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ROUSSEAU: Tant que les hommes se contenterent de leurs cabanes rustiques

Publié le 27/04/2005

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Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu'ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique; en un mot, tant qu'ils ne s'appliquèrent qu'à des ouvrages qu'un seul pouvait faire, et qu'à des arts qui n'avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d'un commerce indépendant : mais dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre, dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité disparut, la propriété s'introduisit le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons. La métallurgie et l'agriculture furent les deux arts dont l'invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c'est l'or et l'argent; mais pour le philosophe, ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain. (...) L'invention des autres arts fut donc nécessaire pour forcer le genre humain de s'appliquer à celui de l'agriculture. Dès qu'il fallut des hommes pour fondre et forger le fer, il fallut d'autres hommes pour nourrir ceux-là. Plus le nombre des ouvriers vint à se multiplier, moins il y eut de mains employées à fournir à la subsistance commune, sans qu'il y eût moins de bouches pour la consommer; et, comme il fallut aux uns des denrées en échange de leur fer, les autres trouvèrent enfin le secret d'employer le fer à la multiplication des denrées. De là naquirent d'un côté le labourage et l'agriculture, et de l'autre l'art de travailler les métaux et d'en multiplier les usages. De la culture des terres s'ensuivit nécessairement leur partage, et de la propriété une fois reconnue les premières règles de justice : car, pour rendre à chacun le sien, il faut que chacun puisse avoir quelque chose; de plus, les hommes commençant à porter leurs vues dans l'avenir, et se voyant tous quelques biens à perdre, il n'y en avait aucun qui n'eût à craindre pour soi la représaille des torts qu'il pouvait faire à autrui. Cette origine est d'autant plus naturelle, qu'il est impossible de concevoir l'idée de la propriété naissante d'ailleurs que la main-d'oeuvre; car on ne voit pas ce que, pour s'approprier les choses qu'il n'a point faites, l'homme y peut mettre de plus que son travail. C'est le seul travail qui, donnant droit au cultivateur sur le produit de la terre qu'il a labourée, lui en donne par conséquent sur le fonds, au moins jusqu'à la récolte, et ainsi d'année en année; ce qui, faisant une possession continue, se transforme aisément en propriété. ROUSSEAU

QUELQUES DIRECTIONS DE RECHERCHE    • Importance de la notion « qu'un seul pouvait faire «?  • Que signifie exactement ici avoir « besoin du secours d'un autre « ?  • En quoi peut-il être « utile à un seul d'avoir des provisions pour deux «?  • Comment comprenez-vous « le travail devint nécessaire «?  • Quels rapports entre « l'égalité disparut «, « la propriété s'introduisit «, « on vit bientôt l'esclavage et la misère «? A cause de qui (selon Rousseau) ?  • En quoi « le fer et le blé « ont-ils « perdu le genre humain « ? «selon Rousseau)?  • Que pensez-vous de l'affirmation selon laquelle c'est « la métallurgie et l'agriculture « et non « l'or et l'argent « qui ont « civilisé les hommes et perdu le genre humain «?  • Qu'est-ce qui est en jeu dans ce texte?  • En quoi présente-t-il un intérêt proprement philosophique?

