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Socrate est-il le père de la philosophie ?

Publié le 01/02/2010

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Socrate est-il le père de la philosophie ?

 Cicéron, lorsqu'il veut rendre hommage à Platon, l'appelle magnifiquement “ le prince des philosophes ” ; de Socrate, il dit plus simplement qu'il est “ le père de la philosophie ”. Cette double appréciation se vérifie bien au-delà de Cicéron. A la rigueur, on pourrait écrire l'histoire de la pensée antique, sans jamais prononcer le nom de Platon : il y manquerait sans doute le compétiteur le plus éminent, mais nullement le moteur essentiel, dès lors qu'on aurait conservé Socrate. Plus tard, il n'en va plus de même, et c'est avec saint Augustin déjà que commence cette “ tradition philosophique de l'Europe ” dont Whitehead a pu dire qu'elle consistait “ dans une série d'annotations à Platon ”. En revanche, l'influence de Socrate ne se manifeste que sporadiquement et, le plus souvent, dans un contexte qui n'est pas proprement philosophique, au sens où l'entend cette “ tradition ”. Elle apparaît, d'une part, chez les théoriciens politiques et sociaux. Après Voltaire, Condorcet interprète la mort de Socrate comme “ le premier crime qui ait signalé cette guerre de la philosophie et de la superstition ; guerre, ajoute-t-il, qui dure encore parmi nous, comme celle de la même philosophie contre les oppresseurs de l'humanité ”. D'autre part, c'est volontiers sous le patronage de Socrate qu'on rattache la philosophie à ce qui n'est pas elle, la religion ou la vie. Le portrait du “ Socrate chrétien ”, gage et modèle d'une anima naturaliter christiana, se transmet continûment de Justin à Guez de Balzac, en passant par Érasme. On sait, enfin, combien les deux précurseurs des philosophies contemporaines de l'existence ont médité sur Socrate. Peu importe que Nietzsche ait fini par le chasser de cette “ république des génies ” ou il l'avait d'abord reçu comme le dernier grand citoyen : il ne lui doit guère moins que Kierkegaard. 

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« S'il est vrai que la nature d'un homme est visiblement inscrite dans ses traits, celle de Socrate n'était ni belle nibonne ; tous les témoignages s'accordent.

L'étrangeté fondamentale venait de là : il est paradoxal, contraire àl'attente, et troublant pour l'opinion publique que, sous des dehors de silène puissent se cacher, comme ditAlcibiade, des images divines.

La nature, pourvu qu'elle soit transparente, est souvent aimable, et toujours ellerassure.

Que serait la beauté du vertueux Achille, sans la bouffonnerie de Thersite ? Aux satyres et à Silène, on nedemande ni l'héroïsme ni la sagesse ; sur la scène, ce sont des personnages bien drôles et fort sympathiques.

Maisle constant effort sur soi et le frein imposé aux passions font voir que la vertu n'est ni un don ni un privilège, et quela laideur n'est pas une image.

Ainsi la naïveté de l'idéal traditionnel n'est pas, comme chez les sophistes, combattuepar le raisonnement, mais réfutée par le fait. Mais la société a besoin que l'apparence, selon le mot de Gorgias, “ soit fortifiée par l'être ” et qu'un mérite éclatantne revête jamais un manteau râpé.

Tel est d'ailleurs le sens premier de l'ironie socratique : dissimulation etproprement hypocrisie ; car c'est encore se moquer du monde si la vertu prend l'apparence du vice, du ridicule et dulaid.

Et ainsi de tout.

On ne fraie pas avec les aristocrates quand on est artisan, ni, vieillard, avec la jeunessedorée.

On ne néglige pas son patrimoine, sous prétexte de faire don de son temps et de son activité à l'État, quandon est père de trois enfants.

Quand on participe à des beuveries, il faut s'enivrer pour de bon, et, pendant unecampagne d'hiver, ne pas sortir de l'abri pieds nus, “ en sorte que les soldats le regardaient en dessous, pensantqu'il voulait les humilier ”. La conscience morale, sous prétexte de la vivifier, ne compromet pas seulement la coutume, mais encore la loi.

Sansdoute, le loyalisme civique de Socrate est incontestable (devant le tribunal, il pourra montrer que ses accusateursse sont bornés, faute de mieux, à réunir les griefs “ qui s'offrent d'eux-mêmes contre tous ceux qui font de laphilosophie ”, mais dont aucun ne s'applique à lui) et l'on a pu parler de son positivisme juridique.

Mais posant enprincipe que la loi est juste et qu'il peut être juste, à l'occasion, d'obéir à une loi qui ne l'est pas, il subvertitl'autorité naturelle, au moment même où il prétend la fonder en raison.

