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Pourquoi l'homme n'est plus un être naturel dès lors qu'il est cultivé ?

Publié le 25/03/2009

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Pourquoi l'homme n'est plus un être naturel dès lors qu'il est cultivé ?

Un homme cultivé est, au sens restreint, celui qui dispose d'une formation et/ou d'un savoir relativement étendu dans un ou plusieurs domaines précis de connaissance : ainsi on dira de tel homme qu'il a une bonne culture musicale, mathématique, etc. Mais ce sens dissimule un sens beaucoup plus large du concept de "culture" : est cultivé l'homme qui appartient à une culture, comprise comme un système de valeurs, de savoirs, de savoir-faire, de comportements acquis et transmis socialement (et non génétiquement). La "culture" n'est donc pas qu'une affaire de connaissance, mais aussi et plus fondamentalement une question de mode de vie. La langue allemande fait cette distinction entre les deux sens de culture : la "Bildung" est la formation qu'acquiert un individu dans un domaine de connaissance, alors que la "Kultur" rejoint le sens large de culture, comme ensemble de savoirs, de gestes, d'habitudes transmis au sein d'un groupe d'individus.

Or justement, ce mode de vie, cette existence culturelle et cultivée de l'homme, ne supprime-t-elle pas ce que l'homme a de naturel, l'être naturel de l'homme? La culture introduirait ainsi une rupture entre l'homme et la "nature" : une rupture qui se ferait à la fois avec la nature "hors de nous" (la nature extérieure) et la nature "en nous" (notre nature, nos penchants, nos besoins naturels etc.).

Pourtant, les besoins naturels subsistent même dans la culture : l'homme "cultivé" ne cesse pas d'avoir besoin de se nourrir, de se reproduire ; l'homme ne devient pas, par la culture, un être "artificiel" (c'est pourquoi il nous semble important de distinguer entre l'artifice, la technique d'une part, et la culture d'autre part). De plus, les hommes cultivés continuent à naître, vivre, grandir, vieillir, mourir : le développement naturel de l'homme semble, du moins à première vue, laissé intact par la culture.

Il n'est donc pas si évident que l'homme ne soit plus un "être naturel" dès lors qu'il est cultivé, puisque la nature en un sens continue de s'exprimer en lui. Avant donc de se demander "pourquoi" l'homme "n'est plus" un être naturel dès lors qu'il est cultivé (ce qui suppose "acquis" et évident le fait que l'homme cesse d'être un être naturel lorsqu'il est cultivé), il faut se demander "en quoi" l'homme cesse d'être conçu comme un être naturel dès le moment où il est cultivé. Si les besoins naturels restent, alors quelle "nature" en l'homme disparaît à l'arrivée de la culture?

Le problème est alors le suivant : Avec quelle nature (en lui ou hors de lui) rompt l'homme par sa culture, ou encore par "la" culture (indépendamment des spécificités de chaque culture) ? Pourquoi l'homme ne pourrait-il pas être un "être naturel cultivé" ?

« Cependant, on peut objecter à ceci que certains animaux usent également d'outils ; ou encore que certainsanimaux « travaillent », eux aussi.

La corneille fait d'un fin bout de bois un instrument pour atteindre le fond d'untrou où elle trouve de la nourriture ; les fourmis « cultivent » des pucerons ; l'abeille fabrique du miel.

Et pourtant,aucun de ces animaux ne semblent cesser pour autant d'être un être naturel.

Alors qu'est-ce qui fait la singularitéde l'homme ? Marx, au chapitre 5 du Capital , explicite cette différence essentielle qu'il y a entre le comportement de ces animaux et celui de l'homme : c'est que l'homme, avant de transformer les choses par son action, élabore unprojet, un plan de cette transformation.

Le travail qu'il fait ensuite n'est donc pas l'œuvre de son instinct, maisl'œuvre d'un plan préconçu : je travaille la terre pour produire telle chose ; je modifie telle matière pour en obtenir,par exemple, de la toile.

Ce n'est pas la nature qui donne au travail humain son but, mais c'est l'homme lui-même quilui donne son but.

« Une araignée accomplit des opérations qui s'apparentent à celle du tisserand, et une abeille enremontre à maint architecte humain dans la construction de ses cellules.

Mais ce qui distingue d'emblée le plusmauvais architecte de la meilleure abeille, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans lacire.

Le résultat auquel aboutit le procès de travail était déjà au commencement dans l'imagination du travailleur,existait donc déjà en idée.

Non pas qu'il effectue simplement une modification dans la forme de la réalité naturelle :il y réalise en même temps son propre but, qu'il connaît, qui détermine comme une loi la modalité de son action ».L'homme, lorsqu'il travaille, cultive, utilise un outil, n'obéit pas/plus à une loi naturelle : il obéit à la loi qu'il s'estdonnée lui-même.

De plus, les produits de son travail, de sa culture, s'affranchissent du simple besoin naturel : onproduit pour vendre ; cad non plus parce qu'on en a un besoin, ou parce qu'on en a l'usage, mais parce que notreproduit aura une « valeur d'échange ».

