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Que pensez-vous de ce mot de Pasteur : « Je plains les gens qui n'ont que des idées claires » ?

Publié le 16/06/2009

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INTRODUCTION. - Une oeuvre d'art est d'autant plus suggestive qu'elle est plus vague et laisse plus grande la part à l'interprétation personnelle. C'est sans doute à l'imprécision des sentiments qu'elle traduit que la musique doit l'emprise qu'elle exerce sur quiconque a l'oreille cultivée : cette imprécision nous permet de l'adapter à des états d'âme fort divers, en sorte que le même morceau peut aujourd'hui bercer notre chagrin et demain exprimer notre joie de vivre. Nous ne trouverions donc pas étonnant d'entendre un artiste, surtout un poète ou un. musicien, plaindre celui pour qui tout est clair. Mais la réflexion se trouve sous la plume d'un savant, d'un familier des recherches précises qui se font dans les laboratoires. C'est PASTEUR qui a dit : « Je plains les gens qui n'ont que des idées claires. « Venant d'un homme de science, cette déclaration ne peut, tout d'abord, que nous surprendre. Il est bien évident que ce n'est pas à cause de leurs idées claires que PASTEUR juge dignes d'être plaints ceux pour qui rien n'est obscur ou confus : la clarté est un bien qu'un savant ne saurait mépriser. Mais, aux yeux de ce grand chercheur, il manque quelque chose à celui qui n'a que des idées claires : des idées obscures ou confuses, qui parachèveraient en quelque sorte son savoir. Toutefois, même ainsi précisée, la réflexion de PASTEUR ne laisse pas de paraître étrange : quel avantage peut-il donc y avoir à ce que le champ de nos connaissances claires soit en quelque sorte bordé d'une bande d 'obscurité ?

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« obscures pour nous. a) Du point de vue théorique en tant que savant, l'homme est diminué par le sentiment de n'avoir que des idéesclaires.

Ce sentiment est néfaste d'abord pour la science acquise : tout se tient en effet, et celui qui croit savoir cequ'il ignore ne sait pas bien ce dont, avec le sentiment des limites de son savoir, il aurait une vraie science.

Il estnéfaste aussi pour la science à acquérir, car à quoi bon chercher quand tout paraît clair ? b) Du point de vue pratique en tant qu'homme, celui qui n'a que des idées claires présente une déficience sensiblequi compromettra son action sur les autres et son bonheur.

Avec ses semblables, il se montrera dogmatique etintolérant : aussi devra-t-il vivre en solitaire, étranger même aux siens.

Privé du sens du mystère, il n'aura aucunereligion ou videra celle qu'il pratique de ce qu'elle contient de spécifiquement religieux : en Dieu, il verra, non pas lePère des cieux auprès duquel se réfugie l'âme désemparée, mais uniquement la cause première, force inconnue etimpersonnelle exigée pour mettre le monde en marche. III.

- LES IDÉES CONFUSES SONT LE MOYEN NÉCESSAIRE POUR PARVENIR AUX IDÉES CLAIRES. Les pensées que nous venons d'indiquer n'étaient sans doute pas étrangères à l'esprit si ouvert qu'était PASTEUR.Mais le grand savant, nous semble-t-il, a voulu dire autre chose : celui qui n'a que des idées claires est à plaindreparce qu'il est condamné à ne faire aucun progrès; il n'y a, en effet, de progrès qu'en passant par l'intermédiaire desidées confusesou obscures.

Un commerçant qui prétendrait ne rien hasarder ne ferait jamais fortune; de même, un chercheur quin'accorderait audience qu'à des idées claires ne trouverait jamais rien. A.

C'est dans tout le domaine de la pensée qu'on peut observer la nécessité de passer par le stade de lanuit avant d'arriver à la lumière du jour, si l'on veut que cette lumière soit vraiment éclairante et qu'elleréchauffe. a) Nos idées ne sont nôtres que dans la mesure où nous les avons conquises en luttant contre l'ombre qui nousentourait.

« Ce qui est clair avant nous ne vient pas de nous.

Ne vient de nous que ce que nous tirons del'obscurité qui est en nous et que ne connaissent pas les autres.

» (PRousT, Le temps retrouvé, II, 27.) b) Par suite, pour éprouver la délicieuse détente de la découverte, il faut auparavant avoir passé par lesincertitudes ou les angoisses de la recherche à tâtons : rie jouit de la trouvaille et de la possession que celui quiavait pris conscience du vide de son esprit et de l'obscurité de sesidées. B.

Cette observation générale, PASTEUR l'appliquait sans doute tout particulièrement au domaine de larecherche scientifique, surtout de la recherche à laquelle il avait consacré toute sa vie, la rechercheexpérimentale. a) On pourrait montrer le rôle des idées confuses même dans les sciences où paraissent régner les idées claires, lesmathématiques : l'invention mathématique, ainsi que nous le montre en particulier PoiNCARÉ dans l'article qui portece titre, débute par une intuition vague qu'une déduction ultérieure devra contrôler, mais dont elle ne peut sepasser. b) Ce rôle est plus apparent dans les sciences expérimentales, et Claude BERNARD l'a bien mis en relief.

L'esprit dusavant, aime-t-il répéter, passe successivement par trois stades : le sentiment, la raison et l'expérience.

Lesentiment, d'autres disent le pressentiment, n'est que la vue confuse de l'explication plausible et des moyens demontrer sa valeur : c'est l'hypothèse, charnière du raisonnement expérimental qui conditionne tout progrès dans lessciences de faits.

Sans hypothèse, pas de découverte; mais celui qui n'admet que des idées claires se défendra des'arrêter à une hypothèse.

Il est donc condamné à ne jamais rien trouver, et l'on comprend qu'un chercheur qui afait de si remarquables découvertes le juge digne d'être plaint. CONCLUSION. - Nous aspirons à voir clair; mais il faut fermer les yeux aux démarches de la pensée réelle pour croire qu'elle peut progresser de clarté en clarté sans jamais traverser une zone de pénombre ou même d'obscurité.Il est un rythme naturel auquel nous ne pouvons échapper.

Nous partons d'une intuition obscure : pressentimentvague et souvent trompeur d'une aube lumineuse.

Stimulés par l'impression de la lumière toute proche, nous faisonsun effort pour arriver jusqu'à elle.

Cet effort dans la pénombre nous vaut un supplément de clarté.

Mais cette clartéelle-même fait apparaître un autre coin d'ombre dont nous n'avions :pas conscience jusque-là.

Et ainsi, sons lapression de ce ressort précieux que sont les idées obscures, nous progressons indéfiniment vers la clarté.. »

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