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Renouvellement des surfaces

Publié le 26/02/2010

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Rodin ne rencontra le succès qu'à l'aube de ses quarante ans, au terme d'une longue carrière dans l'ombre. Il naquit à Paris dans une famille sans ressources et commença à travailler comme tailleur de pierre pour des décorateurs d'intérieur après avoir échoué trois fois au concours d'entrée de l'école des Beaux-Arts. La première oeuvre qu'il présenta au Salon de 1864, L'Homme au nez cassé, fut rejetée par le jury, provoquant la rage de son maître le sculpteur Carrier-Belleuse qui le congédia de son atelier. Lors d'un voyage en Italie en 1875, il eut la révélation de Michel-Ange et de Donatello et trouva la vision artistique qu'il cherchait. Le réalisme flagrant de sa première oeuvre originale exposée, Le Vaincu, en rupture avec les modèles contemporains, suscita de vives polémiques au Salon de 1877. La précision du modelé était si exacte que Rodin fut accusé d'avoir utilisé des moulages sur nature. Toutefois, le succès de l'exposition engendra la prospérité de l'artiste qui se vit confier ses premières commandes, parmi lesquelles la monumentale porte de bronze du Musée des Arts Décoratifs inspirée de La Divine Comédie de Dante, et dont le célèbre Penseur formait à l'origine un motif. Quoi qu'il en soit, l'oeuvre sensuelle et crue de Rodin rencontrait la plupart du temps l'indignation du public. Sa merveilleuse sculpture Le Baiser fut interprétée comme une illustration de ses propres liaisons scandaleuses et les monuments commandés en hommage à Victor Hugo ou à Honoré de Balzac choquèrent la société autant par leur nudité que par les interminables discussions officielles qui retardèrent leur livraison. En 1916, Rodin obtint de l'état la promesse de transformer l'Hôtel Biron du XVIIIe siècle en un musée auquel il légua son oeuvre par testament.

« entre les surfaces et l'éclairage. La plastique de Rodin, dès cette époque, serait caractérisée par deux traits : la technique des profils : en tournant autour de l'oeuvre pour en recevoir tous les aspects, le sculpteur veille à nelui laisser présenter aucun profil choquant ou inexpressif.

C'est pourquoi ses oeuvres supportent merveilleusement leplein-air ; par ailleurs, Rodin aurait dû à un compagnon d'atelier ce Sésame de la sculpture : "Ne vois jamais les formes enétendue, mais en profondeur...

ne considère jamais une surface que comme l'extrémité d'un volume, comme lapointe plus ou moins large qu'il dirige vers toi".

Ce que favorise entre toutes la pratique du modelage. Mais l'apport essentiel de Rodin est dans le but nouveau qu'il poursuit par ces deux techniques conjointes etd'ailleurs non complémentaires : l'équilibre de ses statues dans l'espace.

Leur forme n'est pas la limite à laquelleatteint un effort de dégagement du marbre qui les isole, comme des totalités se suffisent à elles-mêmes maisl'intermédiaire sensible d'une vitalité qui s'épanouit du dedans au-dehors, à travers les surfaces qui sont moins lesfrontières d'une existence que des sources d'irradiation.

La statue n'est pas un fragment prélevé dans un univers etqui s'accommode tant bien que mal du nôtre elle est de l'ordre du monde.

En soumettant ses bronzes à l'épreuvedes intempéries, Rodin vérifiait, grâce au tracé ramifié des lignes d'écoulement, la parfaite insertion de ces formesminérales dans un flux cosmique à la puissance duquel elles s'égalaient. Un second aspect remarquable de cette sculpture, c'est le contraste savant que Rodin ménage entre lesmouvements et les masses.

Il n'est pas besoin de supposer un programme philosophique dans l'Homme qui marche oule Penseur.

Rodin définissait ainsi le principe par lequel le sculpteur parvient au mouvement : “...

il ne représente pastoutes les parties de ses personnages au même moment de la durée...

De cette manière, quand le spectateurpromène ses regards d'une extrémité à l'autre de mes statues, il voit se développer leurs gestes.

A travers lesdifférentes parties de mes oeuvres, il suit les efforts musculaires depuis leur genèse jusqu'à leur complète éclosion."Le mouvement de marche ressort du conflit sûrement exacerbé entre l'avancée du buste que les mains demi-closesattirent à elles et ces deux pôles d'immobilité : la tête redressée, et le sol où les deux pieds crispés s'enracinent.

Lemouvement n'est pas "représenté" (ambition absurde), mais inexorablement suggéré.

En affirmant que "lemouvement est la transition d'une attitude à une autre", en refusant à l'exactitude photographique le pouvoir derendre le mouvement, Rodin prenait position contre l'éléatisme de la statuaire académique et le Saint Jeanannonçait, dix années à l'avance, un des thèmes de l'Essai sur les données immédiates de la Conscience. A la même époque d'ailleurs, les cadrages de Degas, soucieux de capter les gestes fugitifs de la vie quotidienne,visent à les recomposer non sur la rétine, mais dans l'esprit du spectateur, et dans sa mémoire.

Si l'impressionnismeen peinture fut dans une certaine mesure un réveil de l'oeil, on peut dire qu'il y eut grâce à Rodin un impressionnismede la statuaire marqué par l'éveil du sens musculaire. Un univers virtuel L'occasion d'échapper aux besognes s'offre à Rodin en 1880, avec la commande d'une porte pour le Musée des ArtsDécoratifs.

Sous le double patronage de Dante et de Ghiberti, Rodin élabore la Porte de l'Enfer.

Après vingt ans, leprojet atteint des dimensions et une structure telles qu'il ne répond plus au but de la commande.

Tout le romantismelittéraire de Rodin y conflue : la Bible, la mythologie grecque et Baudelaire rejoignent la Divine Comédie.

Mais aussitoute sa puissance plastique.

Tantôt Rodin y incorpore des figures isolées, tantôt il extrait de son esquisse dessujets ou des groupes qu'il traite pour eux-mêmes.

Ce conflit entre la Porte et les figures libres, c'est d'abord celuide Rodin avec des servitudes appauvrissantes pour son génie plastique. Par tradition et par structure, le relief est visuel et théâtral.

Il s'inscrit en effet dans un cadre orienté selon un axeprivilégié de vision, perpendiculaire au support, et qui n'ordonne qu'un demi-espace. Mais la sculpture de Rodin n'est pas visuelle.

Tant par son modelé que par son mouvement, elle se réfère auxexpériences musculaires et spatiales qu'elle suscite.

Accrochant la lumière de toutes parts, elle suggère un espacedisponible.

Mais elle ne s'y repose pas, son épiderme tressaille de mouvements latents.

Par là, elle n'accueille pas unspectateur passif comme devant un cube scénique idéal, elle l'engage avec elle dans cet espace kinesthésiqueillimité où elle est prête à se mouvoir. II en résulte que les figures de la Porte sont rebelles, si l'on ose dire, à l'organisation verticale à laquelle elles sontcondamnées, mais qui neutralise l'ordre spatial que chacune apporte avec elle.

Il apparaît donc difficile d'admettre lepropos si souvent répété à la suite d'Eugène Carrière, selon lequel Rodin aurait manqué du cadre et du soutien dequelque architecture.

La plastique de Rodin exige autour d'elle un vide neutre incompatible avec toute architecture. Les bourgeois de calais Dans ce groupe, auquel Rodin travailla de 1884 à 1886, on découvre clairement les raisons de l'inachèvement de laPorte de l'Enfer. L'ensemble surprit tout d'abord par son dédain de la vérité historique et des attitudes conventionnelles, plus encore. »

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