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Pourquoi les hommes parlent-ils plutôt que se taire ?

Publié le 10/03/2004

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Le troisième aspect du sujet serait plutôt lié à l'idée d'un dépassement du langage par d'autres moyens d'expression, notamment artistiques. Il serait alors  question des limites du langage, et le sujet posé témoignerait d'une certaine lassitude quant à l'inefficacité de l'expression langagière dans certains cas ou pour certains sujets. (comment traduire nos sentiments par des mots ? l'art est peut-être préférable à la parole). Références utiles : Molière, Les Précieuses ridicules. Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience. Textes à utiliser : Shakespeare, Hamlet, acte II, scène 2. « Polonius : Que lisez-vous, monseigneur? Hamlet : Des mots, des mots, des mots. Polonius : Et rien qui les unisse, monseigneur ?

Deux termes importants : parler, se taire. La question « pourquoi ? «, quant à elle, demande de chercher une cause, une raison. Parler, c’est user d’un langage articulé dans un but de communication avec l’autre. Cette capacité à user d’un langage articulé est l’une des choses qui distinguent l’homme de l’animal. Se taire, c’est ne pas parler, c’est ne pas user du langage qu’est la parole. Pourtant, l’idée de « se taire « suppose la capacité de parler par ailleurs : on ne dira pas d’un singe qu’il se tait sous prétexte qu’il ne prononce jamais de mots. Ainsi, « se taire « semble être également une notion qui ne s’applique qu’à l’humain. Ce sujet alors ne demande pas pourquoi les hommes parlent en général, pourquoi ils possèdent et utilisent un langage articulé pour communiquer entre eux. La question posée est plus précise : il s’agira de dire pourquoi les hommes parlent alors qu’ils auraient la possibilité de se taire, peut-être pour communiquer par d’autres moyens que la parole. On peut alors donner trois directions différentes au sujet. La première concerne la richesse du langage pour l’homme, qui justifie qu’il en fasse un usage important. La seconde serait : pourquoi les hommes parlent-ils autant, pourquoi sont-ils si bavards ?  Il faudrait distinguer plusieurs usages de la parole, un usage utile (la parole comme communication efficace d’idées, comme productrice de pensée), et un usage plus vain (la parole comme passe-temps – on pourrait interroger les notions de « conversation «, de « bavardage «). Le sujet viserait principalement ce deuxième aspect. Le troisième aspect du sujet serait plutôt lié à l’idée d’un dépassement du langage par d’autres moyens d’expression, notamment artistiques. Il serait alors  question des limites du langage, et le sujet posé témoignerait d’une certaine lassitude quant à l’inefficacité de l’expression langagière dans certains cas ou pour certains sujets. (comment traduire nos sentiments par des mots ? l’art est peut-être préférable à la parole).

« Il faut déjà se concentrer dans un premier temps sur l'idée même que véhicule le fait de se taire.

Se taire, ce n'estpas un néant de langage, mais ce n'est pas non plus une privation: rien n'est absent, rien n'est retiré, maisseulement volontairement retenu, raturé.

La faculté, bien qu'elle persiste malgré tout comme capacité dans lesilence, est mise en retrait.

Se taire, c'est avoir la possibilité de parler tout en laissant cette possibilité en margecomme pure possibilité.

C'est donc s'en tenir à la capacité de , sans actualiser cette faculté: je suis reconnu pour ce pouvoir sans pour autant l'exercer.

Mais pourquoi cette retenue? La parole représente-t-elle un danger pour s'enprémunir de la sorte? Ici, nous ne serions donc pas bâillonné par un facteur extérieur: il ne s'agit pas du mutismecausé par une pathologie ou d'un empêchement, d'une contrainte qui scelle les lèvres d'un être par ailleurs parlant.Non, ici c'est la parole qui se prémunirait d'elle-même, du risque qui lui incombe.

Je ne parle pas parce que je sais ceque c'est que de parler et c'est pour cette raison que j'opère cette réserve.

En ce sens, cette inhibition de lafaculté de parler, cette auto-négation, peut être comprise en deux sens.

Un premier sens, intrinsèque et causalpourrions-nous dire: la parole est risquée, elle entraîne quelque chose de néfaste, elle dupe ou elle échoue en toutcas quant à ce qu'elle est supposée être.

Et qu'est-elle supposée être? Elle doit normalement faire référence aumonde, renvoyer à quelque chose de précis.

Parler, c'est en ce sens faire acte de référencialité.

Reste à savoir si laréférence échoue, ou encore si le signifié lui-même est tronqué.

En somme, est-ce la relation qu'instaure la parole,ou est-ce ce à quoi elle se rapporte qui est erroné? Un deuxième sens, extrinsèque cette fois-ci et conséquent: laparole serait alors ce qui suppose précisément une absence par sa présence.

Il y aurait quelque chose que la paroleempêche par sa simple présence, quelque chose qu'elle rend par ce biais irrémédiablement absent.

Se taire, c'est ence sens laisser éclore une présence, plutôt que de générer des interférences susceptible de l'éclipser.

Se taire, c'estfaire silence pour entendre enfin les bruits du monde.