Le principe de la loi rationnelle, dont Platondevait donner l'équation étymologique (nomos-noûs), conduit nécessairement à des conflits que Socrate, pour sapart, devait essayer de résoudre.

Refusant, tour à tour, et appliquant le “ droit de résistance ”, selon que sonpropre intérêt était en jeu, ou celui d'autrui (comme dans le procès des stratèges ou lors de l'arrestation de Léon deSalamines), il avait découvert, sans doute, le seul critère véritable, mais ce n'était pas là une solution du problèmede principe ; à cet égard, l'aveu du non-savoir ne paraît pas sans fondement. Ainsi, la vie de Socrate se résume à prendre au sérieux les lois, écrites et non-écrites.

Dans une cité, avait ditProtagoras, “ celui qui ne feint pas la justice est un fou ”.

L'ironie socratique institue un pragmatisme à rebours, enprenant au mot le “ comme si ” ; elle feint que l'air honnête procède d'une vertu réelle et contraint les autres et lui-même à ce qu'il en soit ainsi.

Il n'est pas étonnant que cette vie se soit terminée si mal, parce qu'aucune société nepeut supporter qu'on l'oblige à vivre selon sa propre idéologie.

Elle se serait même terminée bien plus tôt, si Socrateavait fait de la politique active : “ Il n'est aucun homme qui puisse éviter de périr, s'il pratique une oppositiongénéreuse, soit chez vous, soit dans toute autre démocratie, et qu'il s'emploie à empêcher dans sa cité lesinjustices et les illégalités.

Si quelqu'un veut efficacement combattre pour la justice et si l'on veut néanmoins qu'ilconserve la vie un peu de temps, il doit nécessairement rester simple particulier, et ne pas se faire homme public.

”(Apol., 31e sq.) Ce qu'une telle attitude peut avoir d'irritant, c'est surtout son conformisme même, qui la rend irréprochable etinsaisissable.

Socrate n'est ni un révolté ni un novateur.

Il veut seulement que le dernier mot reste à la justice,conformément aux lois de la cité et, très précisément, de la cité athénienne.

Et en cela, il n'y a aucune ironie.

Lamission que lui a confiée Apollon, attache Socrate à Athènes (j'exhorte “ tous ceux que je rencontre, jeunes etvieux, étrangers ou concitoyens, mais surtout vous, mes concitoyens, parce que vous me tenez de plus près par lesang ”) ; la comparaison avec le soldat qui ne doit pas abandonner son poste n'exprime pas le devoir d'obéissanceen général, mais situe temporellement et localement le devoir très précis de Socrate et en fixe le sens.

A cet égardle message socratique n'est pas universel, et le refus constant d'aller à l'étranger (que ce soit comme voyageur,comme banni ou comme fugitif) signifie que “ faire de la philosophie ”, au sens où Socrate l'entend, est tout un aveccette “ technique politique ” qu'il est seul à pratiquer (Gorg., 521 d), mais que prétend posséder tout citoyenattique.

Ainsi il n'y a en Socrate aucune faute assignable, mais au moment d'en chercher une, les juges se mettenten accusation eux-mêmes.

Le tort de Socrate est de faire ce qu'eux ne font pas, mais prétendent faire.

La vie deSocrate est bien moins un exemple qu'un miroir, et ce n'est pas son rôle de “ censeur ”, comme il dit, qui le faitcondamner, mais d'avoir installé la censure dans l'âme des juges et des justes. Cette de conformisme compromettant se retrouve dans la philosophie de Socrate qui, au premier abord, paraît d'unebanalité extrême et se présente comme un effort pour interpréter, à l'intention personnelle de tel auditeur, des lieuxcommuns.

C'est ce qui prive l'enseignement socratique de tout contenu positif.

Le maître de Platon, d'Antisthène etde combien d'autres pourra dire devant le tribunal qu'il n'a jamais eu de disciples.

C'est que la philosophie de Socrateest à la mesure de son légalisme ; dans les deux cas, il s'agit non pas d'enseigner du nouveau, mais de rendreconscient ce que tous prétendent savoir. Le célèbre “ Je sais que je ne sais rien ” a surtout une portée polémique et vise la prétention au savoir chez autrui,autant que chez Socrate même.

Mais quel est, au juste, l'objet de cette prétention ? On pourrait dire que c'est, engénéral, l'objet de la philosophie et, tout d'abord, au sens scolaire du mot.

C'est ce que prétendent savoir etenseigner les maîtres de la sagesse : toutes les choses dans le ciel et sur la terre.

L'ambition de constituer un. »

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