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Psychologie de L'explorateur

Publié le 22/02/2012

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Saint Brandan prit un jour la mer à la recherche du Paradis... L'explorateur est l'expression la plus individualisée de la société humaine, il porte en lui tous les désirs d'évasion de l'homme ordinaire, il part, il est seul, il rêve de mondes inconnus, il marche, c'est la plus haute forme du vagabondage dans l'imagination des adolescents et de l'artisan rivé à l'établi, une forme de la poésie populaire : l'explorateur s'est d'abord chanté. Assez curieusement, l'explorateur qu'on a chanté ne porte que des noms mythiques, ses voyages conduisent chez les monstres ; comme pour la plupart des sentiments profonds de l'homme, c'est le mythe qui habille le rêve. Il y a deux types d'explorateurs : celui qui vit dans le cOeur de presque tous les hommes, et l'homme réel, à trois dimensions, qui part un jour vers les confins du monde. On ne peut évoquer le second sans éveiller le premier chez le lecteur, l'exploration porte sa grande part d'épopée et l'on peut montrer les héros du XVIIe siècle voguant à la recherche d'un débouché commercial intéressant pour les drapiers anglais, sans atténuer l'émotion qui saisit à l'évocation de leurs noms prestigieux. Christophe Colomb, l'homme qui apporta l'autre moitié du globe, est complètement dématérialisé dans la pensée normale ; c'est un héros naissant du sable d'une grève espagnole, volant au ras des flots vers des îles peuplées d'oiseaux d'émeraude. L'imagerie nous le montre majestueusement dressé sur son gaillard d'avant, sous les voiles de ses caravelles, parcourant sans durée les vagues que limite la page d'un in-quarto doré sur tranche. Qui pourtant a mieux connu que lui les antichambres royales, les marchandages, les reniements et la préoccupation de réaliser une opération financièrement profitable ?

« en leur mission.

Ce n'est pas le hasard non plus qui voulut que tous fussent de l'époque où l'Europe mûrissait sonhumanisme, entre l'utilitarisme brutal de l'essor de la découverte et le désordre de l'Europe qui, ayant conquis lemonde, n'a plus qu'à le perdre pour achever son évolution. On peut se demander s'il existe un rapport entre l'explorateur et les régions qu'il découvre, si le voyageur tropical etle voyageur arctique sont différents ou semblables, si quelque prédestination transparaît le comportement de l'un oul'autre.

Il ne semble pas que l'on puisse répondre par l'affirmative ; l'orientation géographique est le résultat duhasard : Marco Polo suivait la soie, il eut suivi en d'autres temps l'ambre ou le tungstène, René Caillé subissait lahantise de ses lectures d'adolescence et beaucoup d'autres ont été envoûtés de la même manière.

L'occasion apoussé la plupart, un ordre royal d'aller découvrir des îles gorgées d'or, une société qui décide des marchésnouveaux vers l'ouest, un racontar de Peau-Rouge...

Ce qui transparaît mieux, c'est une certaine spécialisation.

Elleest d'abord géographique : les Scandinaves sont les explorateurs des mers du Nord, les Italiens s'en vont plusvolontiers vers le soleil.

Elle est aussi économique : les Espagnols sont attirés vers l'Ouest par l'élan initial deColomb.

Elle est personnelle enfin : Ross, Amundsen, Charcot, lancés une première fois dans l'Arctique, multiplientleurs voyages vers les deux pôles.

Cook reprendra la route du Pacifique jusqu'à sa mort.

C'est là au moins autant unphénomène de spécialisation professionnelle que d'orientation psychologique. L'explorateur pris isolément comme individu d'élite ne révèle en somme que le développement exceptionnel desqualités fondamentales de l'homme d'action.

Sauf quelques cas où il agit par ordre et où il exécute son voyagecomme il aurait pris part à une bataille ou traité un marché, on trouve en lui la trace du rêve d'évasion : il est fils demarin ou neveu d'officier colonial, il a lu avec prédilection les récits de conquêtes ou simplement rêvé devant la mer,ou devant une baraque de foire.

Une certaine prédétermination existe en lui, sa faculté d'évasion latente estsupérieure à la moyenne et les causes d'excitation externes ne font que la fixer sur un but.

