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rhetorique et discours

Publié le 08/01/2013

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discours
Tout semble-t-il, oppose le savoir et la rhétorique : ses origines antiques qui l'inscrivent dans l'ordre du débat judiciaire et non dans celui de la connaissance ; ses compromissions avec la sophistique - déjà dénoncées par Platon dans Gorgias - qui, dans le champ du savoir cette fois, la font apparaître comme une contrefaçon de la connaissance ; l'usage contemporain ordinaire du mot qui en fait un discours emphatique et vide. Les grands principes rhétoriques : produire un discours qui ne peut être dit autrement, qui est sans réplique, qui s'appuie sur l'ethos et le pathosautant que sur le logos, ne contredisent-ils pas en effet les exigences de traductibilité multiple, d'ouverture aux objections et d'appel à la seule raison qui sont au fondement de la construction du savoir ? Certes, l'empire de la rhétorique demeure dans tous les domaines où il s'agit de persuader, de la publicité à la politique en passant par le prétoire ; mais il ne s'étend pas jusqu'aux sciences. Le discours scientifique vise le vrai et non le vraisemblable, il se constitue et s'expose de manière neutre et impersonnelle, il ne se soucie pas de style et se dit dans une langue plus ou moins formalisée qui constitue un véhicule transparent du sens. 1 Locke, Essai philosophique concernant l'entendement humain(1690), Livre III, chap. x, trad. franç HYPERLINK "http://noesis.revues.org/index1678.html" \l "ftn1" (...) 2Ainsi, que le savoir doive se passer de rhétorique semble aller de soi. Nous héritons sur ce point de la pensée classique et sommes pleinement d'accord avec Locke écrivant : « si nous voulons représenter les chosestelles qu'elles sont, il faut reconnaître qu'exceptés l'ordre et la netteté, tout l'art de la rhétorique, toutes ces applications artificielles et figurées qu'on fait des mots, suivant les règles que l'éloquence a inventées, ne servent à autre chose qu'à insinuer de fausses idées dans l'esprit, qu'à émouvoir les passions et à séduire par là le jugement ; de sorte que ce sont en effet de parfaites supercheries. Et par conséquent l'art oratoire a beau faire recevoir et même admirer tous ces différents traits, il est hors de doute qu'il faut les éviter absolument dans tous les discours qui sont destinés à l'instruction, et on ne peut les regarder que comme de grands défauts ou dans le langage ou dans la personne qui s'en sert, partout où la vérité est intéressée «1. 2 Descartes, Discours de la méthode (1637), première partie, éd. par Adam et Tannery, rééd. Paris, V HYPERLINK "http://noesis.revues.org/index1678.html" \l "ftn2" (...) 3 P. Ramus, Dialecticae libri duo (1560). 4 S. Auroux, « Argumentation et anti-rhétorique. La mathématisation de la logique classique «,Hermè HYPERLINK "http://noesis.revues.org/index1678.html" \l "ftn4" (...) 3Le savoir doit donc se garder de toute compromission avec la rhétorique ; mais le peut-il ? Nous le pensons aussi et héritons de l'assurance de Descartes qui affirmait : « ceux qui ont le raisonnement le plus fort, et qui digèrent le mieux leurs pensées, afin de les rendre claires et intelligibles, peuvent toujours le mieux persuader ce qu'ils proposent, encore qu'ils ne parlassent que bas breton, et qu'ils n'eussent jamais appris la rhétorique «2. Le seul persuader véritable est un convaincre s'adressant à la raison et non plus à un logos mêlé de pathos et d'éthos et altéré par eux. Un siècle auparavant, Ramus avait disjoint la dialectique entendue comme art de l'argumentation raisonnée, des moyens d'expression ornés et agréables3. C'était introduire un coin dans cette belle totalité de l'« art de persuader par le bien dire « qu'était la rhétorique dans ses origines grecques. L'art de persuader est désormais distinct de l'art de bien dire. L'argumentatif se sépare de l'éloquence. L'étape suivante est accomplie à la suite des travaux d'Arnaud et Nicole et de la logique de Port-Royal, lorsque l'argumentatif devient l'affaire de la logique et que la logique se mathématise4. La logique vient ainsi recouvrir le terrain de la rhétorique, et au trivium classique réunissant grammaire, rhétorique et logique (ou dialectique), se substitue le couple grammaire et logique. Le reste littérarisé de la rhétorique n'a rien à faire dans les sciences où sa présence serait immédiatement suspecte de sophistique. Les idées claires et distinctes et l'expérience doivent y suffire. Au xixe siècle, le positivisme achève le rejet de la rhétorique au nom de la vérité scientifique. 4Nous sommes les héritiers de cette histoire. Sans avoir la naïveté de croire que la science est un domaine de part en part objectif ne laissant aucune place à l'objection et à la controverse, ou même qu'elle pourrait devenir ainsi, c'est-à-dire entièrement positive, nous sommes ainsi tentés de penser que le champ du savoir et celui de la rhétorique sont bien distincts. Pour être plus précis, nous pensons que, dans l'univers des sciences, certaines ont vis-à-vis de lui une indépendance absolue - la région des mathématiques -, que les sciences de la nature, par une formalisation plus ou moins aboutie, en sont très éloignées, et que les sciences de l'homme, même lorsqu'elles ont renoncé à la quête scientiste d'un fondement et au positivisme d'un Auguste Comte ou d'un John Stuart Mill, continuent à s'en garder par leur visée d'objectivité. 