015
                            
                        
Extrait du document
                                Si nous suivons les conclusions précédentes, issues de l'analyse des grands dialogues spéculatifs de Platon, nous pouvons nous contenter de la conséquence où elles nous conduisent pour l'essence de la passion, comme éventuellement coextensive de l'essence de l'humain : nous sommes voués à la passion pour autant que notre existence comporte une part de contingence, qu'il reste alors à déterminer.
Et Platon s'en était inquiété dès le premier grand dialogue de sa maturité, dans un passage où il s'agit précisément d'évaluer la précision de la définition de la mort comme séparation.
Or ne peut être séparé que ce qui était essentiellement séparable et il s'agit alors d'examiner si l'âme peut subir une telle séparation, ou si elle n'est pas assez homogène pour ne pas être, et pour cette seule raison, immortelle.
Et à propos de quoi redouter que cela en pâtisse [dedienai mè pathè auto], et pour quelle sorte d'être?
La passion doit donc avoir une condition dans l'être même de ce qui peut pâtir (le passible, cf. «Le paradoxe de la passion«, p. 7) : n'est passible que ce qui peut à son tour être scindé en un sentant et un senti.
Et si tout le pâtir affectait le passible, celui-ci disparaîtrait dans la passion qui ne pourrait donc plus être perçue comme telle.
La passion suppose donc de l'impassible dans ce qui pâtit, pour une raison analogue à celle qui veut que tout ne soit pas en mouvement, pour être en mesure de percevoir le mobile sur son fond d'immobilité.
Mais si la passion s'identifie à la sensation, nul ne pourra rien dire : il faut donc supposer, pour que la philosophie puisse introduire sa rationalité universalisante dans ce qui semble voué à la contingence, qu'il subsiste quelque chose d'invariant au fond de la passion, et que ce soit précisément cela pourtant que la passion affecte, mais alors seulement selon une modification provisoire.
Et c'est l'un des aspects du génie d'Aristote de nous avoir fourni un élément décisif pour une rationalisation du pâtir en imaginant que ce qui est l'essence sur le versant du connaître doit être compris comme substance sur te versant de l'être.
De plus, la séparation des deux versants réside dans le faîte du dire : on peut faire être seulement en disant, et connaître s'identifie à dire l'être comme il est.
Mais Aristote s'efforce de sortir de l'immobilité de l'Etre en pluralisant son dire, car c'est l'un de ses principes fondamentaux que celui qui énonce que : «L'Etre proprement dit s'entend en plusieurs façons« (Métaphysique, Livre E, chapitre 2, 1026 a 32).
Nous disposons ainsi de toutes les conditions pour pouvoir bien entendre la première définition de la passion énoncée dans te cadre de la métaphysique.
Mais pour en saisir la portée, nous devons repérer de suite la nature du déplacement opéré par Aristote en regard de l'entente usuelle de la doxa.
Aristote se croit alors fondé à discerner autant de manières d'être qu'il y a de façons de le dire, ce qui a pu conduire certains critiques à soutenir que la philosophie, dès lors fictivement universelle, avait en vérité la structure, nécessairement particulière, de la langue grecque.
                                «
                                                                                                                            Philosophie 	de 	la 	passion 	
on n'objectera  pas que 	la science  nous expose  en vérité  ce qu'il  en 	est 	
de notre  appareil  sensoriel:  à l'examen  de ses  résultats,  elle s'enquiert 
plutôt  de notre  capacité  de sentir,  c'est-à-dire  de notre 	
sensibilité 	et 	
non  pas du senti, 	ni 	même 	de 	la 	maintenance 	du 	sentir, 	le 	ressentir.
                                                            
                                                                                
                                                                    
L'essence  de 	
la 	passion, elle-même  éventuelle essence de l'homme,  ne 
peut  donc  résider  dans 	
le 	pâtir de 	la 	sensation,  car celle-ci  semble 
échapper  à 	
toute 	logique de l'essence.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Mais 	cette 	impossibilité  ne ferme 
pas  pour 	
autant 	tout 	accès  à notre  hypothèse  préliminaire  : 	la 	passion 
peut  bien 	
être 	un 	rapport  génériquement  humain à une  propriété  uni
verselle  du vivant  sensible, 	
si ce rapport 	est 	étayé 	sur 	la sensation, 	tout 	
en 	la 	transformant  dans 	le 	sens que dégagent  les descriptions  de 	la 	
passion.
                                                            
                                                                                
                                                                    Car Racine,  Stendhal  ou 	Proust, 	pour ne mentionner  qu'eux, 
ne  peuvent  faire 	
le tableau 	d'une passion  que parce  qu'ils savent  déjà 
à  quoi 	
ils 	ont 	affaire.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Il y  a  donc  une question  préjudicielle,  que 	la 	
philosophie 	est 	la 	mieux 	apte 	à élaborer,  pour 	autant 	qu'elle 	est 	en 
permanence  dans 	
le 	souci des commencements.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
En 	effet,  pour ne pas 	être 	dupes  de ce qui 	n'est 	peut-être 	rien  de plus 
qu'une  commodité  culturelle, 	
la 	passion doit 	être 	déterminée  dans sa 
forme  originaire, 	
et 	pour préciser 	la pertinence  de 	cette 	question, nous 
pouvons  nous confronter  à une  remarque  prêtée par 
Platon 	à Socrate, 	
et 	cela parce  qu'elle 	se 	formule  précisément 	comme 	une 	enquête 	sur 
les 	
commencements 	: « Car 	elle  est tout 	à fait  d'un  philosophe,  cette 
passion  [pathos],je  veux dire:  s'étonner.
                                                            
                                                                        
                                                                    	
En 	effet 	la philosophie  n'a pas 
d'autre  principe  que cela, 	
et 	à ce qu'il  semble,  celui qui a dit  qu'lris, 	la 	
messagère  des dieux, 	est 	un rejeton 	de 	Thaumas,  l'étonnement,  n'était 
pas  mauvais  en généalogie 	
» (Théétète, 	155 	d).
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Si 	être 	philosophe 	n'est 	rien 	d'autre 	qu'être 	pleinement 	et 	seulement 
humain, 	
et 	si le philosophe  ne cesse de  s'étonner,  l'essence de l'homme 
réside-t-elle  dans 
cette 	passion de 	l'étonnement? 	Et 	du reste,  de quoi 	
s'étonne 	au 	juste 	quiconque 	est 	frappé 	d'étonnement? 	
L'essence 	de 	la 	passion 	comme 	disponibilité 	à 	
l'Etre 
Un 	seul  point  nous 	est 	pour l'instant  acquis : l'humain  partage avec les 
autres  vivants  un des  signes  de 	
la 	vie, à savoir 	la 	sensibilité.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Mais 	la 	
logique  de l'essence 	est 	différentielle 	et 	dès  lors,  déterminer  l'essence 
de  l'humain  ne peut  se limiter  à ce  qu'il  a de  commun, 	
et 	implique 
d'énoncer  ce qu'il  possède  en propre.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Si 	la 	passion  doit 	être 	le 	rapport 
générique  que les humains  construisent  sur 	
la 	base de leur  sensibilité, 
l'humanité  doit avoir  imaginé  une manière  propre d'être affecté.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Cependant, 	
il n'est  pas nécessaire  d'aller aussitôt  chercher 	très 	loin ce 
qu'il  en 	
est: 	avec 	la capacité  propre au philosophique  de 	s'attarder 	sur 
les  commencements,  on peut  d'ores 	
et 	déjà s'interroger  sur 	le lien ainsi 	
-	63 	-.
                                                                                                                    »
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