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« passionnel de refus d'une société inégalitaire et injuste en une réfutation fondée en raison, à la fois scientifique etmorale. I - QUELLE ANALYSE POUR CE SUJET ? Le thème de ce texte est l'origine du travail social dans sa forme aliénée ("esclavage").Le problème est le suivant : comment l'humanité est-elle passée de l'état de nature, en lequel on peut supposer leshommes libres ("commerce indépendant"), à l'état social actuel, où règne la dépendance généralisée des hommes lesuns vis-à-vis des autres ?La thèse de Rousseau consiste à affirmer que l'origine de cette dégradation est l'apparition d'une nouvelle formed'activité, qui n'existait pas à l'état de nature : activité collective destinée à extraire de la nature les produitsnécessaires à la subsistance de l'humanité. II - UNE DÉMARCHE POSSIBLE. A - AUTOUR DE QUELLE OPPOSITION LE TEXTE EST-IL BATI ? L'opposition est soulignée par l'articulation du texte selon deux moments.Jusqu'à "commerce indépendant", Rousseau introduit le premier élément de l'opposition dont la formule centrale est :"des ouvrages qu'un seul pouvait faire".Elle nous apprend que les hommes, à l'état de nature, n'ont pas besoin les uns des autres pour tirer de la natureindividuellement, les biens nécessaires à leur subsistance.De "mais dès l'instant" jusqu'à la fin du texte, un deuxième moment pose le deuxième élément de l'opposition dont laformule centrale est : "un homme eut besoin du secours d'un autre".Elle nous apprend que le racisme de la formation de sociétés où les hommes sont interdépendants, est la nécessitédans laquelle les hommes se sont trouvés de se mettre à plusieurs pour tirer leur subsistance de la nature. B - EXPLIQUER LES EXPRESSIONS. •"Ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature" : énumération dequalificatifs positifs, mais tempérée par la deuxième partie de la formule.En effet, Rousseau ne prétend pas que la condition de l'individu naturel était absolument bonne et heureuse.Il ne prétend pas non plus que la condition de l'homme en société est absolument et irréductiblement mauvaise. •"Le travail devint nécessaire" : le travail désigne ici deux choses qui sont liées entre elles.D'abord, la dépendance des travailleurs les uns vis-à-vis des autres, ensuite, la contrainte mutuelle qui en résulte.Pourquoi "nécessaire" : parce que le projet d'accumuler des richesses, des "provisions", empêche de revenir à lasituation initiale, où chaque homme ne cherchait à tirer de la nature que ce qui lui suffisait individuellement. C - EN QUOI L'ESCLAVAGE ET LA MISÈRE PEUVENT-ILS ACCOMPAGNER L'ACCROISSEMENT DES RICHESSES ? Il y a un paradoxe apparent dans la question.

Une première analyse montre en effet que l'accroissement desrichesses favorise le développement du bonheur et de la liberté de l'homme.Bonheur, parce que le fait de disposer de biens matériels nombreux permet à l'homme de se détacher de sadépendance immédiate à l'égard de la nature.L'animal, lui, ne peut que s'adapter plus ou moins bien, et en quelque sorte pauvrement , à ce que peut lui offrir lanature (cf.

la disparition de certaines espèces).De plus, la qualité de la vie change : l'homme découvre des jouissances qui ne sont plus platement naturelles.Liberté ensuite, parce que si les richesses augmentent, la rivalité des hommes diminue, à condition que ladistribution sociale des richesses soit équitable .Cependant, il y a un revers de la médaille.

Plus les hommes inventent de nouveaux produits, de moins en moinsnaturels, plus ils se croient perdus si ces produits viennent à manquer.D'où une misère psychologique constante, même chez ceux qui ont le plus de biens.De plus, l'organisation politique de la société, loin de chercher à corriger les inégalités de richesse, s'emploie aucontraire, sous des formes toujours nouvelles, à maintenir la propriété privée des biens, sans se préoccuper de ladifférence des individus à cet égard.

D'où la misère matérielle.Quant à l'esclavage, il provient lui aussi de l'accroissement des richesses.

D'abord, poussés par le désir de nouvellesproductions, les hommes déjà dépendants dans le travail, accroissent la nécessité de cette dépendance.

Ils sontinterdépendants, c'est-à-dire dépendants de leurs désirs mutuels.Ensuite, ceux qui sont propriétaires du plus grand nombre de richesses, peuvent devenir propriétaires des outils deproduction -en clair, des usines.L'esclavage est alors vertical : des hommes sont sous la dépendance de ceux qui détiennent les instruments deproduction des biens qui sont pourtant vitaux pour tous . III - LES FAUSSES PISTES. Faire de ce texte un manifeste pour le retour à l'état de nature.Faire de ce texte une critique irrémédiable de l'état social, où l'affirmation que le bonheur humain est impossible ensociété.. »

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