5 Je remercie Jean-Marc Levy-Leblond pour cette référence. 6 S. Bromberger, « L'incommensurabilité en science et la possibilité d'argumenter «, dansFigures et HYPERLINK "http://noesis.revues.org/index1678.html" \l "ftn6" (...) 5Un certain nombre de constats viennent cependant compliquer ce schéma doxique. Ainsi, on remarquera que l'écriture des sciences de la nature ne diffère guère de celle des belles lettres dans les Lettres dialoguées de Galilée, dans les Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle ou dans Le Rêve de d'Alembert de Diderot. Notant que les procédures d'établissement et de présentation du savoir ont considérablement évolué au cours de l'histoire des sciences, on peut y voir une phase transitoire, dépassable et dépassée. Mais est-il bien sûr qu'elle le soit totalement ? Ne perdons pas de vue que les résultats les plus formalisés et consensuels des sciences d'aujourd'hui ne sont que la partie émergée de l'iceberg : même le savoir qui se donne en formules s'incarne dans des textes (articles, thèses, ouvrages de synthèse, traités, correspondances, comptes-rendus), dans lesquels il s'expose et par lesquels il se diffuse. Si bien que, même dans les sciences les plus formalisées, le discours a sa place. De ce point de vue, la scène du film d'Hitchcock le Rideau déchiré, dans lequel deux savants absolument silencieux, debout devant un tableau noir, dialoguent seulement à coup d'équations biffées et réécrites, traduit bien naïvement la réalité d'un échange qui implique toujours les langues naturelles5. La recherche, loin d'être une activité transparente, est lourde de principes et de choix méthodiques qui font l'objet de débats au sein de la communauté scientifique. Ce n'est pas tout : au cours de certaines phases de développement des sciences, des doctrines impeccablement constituées mais radicalement incompatibles se sont affrontées : astronomie de Ptolémée et astronomie de Kepler, dynamique newtonienne et dynamique einsteinienne, linguistique taxinomique et linguistique générative, etc. Ces phases dites révolutionnaires sont des moments de débats intenses dans lesquels l'argumentation supplée à la démonstrativité6. À tous ces niveaux, l'histoire des sciences, qu'elle soit internaliste ou externaliste, montre que l'énoncé scientifique n'est pas une plante hors sol issue d'un pur logos démonstratif. 7 C. Perelman et L. Olbrechts-Tyteca,Traité de l'argumentation, Bruxelles, éditions de l'université(...) 6La question de savoir si le savoir peut se passer de rhétorique n'est donc pas sans objet et est même d'autant plus pertinente qu'elle va moins de soi. Elle se divise en une multitude d'interrogations selon les savoirs que l'on considère et les formes historiques qu'ils revêtent. Mais aussi selon que l'on entend « rhétorique « au sens que lui donnait Aristote, ou bien au sens de la stylistique selon Jean Cohen, Gérard Genette, Roland Barthes et le groupe MU, ou encore à celui des théories de l'argumentation selon Perelman7. Selon enfin la finalité que l'on considère : s'agit-il de pouvoir ou non se passer de rhétorique pour s'exposer agréablement, pour s'enseignerfacilement ? Dans ces cas, la rhétorique serait l'habillage d'un noyau scientifique dur indépendant. Ou bien pour persuader, ce qui supposerait soit que le seul logos n'a pas assez de force pour s'imposer, soit que ses intentions ne sont pas pures ? Ou bien encore, pour se constituer, soit que la rhétorique ait une dimension heuristique, soit que la démonstrativité ne puisse jamais occuper tout le champ du savoir ? Bref, jusqu'où et en quel sens les savoirs ne peuvent-il pas se passer de rhétorique ? 7Parce que cette question ne deviendra pertinente que déclinée selon les différentes formes du savoir, il a été fait appel à des spécialistes de disciplines diverses (lettres classiques et modernes, sociologie, histoire, anthropologie, droit, philosophie) qui mêlent différentes approches. Dans cette diversité trois grandes perspectives se dégagent. 8La première consiste à aborder la question sous un angle factuel et à étudier la place de la rhétorique dans une oeuvre savante donnée. C'est celle qu'adopte Arnaud Zucker (« Une rhétorique épistémonique ? Paradoxes théoriques et pratique problématique chez Aristote «) lorsqu'il considère ce qui, dans De la Génération des animaux d'Aristote, relève de la rhétorique et notamment le rôle qu'y joue l'enthymème. C'est encore celle de Jean Robelin (« Rhétorique et philosophie«) lorsqu'il pointe chez des auteurs aussi différents que Descartes, Kant, Spinoza, Marx ou Comte, l'emploi de métaphores et d'images, l'usage clandestin de termes évaluatifs, le recours inavoué à l'affectivité et l'échec à produire des énoncés sans énonciateur. C'est aussi celle de Lucile Gaudin-Bordes (« De la représentation à l'interaction : les figures d'énonciateur dans les textes scientifiques«), qui étudie la dimension dialogique de textes scientifiques anciens (Dialogue sur les deux grands systèmes du monde de Galilée) et contemporains (article de Watson et Crick, découvreurs de l'ADN, publié dans la revue Nature). C'est enfin celle de Nathalie Heinich (« Rhétorique et sophistique chez Pierre Bourdieu «) qui met en évidence la dimension rhétorique de l'oeuvre du sociologue, au sens de l'invention d'un style séduisant et original dont elle étudie la sémantique ésotérique, les figures complexes de construction et la syntaxe recherchée, ma...
discours