Le produit de ma culture ou de mon travail, je peux l'échanger contred'autres produits.La culture rompt donc le lien immédiat entre l'homme et la nature, en y introduisant des intermédiaires comme letravail, l'outil, l'échange, la propriété.

Elle n'affranchit certes pas l'homme de tous ses besoins naturels, mais ellepermet la satisfaction de ces besoins par d'autres moyens.

La culture est la satisfaction des besoins naturels pard'autres moyens (le repas, la cuisine en sont l'exemple : culturellement déterminés, ils permettent de satisfaire lebesoin de se nourrir, mais de façon très différente de celle qu'on dirait naturelle).

Par la culture, l'homme transformela nature, agit sur elle, lui impose ses lois, alors que c'était la nature qui imposait ses lois à l'homme – en tantqu'être naturel.

Le rapport entre l'homme et la nature n'est pas seulement modifié (par l'introductiond'intermédiaires) : il est inversé.

C'est ce que nous montre le phénomène d'adaptation : ce n'est plus l'homme quidoit s'adapter au milieu naturel, mais c'est la nature qui est adaptée aux besoins humains (que ceux-ci soientnaturels, sociaux, culturels etc.).

Le bois est transformé en livre, en feu etc.

Pour l'homme cultivé, c'est moins lanature qui le contraint à s'adapter (en sélectionnant les mutations avantageuses à la survie de l'espèce – c'est lasélection naturelle, très résumée ici, de Darwin, qui s'oppose à Lamarck) que la culture qui lui impose une sélection.A la sélection naturelle semble succéder ou s'ajouter la sélection culturelle.

L'homme est alors davantage un êtreculturel qu'un être naturel.

II .

Culture et identité culturelle font opposition à la nature qui s'exprime en nous Mais il nous reste à considérer la façon dont la culture affecte la nature « en » l'homme.

Car si un être naturel estcelui qui est dans un certain rapport à la nature (un rapport immédiat), il est aussi et peut-être encore davantageun être en lequel la nature s'exprime.

Elle s'exprime par des instincts, des penchants, des passions également (ausens très large de « ce que nous subissons », sens qui suit l'étymologie de « passion »).

Elle s'exprime égalementpar un développement naturel : la croissance, la reproduction, la maladie, etc.

En quoi, donc, la culture peutmodifier l'être naturel de l'homme ?C'est d'abord par la connaissance que découle de la culture (au sens de Bildung, de formation) que l'homme prendses distances par rapport à la nature extérieure et aussi par rapport à « son » naturel.

Lorsque Descartes écrit,dans les Méditations Métaphysiques , Médiation I, que l'homme est une « res cogitans », une chose qui pense, il place en même temps l'homme « face » à la nature.

L'homme n'est plus seulement dans la nature, mais il est d'abordce qui porte un regard comme « extérieur » sur elle.

C'est en effet ce qu'exige la connaissance : elle demande qu'onprenne de la distance avec ce que l'on veut connaître, que l'on pose devant soi un « objet ».

C'est par ce moyenque l'on pourra « se rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » ( Principes de la Philosophie , I).

Mais cette maîtrise est également tournée vers la nature en nous : Descartes, dans le Traité des Passions , décrit une véritable mécanique des passions, ce qui fait comprendre qu'on ne se contente plus de vivre les passions, mais qu'on les metà distance.

Nos propres passions sont posées comme des objets d'étude et de savoir.

Et la connaissance qu'onretire de cette étude des passions, pour Descartes, permet d'agir sur elles.

L'homme n'est plus un pur être naturel :il agit sur sa propre nature, et ici sur ses passions.

Mais comment ? Justement en tirant parti de cette mécaniquedes passions élaborée par notre connaissance.

Descartes explique par exemple que, face à la peur, le réflexe ou laréaction naturelle est de fuir.

Mais culturellement, cette fuite est comprise souvent comme lâcheté, alorsqu'affronter sa peur est, toujours culturellement, une preuve de courage.

Pour être en accord avec les valeursvéhiculées par la culture, il faut donc que l'homme apprenne à résister à cette peur.

Or ceci est impossible si l'on neconsidère que le réflexe naturel qui est de fuir.

Descartes explique alors qu'il faut provoquer l'attitude inverse : sedonner l'image de la gloire et de la fierté afin de provoquer une passion contraire à la peur, la passion du courage.On voit ici que la culture, appuyée par la connaissance d'un mécanisme naturel, permet d'aller contre l'expressionpure et simple de ce mécanisme naturel : il ne s'agit pas de faire disparaître ce mécanisme, mais de jouer avec lui,de susciter une passion contraire pour avoir un effet contraire.

L'homme ne cesse pas d'être un être naturel, maisc'est la culture qui prend le pas sur son naturel, pour le régler, le contrôler, le soumettre (même si, comme le dit unproverbe, il est douteux que l'on puisse entièrement soumettre le naturel : « chassez le naturel, il revient au. »

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