Rousseau et la volonté
Publié le 15/09/2014
Extrait du document

Les coupables qui se disent forcés au crime sont aussi menteurs que méchants : comment ne voient-ils point que la faiblesse dont ils se plaignent est leur propre ouvrage ; que leur première dépravation vient de leur volonté ; qu'à force de vouloir céder à leurs tentations, ils leur cèdent enfin malgré eux et les rendent irrésistibles ? Sans doute il ne dépend plus d'eux de n'être pas méchants et faibles, mais il dépendit d'eux de ne pas le devenir. O que nous resterions aisément maîtres de nous et de nos passions, même durant cette vie, si, lorsque nos habitudes ne sont point encore acquises, lorsque notre esprit commence à s'ouvrir, nous savions l'occuper des objets qu'il doit connaître pour apprécier ceux qu'il ne connaît pas ; si nous voulions sincèrement nous éclairer, non pour briller aux yeux des autres, mais pour être bons et sages selon notre nature, pour nous rendre heureux en pratiquant nos devoirs ! Cette étude nous paraît ennuyeuse et pénible, parce que nous n'y songeons que déjà corrompus par le vice, déjà livrés à nos passions. Nous fixons nos jugements et notre estime avant de connaître le bien et le mal ; et puis, rapportant tout à cette fausse mesure, nous ne donnons à rien sa juste valeur.
ROUSSEAU

«
Présenter l'ordre logique selon lequel s'articulent les idées
en les expliquant.
L'idée centrale de ce texte est que le vice dépend de la volonté.
Rous
seau l'exprime à travers le cas concret de "coupables qui se disent
forcés au crime'', et qu'il juge "menteurs" autant que méchants.
Quelle
est la situation de ces "coupables"? Ils présentent leur tendance au
vice et à la méchanceté comme l'effet d'une contrainte à laquelle ils se
sentent assujettis, contrainte irrésistible qui s'impose à eux comme
de
l'extérieur puisqu'ils lui "cèdent malgré eux".
Ils expliquent en fait
leur "faiblesse", c'est-à-dire leur tendance au vice et leur incapacité à
y résister,
par un défaut de leur nature au même titre qu'une malfor
mation de naissance.
Ils s'en plaignent comme d'un corps étranger,
trouvent dans cette explication une excuse à leurs actes méchants.
Puisque cette tendance est en eux, irrésistible malgré eux, ils s'esti
ment irresponsables.
En quoi sont-ils menteurs? La position de Rousseau est claire: "la
faiblesse dont ils se plaignent est leur propre ouvrage", est l'œuvre de
leur propre volonté.
Ce qu'il explicite dans la première partie du texte,
en démontant le mécanisme de formation de cette tendance au vice
pour y affirmer le rôle de la volonté.
Ce mécanisme se met en place en
deux étapes.
La première est le moment de "leur première déprava
tion'', du premier acte vicieux qu'ils ont accompli dans le passé : il
"vient de leur volonté".
La volonté étant la capacité de décider et d'ac
complir
par soi-même, ils ont été actifs dans ce premier acte, et non
passivement entraînés malgré eux.
La deuxième étape est constituée
par les premières répétitions du même acte, répétitions qui manifes
tent à chaque fois qu'ils cèdent à leur tentation.
Mais là encore joue la
volonté : "à force de vouloir céder".
Conséquence de cette "volonté" : la
tendance à l'acte vicieux s'inscrit de plus en plus profondément dans
le caractère de l'individu, le vice devient une habitude qui crée comme
une deuxième nature.
C'est alors qu'ils "cèdent malgré eux" à leurs
tentations qu'ils ont rendues eux-mêmes "irrésistibles".
Le mensonge
de ces
"coupables" consiste à ne pas prendre en compte le temps dans
l'analyse qu'ils font de leur état.
Ils ne retiennent que ce qu'ils sont
devenus, victimes impuissantes de l'habitude, mais oublient l'origine
de
la formation de cette habitude où était engagée leur volonté.
Ainsi
Rousseau déclare: "Sans doute il ne dépend plus d'eux de n'être pas
méchants et faibles, mais il dépendit d'eux de ne pas le devenir".
Cette
phrase met en valeur trois facteurs essentiels : la volonté par laquelle
154.
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