« discours qui sont destinés  à l’instruction , et on ne peut les regarder que   comme   de  grands  d éfauts  ou  dans  le  langage   ou   dans  la  personne  qui   s’en sert,   partout o ù la v érit é est int éress ée   » 1 . · 2   Descartes,   Discours de la m éthode   (1637), premi ère partie,  éd.

  par Adam et Tannery, r éé d. Paris, V (...) · 3   P.

  Ramus,   Dialecticae libri duo   (1560). · 4   S.

  Auroux, «   Argumentation et anti­rh étorique. La   math ématisation de la logique classique   », Herm è (...) 3 Le   savoir   doit   donc   se   garder   de   toute   compromission   avec   la   rh étorique   ;   mais   le   peut­il   ?   Nous   le   pensons   aussi   et   h éritons   de   l’assurance de Descartes qui affirmait   : «   ceux qui ont le raisonnement le   plus fort, et qui dig èrent le mieux leurs pens ées, afin de les rendre claires   et  intelligibles,   peuvent   toujours  le mieux  persuader  ce qu’ils proposent,   encore   qu’ils   ne   parlassent   que   bas   breton,   et   qu’ils   n’eussent   jamais   appris   la   rh étorique   » 2 .

  Le   seul   persuader   v éritable   est   un   convaincre   s’adressant   à   la   raison   et   non   plus   à   un   logos   m êlé   de   pathos   et   d’ é thos   et   alt éré  par   eux.

  Un   si ècle   auparavant,   Ramus   avait   disjoint   la   dialectique   entendue   comme   art   de   l’argumentation   raisonn ée,   des   moyens d’expression orn és et agr éables 3 . C’ était introduire un coin dans   cette   belle   totalit é  de   l ’ «   art   de   persuader   par   le   bien   dire   »   qu’ était   la   rh étorique dans ses origines grecques. L’art de persuader est d ésormais   distinct   de   l’art   de   bien   dire.

  L’argumentatif   se   s épare   de   l’ éloquence.

  L’ étape suivante est accomplie  à la suite des travaux d’Arnaud et Nicole   et de la logique de Port­Royal, lorsque l’argumentatif devient l’affaire de   la   logique   et   que   la   logique   se   math ématise 4 .

  La   logique   vient   ainsi   recouvrir   le   terrain   de   la   rh étorique,   et   au   trivium   classique   r éunissant   grammaire, rh étorique et logique (ou dialectique), se substitue le couple   grammaire et logique. Le reste litt éraris é de la rh étorique n’a rien  à faire   dans   les   sciences   o ù  sa   pr ésence   serait   imm édiatement   suspecte   de   sophistique.

  Les   id ées   claires   et   distinctes   et   l’exp érience   doivent   y  . »

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