Qu'est-ce qu'un homme civilisé ?
Publié le 12/01/2004
                             
                        
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                                                                                                                            hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit." Claude Lévi-Strauss, Race et histoire (1970), Unesco.
Claude Lévi-Strauss tente de montrer dans ce texte que la notion de « sauvage » qu'on oppose traditionnellement àcelle d'« homme  civilisé », n'est  qu'un  mythe.
                                                            
                                                                                
                                                                     Certes,  ce terme,  qui dérive  du latin  silva,  signifie  au sensétymologique « qui vient de la forêt », et évoque le genre de vie animale, comme dans l'expression « bête sauvage», par opposition à la vie de l'homme dans des sociétés organisées par la culture.Mais le  mot « sauvage » fait  l'objet d'un emploi  révélateur qui ne concerne ni  la vie animale ni même celle despremiers hommes préhistoriques.
                                                            
                                                                                
                                                                     Il est utilisé en  tant qu'il porte en lui un jugement de  valeur péjoratif  que l'onretrouve également dans le mot « barbare ».Ce dernier terme  a pour origine probable, selon  Lévi-Strauss, la désignation du chant inarticulé  des oiseaux, paropposition au langage humain.
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais ni le mot «sauvage», ni le mot «barbare» ne se réduisent à qualifier la nature parrapport à la culture.
                                                            
                                                                                
                                                                    Lorsque nous traitons tel ou tel peuple de « sauvage », lorsque nous qualifions ses coutumes etses rites d'« habitudes de sauvages », nous faisons certes comme si nous le rejetions hors de la culture, dans un «pur état de nature ».Mais, en réalité, le sauvage « pur » n'existe pas, car tout homme est toujours d'emblée inscrit dans une culturedéterminée.
                                                            
                                                                                
                                                                    Par ces expressions, nous voulons signifier en réalité que nous rejetons la culture de l'autre, comme sielle n'était pas digne d'être une manifestation culturelle de l'homme, et devait être abaissée au rang de grossièrenature.Ainsi, c'est comme  si on  refusait  d'admettre  le fait  même  de la diversité  culturelle,  affirmant implicitement  ououvertement que seule la culture à laquelle nous appartenons est vraie, « normale », modèle et expression de lanorme, donc supérieure.Lévi-Strauss précise, à la  suite  de cet  extrait,  que le véritable  «barbare»  est celui  qui applique  à l'autre  cequalificatif, et se montre ainsi incapable d'accepter la diversité culturelle et la relativité de sa propre culture.L'expression « c'est un sauvage » cache donc en réalité, selon Lévi-Strauss, une forme plus ou moins déguisée deracisme, de peur et de refus de la différence culturelle.C'est dans son texte Race et histoire que Lévi-Strauss développera ces analyses pour montrer que ce refus a habitéle mouvement du colonialisme européen depuis le XVe siècle et lui a même apporté ses plus puissants alibis.C'est, en effet, en raison même de ce rejet que l'on proclamait la nécessité, par la colonisation, de « civiliser lessauvages ».
                                                            
                                                                                
                                                                    C'était en réalité un prétexte, nous dit-il, pour détruire les formes de civilisation qui ne correspondaientpas aux normes et aux idéaux de celle de l'Occident.Mais le texte de Lévi-Strauss s'oppose aussi à une certaine manière de concevoir le travail de l'ethnologue,manièrequi prédominait au début du siècle.
                                                            
                                                                        
                                                                    Il s'agissait alors de traiter les « cultures primitives », celles par exemple destribus d'Amazonie, comme des sous-cultures ayant manqué leur phase de développement.En montrant  qu'il existe  une « pensée  sauvage  » aussi riche et complexe  que celles  qui animent  la culture del'Occident, Lévi-Strauss a tenté de renouveler le travail de l'ethnologue en le débarrassant de tout ce que sous-entendait de péjoratif l'idée même de « sauvage ».C'est  pourquoi  il écrit,  à propos  de l'idée  occidentale  selon laquelle  les cultures  «primitives»  sont inertes  etstationnaires : «Chaque fois que nous sommes portés à qualifier une culture humaine d'inerte [...] nous devons doncnous demander si cet immobilisme apparent ne résulte pas de [notre] ignorance.
                                                            
                                                                                
                                                                    »
Montaigne soulignait déjà dans ses Essais (Livre I, chapitre 31) que « chacun appelle barbarie ce qui n'est pas deson usage », en appelant notre attention sur la précarité de nos jugements quand ils portent sur la barbarie et lacivilisation.
                                                            
                                                                                
                                                                    L'homme « civilisé » qui parle ainsi des modes de vie qui ne sont pas les siens, en les reléguant à la «sauvagerie » ou à la « barbarie » est peut-être justement lui-même au sens propre le barbare et le sauvage : il nesuffit donc pas d'arguer de son avancement pour être civilisé, bien au contraire.b) C'est d'autant plus vrai que même les systèmes de pensée que nous tenons ordinairement pour « primitifs » n'ontpeut-être rien à nous envier : et ainsi, dans La Pensée sauvage (l'apparent paradoxe du titre est déjà par lui-mêmeassez éclairant sur le propos de son auteur), Lévi-Strauss mène une analyse de la pensée magique (dans le premierchapitre, aux paragraphes 30 à 33) qui démontre que la pensée magique n'est pas, comme on le pense de façoncondescendante, un embryon de science, mais une construction, un système clos analogue à la science, et qui n'endiffère que par son objet.
                                                            
                                                                                
                                                                    L'ethnocentrisme n'est donc pas seulement détestable dans son principe, mais il est toutaussi infondé dans son contenu.
                                                            
                                                                                
                                                                    Est-ce à dire alors que l'homme civilisé est introuvable ? L'homme civilisé est peut-être finalement celui qui sait échapper aux sirènes de l'ethnocentrisme, celui donc qui sait intégrer le respect à sonappréhension des groupes culturels dont il n'est pas membre.
                                                            
                                                                                
                                                                    Échapper à l'ethnocentrisme, c'est s'affranchir de lacroyance  en l'éternité  fondée en droit  d'un système  de valeur,  c'est garder  à l'esprit  la relativité  de l'idée  decivilisation.
                                                            
                                                                                
                                                                    Dans un mot célèbre, Paul Valéry disait : « nous autres civilisations, nous savons désormais que noussommes mortelles » : le propre d'une civilisation est peut-être de savoir se remettre en question.
                                                            
                                                                                
                                                                    L'homme civiliséest alors en dernière analyse celui qui sait la précarité de sa civilisation, celui qui sait qu'il n'est pas seul.
Conclusion
C'est donc un ensemble fragile de faits qui définissent l'état de civilisation : cet ensemble, même structuré, ne peutêtre pris pour une norme..
                                                                                                                    »
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