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Platon: Gygès le berger.

Publié le 30/04/2005

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platon
... Gygès le Lydien était un berger au service du prince qui régnait jadis en Lydie. Un jour, à la suite d'un violent orage, la terre se fendit et un gouffre se creusa sur les lieux de son pacage. Stupéfait, Gygès y descendit et entre autres merveilles, que les mythes racontent, il vit un cheval de bronze, creux, avec des fenêtres par lesquelles il aperçut un cadavre d'une taille plus grande qu'un homme, qui ne portait sur lui qu'une bague d'or. Gygès s'en empara et remonta à la surface. Chaque mois les bergers tenaient une assemblée pour faire un rapport au roi sur l'état de ses troupeaux. Gygès se rendit à cette réunion portant cette bague au doigt. S'étant assis au milieu des autres il lui arriva par hasard de tourner le chaton de la bague à l'intérieur de sa main. Aussitôt il devint invisible pour ses voisins qui parlèrent de lui comme s'il était parti. Surpris il recommença de manier la bague avec précaution, tourna le chaton en dehors, et l'ayant fait, redevint visible. Ayant pris conscience de ce prodige, il répéta l'expérience pour vérifier si la bague avait bien ce pouvoir; le même effet se reproduisit : en tournant le chaton à l'intérieur il devenait invisible, en le tournant à l'extérieur visible. Dès qu'il fut assuré que l'effet était infaillible il s'arrangea pour faire partie de la délégation qui se rendait auprès du roi. Arrivé au palais il séduisit la reine, s'assura de sa complicité, tua le roi et prit le pouvoir. Si donc il existait deux bagues de ce genre, que le juste se passe l'une au doigt, l'injuste l'autre, personne peut on penser, n'aurait une âme de diamant assez pur pour persévérer dans la justice, pour avoir le courage de ne pas toucher au bien d'autrui alors qu'il pourrait voler comme il voudrait au marché, entrer dans les maisons pour s'unir à qui lui plairait, tuer ou libérer n'importe qui bref tout faire, devenu l'égal d'un dieu parmi les hommes... Platon
platon

« le merveilleux et préparés à accepter le dernier prodige : cette bague a le pouvoir de rendre invisible celui qui laporte.

Notez le clin d'oeil de Platon : « entre autres merveilles que les mythes racontent ».

Platon s'amuse àmultiplier les détails fabuleux ; l'imagination se fait ici précise et féconde.

Mais la beauté, la poésie étrange dumythe sont au service du vrai; le mythe est un message métaphysique — l'art mythique est toujours chez Platonsecond par rapport à la philosophie.

Le mythe est un procédé pédagogique dont le caractère paradoxal ne doit pasvous échapper.

Car enfin la philosophie de Platon est pour l'essentiel un dualisme qui nous invite à rejeter le mondedes images, illusions fugitives, au profit de la vérité éternelle des idées pures.

Et voici que Platon veut traduire dansune sorte de récit poétique légendaire, c'est-à-dire dans un langage d'images, une vérité philosophique étrangère aumonde sensible.

Le monde des idées éternelles, étranger aux images, est suggéré par un monde d'images!L'aventure de Gygès est ici, notez-le, plus ou moins annoncée comme une fable.

Ce n'est pas toujours le cas dansles mythes platoniciens.

Dans les mythes escatologiques, ceux qui parlent de la vie future et de l'enfer, Platonsemble parfois convaincu par le récit.

Il faudrait appliquer aux mythes platoniciens la méthode des « genreslittéraires » qui s'est révélée si féconde dans l'exégèse biblique.

Tantôt le mythe platonicien est proche de lacroyance, la philosophie se « ressource » dans la tradition religieuse, tantôt le mythe n'est que procédépédagogique.

C'est ici le cas, le mythe a pour mission d'illustrer une hypothèse éthique : celle du problème moralposé par l'homme invisible.« ...

Surpris, il recommença de manier la bague avec précaution, tourna le chaton en dehors et l'ayant fait redevintvisible.

Ayant pris conscience de ce prodige il répéta l'expérience pour vérifier si la bague avait bien cepouvoir...

Dès qu'il fut assuré que l'effet était infaillible il s'arrangea pour faire partie de la délégation...

» II faut iciremarquer que toutes les précautions, toutes les hésitations de Gygès concernent exclusivement la technique dumaniement de l'anneau : Tournez le chaton en dedans, on devient invisible, en dehors, on redevient visible.

Gygèsne s'en tient pas à l'expérience fortuite qu'il fait au début de l'assemblée des bergers.

Il répète l'expérience « pourvérifier si la bague avait bien ce pouvoir ».

Gygès est prudent et avisé.

