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PLATON : Quelle est la meilleure vie ?

Publié le 22/02/2012

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SOCRATE. — En effet, c'est en vue des biens qu'il faut tout faire — c'était notre opinion, à Polos et à moi-même, te rappelles-tu? Es-tu d'accord, toi aussi, pour dire avec nous que le bien est la fin de toute action, et que c'est en vue du bien que tout le reste doit être fait, au lieu de faire le bien en vue du reste. Donne ton suffrage, comme cela tu seras le troisième à être d'accord! CALLICLÈS. — Oui, je suis d'accord. SOCRATE. — Tout le reste, les choses agréables surtout, est donc à faire en vue des biens, au lieu de faire le bien en vue des choses agréables. CALLICLÈS. — Oui, tout à fait. SOCRATE. — Toutefois, n'importe quel homme est-il à même de sélectionner, dans les choses agréables, celles qui sont bonnes et celles qui sont mauvaises? N'a-t-on pas besoin, à chaque fois, d'un expert? CALLICLÈS. — Oui, il faut un expert. SOCRATE. — Donc, remémorons-nous encore une fois ce que j'ai pu dire à Polos et à Gorgias. Je disais, si tu te souviens bien, qu'il y a certaines pratiques qui veulent atteindre le plaisir et ne s'occupent que de cela, dans une ignorance totale de ce qui est mieux ou plus mauvais, mais qu'il en existe d'autres qui, elles, connaissent le bien et le mal. Ainsi, dans le groupe des pratiques qui visent au plaisir, je rangeais la cuisine, car c'est un savoir-faire, mais ce n'est pas un art; en revanche, je mettais la médecine avec les disciplines qui s'occupent du bien. Eh bien, au nom du dieu de l'amitié, Calliclès, ne crois pas que tu aies le droit de t'amuser à mes dépens, et ne réponds pas au hasard, en disant n'importe quoi de contraire aux opinions que tu as! Ne prends pas non plus tout ce que je dis comme si je ne pensais qu'à m'amuser! En effet, ne vois-tu pas que le sujet dont nous sommes en train de discuter est justement la question qu'un homme, aussi peu de raison ait-il, devrait prendre le plus au sérieux? Quel genre de vie faut-il avoir? Est-ce la vie à laquelle tu m'engages? Une vie d'homme, qui traite des affaires d'homme, qui sait parler au peuple, qui pratique la rhétorique et fait de la politique comme vous, vous en faites maintenant? Ou bien, est-ce une vie passée à faire de la philosophie? Et enfin, en quoi l'une de ces vies l'emporte-t-elle sur l'autre? Peut-être le mieux à faire est-il de bien distinguer ces deux genres de vies — par exemple, je viens juste de commencer à les définir. Quand nous nous serons mis d'accord pour les distinguer l'une de l'autre, s'il s'agit vraiment de deux vies différentes, nous rechercherons ce qui les distingue et laquelle des deux vies il faut vivre. Gorgias, 499e-500d. Traduction M. Canto, Paris, Éditions Flammarion, 1987.
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« évidemment, avec le sens et la valeur de la vie. Exigence d'un accord sur des principes et des définitions, conquis par la vertu du dialogue; accord à étendre de proche en proche (Es-tu d'accord, toi aussi, pour dire avec nous...), accord à généraliser : le vrai doit êtrele bien de tous. a. Exigence d'une compétence : il faut un expert; disposer, autrement dit, des moyens du jugement, savoir définir les critères, savoir en user, s'il s'agit de décider, à chaque fois, entre ce qui est bien et ce qui est mal; compétence du philosophe, justement, ayant d'autres exigences que le rhéteur, et une autre science desprincipes. b. Par-delà la vertu du dialogue, il convient d'apprécier ici la vertu d'une méthode (où il faut entendre la vertu comme le droit et la force réunis) : c'est bien elle qui spécifie la philosophie dans le genre du logos et dans le genre de vie.

