Saint Augustin: Connais-toi toi-même
Publié le 26/03/2005
Extrait du document

Préfigurant en cela le cogito de Descartes (cogito ergo sum : je pense donc que je suis), saint Augustin pose que la pensée se libère du doute par la certitude de sa propre existence (si fallor, sum : si je me trompe, je suis). Mais en affirmant son existence, la pensée se saisit aussi comme activité vitale, car penser c'est vivre. Or l'âme est le principe de la vie. La pensée se connaît donc comme âme, et réciproquement, l'âme comme pensée. Dans ces conditions, en appréhendant son existence (le fait qu'elle soit), l'âme appréhende en même temps sa substance (ce qu'elle est), puisque c'est l'essence même de la pensée que de connaître : dès lors qu'elle est, l'âme sait ce qu'elle est. Car rien ne lui est plus présent à soi que soi.

«
connaît directement, intuitivement par conséquent, et cette connaissance ne subit pas les inconvénients de ladistance.Notre connaissance des choses extérieures est affectée par l'impossibilité de s'unir totalement à elles.
Or, toutest extérieur, même autrui, même mon propre corps, tout sauf l'âme elle-même.
Est-ce à dire que je peux lireen moi-même comme en un livre ouvert ? Certes non, et il faut prendre au sérieux la précision apportée par letexte : « en même temps qu'elle comprend ce qu'on lui dit, « toi-même » ».Comprendre cela, c'est apparemment sans grand intérêt, et à portée d'un petit enfant.
Mais qui a dit que seconnaître soi-même n'était pas à la portée des enfants ou des humbles ? Une nouvelle fois, cette remarque desaint Augustin devrait nous amener à reconsidérer notre conception de la connaissance.
Et pour ce faire,servons-nous comme tremplin des critiques que ce texte pourrait susciter.
(Il faut dire ici que, compte tenudes difficultés du texte, on pardonnera à un élève de terminale de ne pas comprendre le texte en profondeur,pourvu qu'il fasse effort pour étudier le raisonnement qui le constitue.
Mais ceci obligerait alors, pour unesimple question d'honnêteté intellectuelle, à élaborer une critique montrant au minimum que la question de laconnaissance de soi se pose vraiment, et même que l'âme de chacun est pour lui-même le lieu propre de sesillusions.)On peut penser à la célèbre critique qu'Auguste Comte fait de l'introspection.
Regarder en soi-même estimpossible pour la simple raison que l'observateur ne peut jamais se trouver en situation de simultanéité avecce qu'il observe.
En clair, quand je veux regarder en moi-même, ce que je veux voir n'est déjà plus là, et ce quiest encore là, c'est moi-même en train de faire effort pour me regarder, observation qui donnerait le vertige àqui voudrait la prolonger !On peut aussi penser à la Critique de la Raison Pure de Kant qui, établissant les limites de la connaissance, meten évidence l'impossibilité de résoudre les questions traditionnelles se posant au sujet de l'âme, dans la mesureoù celle-ci ne saurait être un objet d'expérience.Et bien évidemment, Freud en fondant la psychanalyse semble rompre définitivement avec l'illusion d'un sujetpensant capable de se saisir lui-même.
Toutes ces critiques ont en commun une part de vérité incontestable :le regard que je porte sur moi-même n'est jamais un véritable regard, mais une reconstitution, et l'on peut enapprendre sur moi autant, sinon plus, en interprétant cette reconstitution qu'en la prenant pour argentcomptant.
Chacun se voit lui-même non tel qu'il est, mais tel qu'il voudrait être, ou au moins tel qu'il a envie dese voir, même celui qui se méprise, car se mépriser, qu'est-ce sinon éprouver douloureusement la distanceentre la manière dont on se voit et la manière dont on voudrait se voir ?Mais revenons à saint Augustin : faut-il penser qu'il était totalement inconscient de ces difficultés ? Ce seraitdéjà lui attribuer un aveuglement bien singulier.
A aucun moment, d'ailleurs, le texte ne soutient qu'il soitpossible de tout dire de soi.
Relisons-le avec attention : le raisonnement, nous l'avons vu, repose surl'opposition entre d'une part une connaissance qui se sert de signes et d'autre part une sorte d'union entre cequi connaît et ce qui est connu, exprimée à l'aide du concept de présence.
Donc, et le texte est insistant surce point, la connaissance que l'âme a d'elle-même ne ressemble à aucune autre forme de connaissance.
Or,qu'appelle-t-on connaître, en règle générale ? On considère d'ordinaire qu'il n'y a de connaissance véritable quelà où il y a un discours contrôlable intégralement.
Un tel discours ne saurait exister au sujet d'une âme, pasmême bien entendu le discours d'un psychanalyste.
Mais si l'âme se connaît, c'est directement.On pourrait alors faire un rapprochement entre saint Augustin et Husserl.
Il n'y a de connaissance, rappelle cedernier, que lorsque la conscience reconnaît comme évidence la vérité, c'est-à-dire que la vérité, quelle quesoit la qualité de la démonstration qui l'établit, n'est telle que si la conscience reconnaît cette démonstrationen une intuition qui n'a rien à voir avec un pressentiment d'ordre affectif, mais qui est la reconnaissance par laconscience de ce qui s'impose à elle.
Voici le premier enseignement de ce texte : c'est en moi seul, puisque jesuis une âme qui pense, que je trouverai la connaissance comme présence, et non comme discours àapprendre.Cela dit, l'intention de saint Augustin est de nous mener ailleurs.
Mon âme est certes une inconnue si je veux latraiter comme un objet d'étude.
Mais c'est parce que cette démarche n'est pas la bonne.
Laissons-nous aller àpenser ce que veut dire « toi-même », et nous découvrirons dans ce « tu » qui est en réalité un « je » lasource féconde et intarissable de toute connaissance.
Et le secret de nos âmes, ce n'est pas telle ou tellecuriosité psychologique que nous découvririons en faisant simplement attention, mais cette présence qui esten même temps une absence par laquelle nous sommes ouverts à l'univers infini de la pensée.L'âme est donc tendue vers Dieu, dont elle est l'image, en raison de sa nature..
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