Il fait plusieurs essais afin de s'assurer deson nouveau pouvoir...

Mais dès qu'il est assuré, il fonce au palais, séduit la reine et tue le roi; ici pas d'hésitations,pas de scrupules.

Quel contraste entre sa patience, ses multiples essais pour vérifier son pouvoir, et sadétermination subite — sans aucune délibération — pour se livrer aux actions injustes! Il ne délibère que sur lesmoyens, mais il se convertit en un instant aux fins de l'injustice! « Gygès, commente Alain, n'était point méchanthomme.

Il faisait son métier de berger comme on le fait, mais c'est qu'il ne pouvait pas faire autrement, c'est qu'il nevoyait pas le moyen de faire autrement.

» Dès que le moyen de faire autrement s'offre à lui, avec l'assurance del'impunité totale, cet « honnête homme » se jette dans le crime.

« ...

Si donc il existait deux bagues de ce genre, que le juste se passe l'une au doigt, l'injuste l'autre, personnen'aurait une âme de diamant assez pur pour persévérer dans la justice...

»Voilà donc la conclusion apparente du mythe.

Le juste ne serait plus juste si devenant invisible il pouvaitimpunément se livrer à l'injustice...

En fait ce n'est pas tout à fait une conclusion car Glaucon nous l'a dit, il ne serange pas au parti de Thrasymaque.

C'est plutôt une question que Glaucon pose à Socrate, c'est une invitation àradicaliser le problème de la vertu de justice, une invitation à poser ce problème au niveau de l'essence de lajustice.

Dans la vie concrète des hommes, en effet, tout est ambigu.

Le juste, dans une société policée gagnesouvent quelques honneurs et bénéficie de la protection des lois, l'injuste est quelquefois sévèrement puni.

Ce qu'ilfaut pour juger de ce problème en philosophe, c'est connaître en leur pure essence la justice et l'injustice, «leurnature et quel est le pouvoir propre de chacune, prise en elle-même, dans l'âme où elle réside, sans tenir comptedes récompenses qu'elles procurent et de leurs conséquences ».

Supposons, dit Glaucon un homme injuste qui soitparfait en son genre, aussi hypocrite que méchant et qui, tel Gygès, puisse dissimuler les oeuvres de son injusticedonc jouir malgré son injustice de tous les avantages d'une bonne réputation.

Et maintenant imaginons un hommejustequi sans rien faire de mal ait une réputation d'injustice (ce qui est royal disait Empédocle c'est de bien agir et d'avoirmauvaise réputation, Basilikon eu prattein Kakôs d'akouein), qui pour le prix de ses vertus parfaites ne récolte quel'ingratitude et soit puni de mort par ses concitoyens.

Voilà l'injustice et la justice toutes pures, réduites à leurpropre essence et offertes à notre choix : « Oh, cher Glaucon dit Socrate avec quelle force tu nettoies comme desstatues ces deux hommes pour les soumettre à notre jugement! » II ne s'agit plus ici d'opérer une réductionpsychologique de la valeur de justice, en cherchant toutes les motivations intéressées qu'on peut avoir d'être juste,comme les moralistes anglais du XIXe siècle qui tenteront de fonder la morale sur l'intérêt.

II s'agit au contraired'entreprendre pour employer un terme actuel, husserlien, une réduction eidétique de la valeur de justice c'est-à-dire de la réduire à sa propre essence, de la purifier de tous les éléments empiriques, extérieurs à son essence quidans la pratique concrète l'accompagnent.

Ce que Glaucon demande à Socrate c'est de justifier la vertu de justiceen elle-même et par elle-même, dans la pureté de son essence.

La justice n'est une valeur que si elle vautabsolument quelles que soient ses conséquences, et même si l'on doit comme fera Socrate accepter de mourir pourelle.

C'est donc le problème des valeurs qui est ici posé et soigneusement dépouillé de tous les accessoiresempiriques qui ne peuvent que le fausser. (Conclusion) L'intérêt de ce texte est donc double.

Il pose le problème du mythe platonicien.

Il montre d'autre part commentPlaton pose le problème de la justice et par là discrédite fort bien par avance toutes les approches empiriques duproblème moral (comme l'approche anglaise du XIXe siècle qui prétend fonder la morale sur ce qui n'est pas moral).L'appel au mythe a ici un rôle très évident.

C'est le mythe qui permet à Platon de radicaliser le problème de la valeuréthique.

Le mythe de Gygès, l'homme invisible (qui peut faire tout ce qui lui plaît sans aucun risque), est trèsexactement l'équivalent de ce que nous appelons une « réduction eidétique ».

En effet l'essence (eidos). »

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