Souci de toujours re-définir, de toujours re-mémorer les acquis, les étapes et les moments décisifs; souci (lui-même distinctif de la philosophie) de toujours distinguer (les genres entre eux, les espècesdans le genre), pour identifier et hiérarchiser (pour choisir en connaissance de cause).

Souci théorique dont lasignification pratique, indissociable éclate, quand il porte sur les pratiques elles-mêmes (qu'est-ce qui est art,qu'est-ce qui n'est que savoir-faire?) Il faudrait, pour prendre toute la mesure de cette méthode, retrouver tous les passages du dialogue quiéclairent le sens de la relation cuisine/médecine; on verrait comment Platon transfère en philosophie (ce qui,dans « la » philosophie, spécifie la méthode platonicienne...) la rationalité de l'analogie qui opère avec tant de rigueur et de fécondité en mathématique (un quatrième terme peut être trouvé à partir de trois autres connus;la philosophie est à la rhétorique ce que la médecine est à la cuisine, ou la philosophie est à la médecine ceque la rhétorique est à la cuisine — de même que 12 est à 9 ce que 4 est à 3, etc.).

Mais à partir de là seposerait, dans toute l'histoire de la philosophie, la question de ses rapports à la mathématique (cette sciencedont l'objet est proprement idéal, et dont les vérités paraissent être éternelles...). 4.

On ne saurait négliger, pour autant, le « fond » de la question qui fait la gravité de notre texte.

La grandeaffaire, qu'on agisse en cuisinier, en médecin, en rhéteur, en politique ou en philosophe, c'est de connaître leBien : plus concrètement que jamais s'actualise ici, dans le champ des pratiques humaines, le principe du meilleur.

L'important est de ne pas confondre l'Idée du Bien (la « clef de voûte » du système des Idées, chez Platon), qui dans l'action bonne ou juste ne saurait en aucun cas être relativisée comme moyen (« faire le bienen vue du reste »), avec ses apparences sensibles (l'agréable, le plaisir)4.

Subordonner l'action à de telles fins,nécessairement transitoires, subjectives et particulières, qui pis est : intrinsèquement équivoques (l'agréablecomme tel peut être bon et mauvais : le plaisir de boire est en même temps la souffrance d'avoir soif), quandelles ne sont pas tout simplement risibles, voire obscènes (se gratter tout le temps et partout, est-ce là lebonheur de la vie? demande Socrate), c'est ignorer l'intemporalité, l'objectivité, l'universalité, l'univocité etl'unité du Bien en soi; et cela ne permet pas de distinguer l'homme bon de l'homme méchant. Les pratiques qui visent la satisfaction d'un désir (le plaisir de « bien » manger, ou de séduire, ou dedominer) sont liées à l'arbitraire des passions et exposées à l'équivoque du résultat.

A l'inverse, lesactions bonnes (morales) sont les actions désintéressées qui ne comportent en elles aucun contraire,puisqu'elles ne supposent la visée du Bien comme but qu'autant qu'elles reposent sur sa connaissancecomme critère.

La philosophie selon Platon est précisément la méthode qui permet de s'assurer ce savoiret de s'appliquer à cette fin.

Mais ce n'est pas tout : la morale implicite du texte qui nous occupe, del'opposition de la philosophie et de la rhétorique, est que la philosophie pourrait bien être une autre politique, meilleure à tous égards.

Il ne faut pas oublier que la fin la plus haute pour les Grecs (Aristote le répétera après Platon), c'est de bien vivre : mais cela n'est possible et ne vaut que dans le cadre de la communauté politique. Sous ce rapport, connaître le Bien comme Un (la cause de toutes choses), c'est la meilleure façon pour chaque individu (a fortiori pour tout gouvernant) de vivre (ou de « pratiquer ») le Tout de la polis (la Cité grecque). Par là s'explique à tout le moins que chez Platon, de la République au Politique, la science politique et la science du Bien ne fassent qu'un.. »

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