Ainsi, si la parole échoue dans l'acte de référencialité, et parconséquent, si elle masque plus qu'elle ne révèle véritablement ce à quoi elle est censée renvoyer, pourquoi leshommes s'y appliquent-ils tout de même? Il y a de toute évidence quelque chose de gênant dans cetteinterrogation, puisque la parole est pour ainsi dire déterminante dans une définition ouverte et a minima de l'homme. L'homme est seul à parler, c'est la une capacité discriminante qu'il devrait, au terme de notre raisonnement présent,précisément raturé.

Mais n'est-ce pas alors prolonger le trait de la rature sur l'humain également, et le déclarermisérable? Lacan: la demandeI. Commençons donc par notre premier point, cet échec de la parole à faire référence.

Ce peut-il que la parole passepour ainsi dire à côté du signifié, de ce à quoi elle renvoie, ou même que ce geste de renvoi ne soit en lui-même etdéjà pas valide? Il nous faut ici nous concentrer un instant sur la psychanalyse lacanienne.

Dans le développementde l'enfant, la parole apparaît déjà comme « déphasée » pourrions-nous dire, soit comme ce qui passe proprement àcôté de ce qu'elle est supposée montrer.

Rappelons ici quelques éléments de la doctrine de Lacan pour mieux saisirle rapport propre que ce développement entretient avec notre sujet d'origine.

Dans les Ecrits , le psychanalyste nous rappelle que l'enfant, dans un premier temps, vit dans ce qu'il appelle le morcellement du corps .

En effet, l'enfant n'a pas dès le départ conscience de l'unité de son corps propre.

Il se vit précisément comme morcelé, fragmenté, cequi est de toute évidence générateur d'une certaine angoisse.

Il ne s'identifie pas comme ayant un moi doté d'unecertaine unicité: il ne semble pas par ailleurs se distinguer des autres, se prenant pour autrui, disant « avoir été battu » lorsqu'il bat, « pleurant » lorsqu'il voit tomber.

Il ne se distingue pas des autres, ne se saisit pas comme sujet, et de ce fait, voit son reflet dans le miroir comme la présence d'un autre pour ainsi dire.

Progressivement,dans cette évolution que Lacan nomme précisément le stade du miroir, l'enfant comprend que cet autre dans laglace n'est pas véritablement autre, mais bien une image, faisant ainsi la part entre ce qui relève d'elle et ce quirelève de la réalité.

Enfin, cet image il finit par se l'accaparer comme étant la sienne au terme d'un troisièmemouvement.

Ce stade du miroir est donc formateur pour ce que Lacan appelle la « fonction du je », puisque par ce processus d'identification, il remplit une fonction structurante par rapport à un corps vécu préalablement commemorcelé.

Tout à la fois, on comprend que l'émergence de la subjectivité (du sujet) est voué pour ainsi dire àl'aliénation dans la relation imaginaire (le je s'aliène dans l'image que renvoie le miroir, il s'identifie à elle, bien qu'il ne soit pas entièrement elle).

C'est ainsi que l'enfant quitte le stade du miroir pour entrer dans un nouveau stade quiest celui de l'œdipe. Ce dernier est encore un mouvement dialectique, entendons un mouvement ternaire thèse-antithèse-synthèse.

Cejeune sujet se trouve dans une relation privilégière avec sa mère, celle dont il est, dès le départ, le plus proche.

Ilne faut pas de méprendre sur le passage par oedipe: il ne s'agit jamais pour l'enfant de désirer la mère mais bien dedésirer le désir de la mère, ce qui est en tout point différent, et surtout du point de vue des conséquences.

Eneffet, ceci est une composante hégélienne: on en désire jamais l'autre, mais on désir qu'il nous désire, on désir sondésir justement.

L'enfant suit ce processus et s'identifie ainsi à l'objet du désir de la mère que Lacan appellesymboliquement le phallus (qui n'a pas forcément rapport avec le sexe du point de vue biologique).

L'enfant est ainsi inséré dans une problématique de l'être: être l'objet que désir la mère, ou en terme lacanien: « to be or not to be l'objet du désir de la mère ».

Ainsi, pour plaire à la mère, « il faut et il suffit d'être le phallus ».

On peut parler en ce sens d'une réification de l'enfant (du latin res , la chose, donc d'une chosification).

Mais le père apparaît bientôt comme frustrant l'enfant de sa mère, et comme privant la mère de cet objet phallique qu'est l'enfant.

L'enfant perçoit le père comme celui qui fixe sa loi au désir de la mère (ce que Lacan appelle la loi du père ).

Ainsi gêne-t-il et, tout à la fois, il est la clef de la relation de l'œdipe.

En effet, l'enfant va supposer que le père est précisémentcelui qui détient le phallus: « la liaison étroite de ce renvoi de la mère à une loi qui n'est pas la sienne, avec le fait que, dans la réalité, l'objet de son désir est possédé souverainement par ce même autre à la loi duquel ellerenvoie », force l'enfant à sortir de la problématique de l'être (être le phallus).

La fonction du père, comme l'appelle Lacan, pousse l'enfant à accepter qu'il n'est pas le phallus, et que tout à la fois il lui faut aller le chercher là où il. »

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