Il sait souvent très tôtqu'il partira et c'est à partir de ce point que jouent ses qualités de réalisateur. Les mêmes grandes préoccupations agitent les voyageurs de la même époque, reflets des convoitises commercialesou des aspirations politiques du moment.

Le même souffle traverse les grandes tentatives de chaque siècle, tantôtvOeu de la foi religieuse, tantôt du désir de savoir. Pourtant, bien différents sont les explorateurs terriens des explorateurs de la mer.

Le marin, si paradoxal que celapuisse sembler, est une sorte de sédentaire, parfois même de casanier, promenant au prix des plus grands risquesun morceau détaché de son pays natal à la surface du globe ou, dirait-on presque, regardant défiler les mers et lescôtes des fenêtres de sa patrie.

Il est rivé à ce coin de chez lui et, sauf si le sort d'un naufrage l'expulsebrutalement, il ne lui est guère possible de s'en éloigner.

Les exceptions, on les rencontre aux pôles et dans lesdéserts, là où les hommes naviguent à la surface des sables ou des glaces.

L'explorateur terrien est alors livré auxmêmes périls et dispose des mêmes moyens que le marin.

La perte de sa provision d'eau, de ses chiens ou de samonture est un naufrage.

Ailleurs, le terrien se modèle sur les contours géographiques et humains, son premier étatest le dépaysement. On ne voit pas, on n'a jamais vu un équipage anglais déguisé en chinois pour parcourir, sur une jonque, les mersorientales ; sauf le pirate, le marin circule sous son pavillon, n'ayant d'autres issues, lorsqu'il est en difficulté, que lafaite ou la bataille.

Au contraire, il est presque normal, dans les pays de première pénétration, que le terrien épousel'aspect de l'indigène, à moins que la couleur du teint n'oblige le blanc à s'avouer, encore sait-il passer pour Arabechez les Noirs musulmans ou pour Tatar chez les Mongols. Les marins s'imposent ou transigent, bien souvent ils évitent le contact : sauf les marins savants de la grandeépoque, ils nous ont peu parler des indigènes, mais ce sont eux qui ont construit les formes du Globe.

Le terrienjouit d'une faculté de dilution, il est d'autant plus heureux dans sa progression qu'il est plus soluble dans le milieulocal.

En pratique, il réussit d'autant mieux qu'il comprend mieux les hommes qu'il rencontre : c'est lui qui a établi lacarte des peuples et parlé des coutumes : qu'on pense à Hérodote, Marco Polo... Tout classement est, par quelque côté, arbitraire, et il ne faut pas abuser des grandes lignes.

Pourtant, si l'onvoulait faire la part des qualités dominantes de chacune des unités complémentaires de l'exploration, chez les marinson trouve souvent l'énergie inflexible, chez les terriens la souplesse, les qualités diplomatiques.

Cette souplessen'implique nullement un abaissement de la dignité.

Il peut être intransigeant sur ses principes moraux et religieux, etavoir pourtant un grande faculté d'adaptation et de contact. L'explorateur terrien est généralement isolé.

Il a parfois deux, trois compagnons de son pays, rarement plus.

Biensouvent il s'en sépare en route ; l'adaptation est à un tel point nécessaire qu'il préfère partir seul avec une escorteindigène.

Il n'a presque rien : ses cartes, ses notes, sa carabine et encore...

le peu qu'il possédait au départdisparaît à chaque étape.

Son comportement se modifie à mesure qu'il se dépouille : il franchit souvent la premièrepartie du voyage avec un fort bagage, confortablement, mais au prix des pires difficultés, car il se meut en corpsétranger dans le milieu indigène.

Puis il subit quelque catastrophe et se retrouve à peu près nu.

C'est alors qu'iltraverse son continent : il est dissous.

Mais le plus souvent il a payé cher sa victoire : il est usé.

Parmi les terriensde la première pénétration, bien rares sont ceux qui ont longtemps profité des honneurs du retour. Chez tous la volonté domine, c'est peut-être la seule caractéristique constante.

Énumérer d'autres qualitéséquivaudrait à faire la liste des qualités possibles de l'homme.

Les uns ont réussi parce qu'ils étaient forts, d'autresparce qu'ils savaient plaire, d'autres parce qu'ils ne mentaient jamais, d'autres parce qu'ils savaient soigner les. »

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