Devoir de Philosophie

Retourner à la nature ?

Publié le 23/03/2015

Extrait du document

Mais Rousseau affirme, comme Kant le répétera après lui, que non seulement le progrès des moeurs ne va pas de pair avec le progrès des lumières, que « le rétablissement des sciences et des arts (n'a pas) contribué à épurer les moeurs « (contestation de l'intellectualisme de Platon et des Lumières), mais encore que cela même qui fait progresser la civilisation, le raffinement et même l'intelligence de l'homme, est aussi ce qui pervertit et déprave l'humanité. « 0 fureur de se distinguer, que ne pouvez-vous point ? « (Discours sur les sciences et les arts, seconde partie) « On a vu la vertu s'enfuir à mesure que la lumière (des sciences et des arts) s'élevait sur notre horizon « (ibid., première partie).

La nature a fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable. L'Émile en particulier, ce livre tant lu, si peu entendu et si mal apprécié n'est qu'un traité de la bonté originelle de l'homme, destiné à montrer comment le vice et l'erreur, étrangers à sa constitution, s'y intro­duisent du dehors et l'altèrent insensiblement. Dans ses premiers écrits il [Rousseau] s'attache davantage à détruire ce prestige d'illusion qui nous donne une admiration stupide pour les instruments de nos misères et à corriger cette estimation trompeuse qui nous fait honorer des talents perni­cieux et mépriser des vertus utiles. Partout il nous fait voir l'espèce humaine meilleure, plus sage et plus heureuse dans sa constitution primitive, aveugle, misérable et méchante à mesure qu'elle s'en éloigne. Son but est de redresser l'erreur de nos jugements pour retarder le progrès de nos vices, et de nous montrer que là où nous cherchons la gloire et l'éclat, nous ne trouvons en effet qu'erreurs et misères.

Mais la nature humaine ne rétrograde pas et jamais on ne remonte vers les temps d'innocence et d'égalité quand une fois on s'en est éloigné ; c'est encore un des principes sur lesquels il a le plus insisté. Ainsi son objet ne pouvait être de ramener les peuples nombreux ni les grands États à leur première simplicité, mais seulement d'arrêter s'il était possible le progrès de ceux dont la petitesse et la situation les ont protégés d'une marche aussi rapide vers la perfection de la société et la détérioration de l'espèce. Ces distinctions méritaient d'être faites et ne l'ont point été. On s'est obstiné à l'accuser de vouloir détruire les sciences, les arts, les théâtres, les acadé­mies et replonger l'univers dans sa première barbarie, et il a toujours insisté au contraire sur la conservation des institutions existantes, soutenant que leur destruction ne ferait qu'ôter les palliatifs en laissant les vices et substi­tuer le brigandage à la corruption. [...] Mais malgré ces distinctions si sou­vent et si fortement répétées, la mauvaise foi des gens de lettres et la sottise de l'amour-propre qui persuade à chacun que c'est toujours de lui qu'on s'occupe lors même qu'on n'y pense pas, ont fait que les grandes nations ont pris pour elles ce qui n'avait pour objet que les petites républiques, et l'on s'est obstiné à voir un promoteur de bouleversements et de troubles dans l'homme du monde qui porte un plus vrai respect aux lois, aux constitutions nationales, et qui a le plus d'aversion pour les révolutions et pour les ligueurs de toute espèce, qui la lui rendent bien.

 

Rousseau juge de Jean-Jacques, dialogue troisième (1776).

« Textes commentés 43 Ce texte devrait être lu et relu à tous ceux qui, à la suite de Voltaire et de sa lecture sommaire et partiale du Discours sur l'inégalité, s'obstinent à parler de retour à la nature et emboîtent le pas à l'auteur de Candide qui écrivait spiri­ tuellement et injustement à Rousseau : « J'ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain.

On n'a jamais tant employé d'esprit à vouloir nous rendre bêtes.

Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage.

Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j'en ai perdu l'habitude, je sens malheureusement qu'il m'est impossible de la reprendre » (lettre du 30 août 1755).

Il est plus important de noter que 1 ° Rousseau récuse toute idée de retour comme étant une régression, non pas vers la nature mais vers la barbarie ; et 2° qu'il suggère, comme il l'a également répété dans l'Émile, qu'on peut tout juste retarder l'accélération de la marche vers les conséquences funestes d'un progrès dangereux et souvent fatal.

« L'important n'est pas de gagner du temps, mais d'en perdre : garantir le cœur du vice et l'esprit de l'erreur » (Émile, livre second).

Les leçons à tirer de ces argumentations réitérées de Rousseau sont multiples, en particulier du point de vue moral, politique et historique.

La philosophie de Rousseau n'a pas plus forcément d'implications révolutionnaires ou subver­ sives que de signification réactionnaire.

Il s'en tient toujours à l'idée que l'humanité est perfectible, que l'on ne peut arrêter le développement de ses facultés ni bloquer le progrès, même si ce « progrès » est lourd de consé­ quences funestes.

En second lieu, on ne peut revenir à la nature, puisque cet état ne désigne pas une époque historique ou un stade de l'évolution, mais le concept abstrait d'homme hors civilisation.

Et s'il s'agit de préserver la nature, de protéger les avantages de l'état de nature, c'est-à-dire l'équilibre entre les besoins de l'homme selon son essence et les capacités à les satisfaire, cela ne peut se faire par un retour à la nature (comment rétrograder dans le temps vers une essence abstraite ?), mais au contraire par un recours à l'artifice.

« Il faut employer beaucoup d'art pour empêcher l'homme social d'être tout à fait arti­ ficiel » et les « meilleures institutions sont celles qui peuvent le mieux dénatu­ rer l'homme».

L'iconoclasme et l'esprit rétrograde sont des signes de corrup­ tion et veulent ignorer la différence entre l'indépendance naturelle et la liberté civile.

Seules les institutions « perfectionnées » peuvent pallier les vices et substituer la vertu à la bonté naturelle, car « tous ces vices n'appartiennent pas tant à l'homme qu'à l'homme mal gouverné» (Préface du Narcisse).

«Montrons-lui dans l'art perfectionné la réparation des maux que l'art com­ mencé fit à la nature».

En d'autres termes: «Nous ne commençons propre-. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles